Saigon Mars 68

SAIGON MARS 68

 

 

      Je n'ai plus souvenir après le repas au mess des officiers sur la base de Nha Trang, où j'ai passé la nuit et comment je me suis rendu au rendez-vous de M. Stand le lendemain matin pour le vol de Saigon auquel il m'avait convié. Très probablement j'ai du avoir un gîte sur la base même, afin de pouvoir facilement me présenter au bureau de l'office militaire. M. Strand a tenu sa promesse et par avion militaire j'ai embarqué pour Saigon, rejoint sans histoire le matin même.

 

      J'ai été hébergé durant ce séjour par la famille Le de ma copine de fac Phuong à Paris, comme à chaque séjour qu'il m'a été donné de faire à Saïgon depuis mon arrivée au Vietnam. Enfin plus de problème de gîte et de repas au 64 rue Gia Long. Avec trois filles à Paris, Mme Le disposait d'un lit pour moi à l'étage. Cette famille ne dormait pas sur un lit traditionnel de bois très épais, mais dans de petits lits, comportant une moustiquaire. Je pouvais partager les repas de cette famille, dont il ne restait plus que la cadette Melle Lan, qui était en terminale, comme l'avaient été ses autres soeurs au Lycée Marie Curie. Je n'ai donc pas eu besoin d'avoir recours à un logement payant du Consulat, Ainsi hébergé durant tout ce séjour à Saigon, je n'avais plus aucun souci financier de logement ou de repas, une bonne chose pour moi totalement sinitré et sans resources.

 

      Je me suis rendu au Consulat de France. L'attaché d'ambassade qui m'a reçu a exprimé sa satisfaction de me savoir vivant et heureux de mon retour sain et sauf de Banméthuot. Il m'a rappelé les consignes du Ministère des Affaires Etrangères, qui m'avaient mis en garde contre les déplacements hors de villes sécurisées. Mais j'ai pu lui dire que j'avais été invité pour les vacances du têt par une élève et que l'insécurité n'avait pas été le fait des campagnes, mais celle de la ville même, comme bien d'autres localités, lors de l'attaque du têt 68. Il n'a pas insisté.

 

      Puis, compte tenu du sinistre de mon domicile subi à Dalat et de la perte de toutes mes affaires, il m'a proposé de me rapatrier sur le champ en France. Cela était possible, car mes obligations militaires étaient d'une durée de 16 mois à compter 5 juillet 1966 et j'avais été libéré de mon obligation de service militaire le 1 novembre 1967, mais pas de la totalité de mon contrat pour le service national en coopération, s'étalant sur deux années scolaires et s'achevant qu'à la fin juin 68.

 

      J'ai refusé cette proposition prétextant ne pas vouloir donner l'impression d'un abandon de poste en pleine mission de coopération, mais en réalité mon plus cher désir était de retourner à Dalat finir l’année scolaire et revoir mes élèves. Dans ces conditions, l'attaché m'a proposé de finir mon année scolaire jusqu'à la fin mai à Saigon, afin de mieux assurer ma sécurité, pensant que la ville de Dalat était plus menacée selon lui par les attaques viets que celle de Saigon.

 

      Cette perspective n'était pas pour me plaire non plus. Devoir changer de lycée et d'élèves, sans documentation pour préparer mes cours et sans réputation pour bénéficier de l'indulgence éventuelle des classes, ne me disait trop rien et puis ne plus revoir mes élèves du Lyceé Yersin, auxquels je m'étais attaché dans les cours, me démotivait énormément, bien qu'il ne fusse pas certain de tous les retouver en raison de l'insécurité qui régnait à Dalat, certains pouvaient choisir de finir leur année scolaire à Saigon ou Nhatrang. J'ai demandé à l'attaché une période de réflexion pour donner ma réponse définitive.

 

      Un autre problème se présentait. Pour refaire mon passeport, il fallait acheter un timbre fiscal et je n'avais d'argent, pas la moindre piastre pour pouvoir régler le montant de ce timbre. Pour la première fois, j'ai été confronté à la rigidité de l'administration, incapable de résoudre mon problème : il fallait que je paie le timbre pour ensuite faire une demande d'exonération, afin de pouvoir être remboursé plus tard en France, car en tant que coopérant militaire, les frais de cette nature étaient gratuits.

 

      Je suis retourné plusieurs fois pour tenter de régler ce problème, mais en vain. En fait, le remboursement intervient des mois après et il est directement versé sur un compte en banque à Paris, ce qui fait que personne n'a voulu m'avancer au consulat la somme, ni en piastres, ni en francs.

 

      Pour solutionner ce problème, il me restait à devoir emprunter cette somme ridicule à la famille Le, soit à un coopérant. Mais je n'en connaissais aucun enseignant à Saigon et j'ai toujours été contre ce genre d'emprunt, détestant le recours financier auprès des autres, ayant toujours eu pour règle de vie dans mon existence de ne jamais accepter, ni emprunt, ni crédit, considérant qu’un tel acte est immoral. Finalement, j'ai rempli les formulaires pour une demande de renouvellement de passeport, qui prenant beaucoup de temps, ne me fut pas expédié rapidement de France, aussi on accepta le paiement lors de mon retour fin mai. 

 

      Cet incident me fit réaliser que, durant mon séjour à Saigon, il me fallait impérativement trouver des cours privés pour me faire un peu d'argent de poche. Mais là encore comment trouver des élèves, qui ne me connaissent pas, surtout que les matières histoire et géographie ne requièrent aucune demande. J'ai eu l'idée d'afficher un message de proposition de cours privés au consulat pour le primaire, comme en France, où pour payer mes études j'avais des petites élèves de cours élémentaires.

 

      Le hasard a voulu que je sois, peu de temps après, contacté par le directeur de la compagnie Air France au Vietnam, qui désirait donner des cours à son fils, âgé de huit ans, qui refusait de travailler à l'école et qui n'avait jamais pu trouver un instituteur réussissant à motiver son gamin.

 

      Je me suis rendu à son domicile, une superbe villa coloniale et j'ai bien perçu que la partie ne serait pas gagnée d'avance, avec un gamin, franchement hostle au milieu scolaire. Bon ! Je n'avais pas le choix et pour deux matinées par semaine j'ai accepté ce défi pédagogique, les parents du garçon m'ayant averti que le gamin avait toujours refusé des cours privés. Pour me rendre à cette villa coloniale il me fallait faire de longues balades à pied, et chaque aller retour était une perte de temps considérable. En fait très vite la famille Le m'a permis d'utiliser la Honda de Lan pour faciliter les déplacements en ville.

 

      Je crois que mon avantage sur les autres instituteurs, qui avaient tenté l'expérience et malencontreusement échoué auprès de ce gamin, fut que je me souvenais bien de la mentalité de mon état d’esprit à cet âge là, où moi-même je préférais jouer que de m'intéresser à l'école.

 

      J'ai commencé par dire au gamin que comme lui j'avais été récalcitrant envers l'école et que je comprenais très bien son envie de jouer et sa répugnance pour les devoirs scolaires ou les cours. Ainsi, je lui ai dit qu'il n'y aurait pas de cours entre nous, mais que des jeux et je lui ai demandé à quoi il aimait jouer. Il fut surpris, mais ravi et durant les deux premières séances, nous avons joué ensemble à des jeux de son âge. Puis, je lui ai montré d'autres jeux qu'il ne connaissait pas comme la bataille navale et à partir de ce jeu nouveau, j'ai commencé à l'intéresser aux bâtiments de guerre et à le défier de pouvoir les retenir de mémoire et sans qu'il s'en rende compte progressivement à partir de jeux, j'ai pu lui transmettre des connaissances et faire des tests de contrôle, puis des exercices amusants et l'amener à lui faire faire des devoirs scolaires. Très vite par ce biais l'enfant s'est mis à travailler en croyant jouer. Il était très fier d'aller montrer à ses parents ses performances de "jeux" et les parents s'émerveillaient des résultats scolaires brillants de leur gamin. 

 

      Les parents me tarirent d’éloges, sans savoir comment j’avais opéré pour obtenir la collaboration scolaire de l’enfant. Ils m'ont même invité à dîner un soir en famille. Malheureusement pour lui et pour eux, les cours prirent fin avec mon retour à Dalat.

 

      Grâce à ces cours, j'ai pu m’acheter le timbre fiscal pour ma demande de passeport et me payer un billet d'avion pour regagner Dalat, sans cela ce retour aurait été impossible et j'aurais du accepter d'enseigner à Saigon. Cet argent m'a permis aussi de me faire faire deux chemises blanches en coton par une couturière tailleur de la rue Catinat, car ma seule chemise bleue en nylon me faisait beaucoup transpirer à Saigon. Ensuite Mme Le a fait broder mes initiales sur les chemises par une amie, qui venait déjeuner rue Gia Long et quand elle a rapporté les chemises brodées, je l'ai prise en photo en chapeau conique, ce qui ne fut pas pour déplaire à cette jeune femme, convaincue qu'elle devait cette prise de vue à son charme et non à son travail.  

 

      Je prenais mes repas dans le séjour au rez-de-chaussée de la vaste demeure de l. Je n'ai pas eu la curiosoté de visiter les cuisines, ni de rencontrer les tibas. Je me contentais de m'informer sur les résultats scolaires brillants de Lan qui allait sans aucub doute réussire le bac. J'ai pu en histoire géo lui faire faire des entraînements oraux, qu'elle a beaucoup apprécié. Le soir je dormais sur une couchette, non loin de Lan, alors que ses parents avait un grand lit, près de la fenêtre donnant sur la rue. Lan n'était pas une grande beauté, mais elle avait plus de charme que Phuong. J'appréciais sa compagnie. Elle était comme un rayon de soleil qui me consolait de mes soucis.

 

      Jean Marie Berthier est descendu à Saigon avec sa famille pour accompagner sa femme et ses enfants en partance pour le Cambodge, Danielle son épouse étant nommée à Phnom Penh. Il a été logé au lycée Jean Jacques Rousseau et il est parvenu à me donner la clé d'une chambrette de surveillant pour que je puisse avec des après-midi d'intimité. Il croyait que je pouvais à Saigon courtiser des femmes vietnamiennes. Il faisait chaud et cette chambre avait tout la confort dont un douche pour des ébats amoureux. mais logé chez chez les Le et non à la cité Larégnière des cooprérants, je n'avais aucun possibilté de pouvoir faire des rencontres féminines. J'en fis part à Jean Marie qui alors m'a signalé la présence de la jeune infirmière qu'il avair avec moi logés à Dalat et que je pouvais avec elle tenté ma chance. Je l'ai effectivement revue une fois, mais je ne voulais comme à Dalat l'embarquer dans une aventure sentimentale, car les femmes ne sont pas des dévoreuses d'hommes pour une simple partie de jambes en l'air ; elles sont surtout sentimentales. De son côté Jean Marie me racontait qu'il s'était un soir retrouvé au lycée Jean Jacques Rousseau, en compagnie d'une jeune vietnamienne avec qui il avait passé une nuit entière sans lui faire l'amour. Mais par la suite à Paris son amie Isabelle à qui je contais cette anecdote en a bien ri, disant que de la part de Jean Marie cela était peu probable.

 

      Pendant mon séjour à Saigon, je n'ai pas eu beaucoup de contact avec les enseignants français de la cité Larainière. J'ai du moccuper de trouver un moyen sûr d'envoyer un courrier non censuré à mes parents, sans passert par la poste vietnamienne. Le comble fut que l’ambassade à refuser que j’adresse une lettre à mes parents par la valise diplomatique, alors qu’il avait averti mes parents de ma disparition et de ma mort et que ces derniers étaient sans nouvelles de moi depuis janvier 68..

 

      C'est le directeur de la compagnie Air France qui a confié ma lettre à un Australien pour qu'il la poste de son pays, ce qui fait qu'en recevant cette lettre en provenance d'Australie, mes parents, avant d'ouvrir l'enveloppe et reconnaissant mon écriture, ont cru un instant que j'avais trouvé refuge en ce pays lointain, ce qui ne les étonnait guère, sachant mon goût pour les voyages et la découverte de pays inconnus.

 

     À Saigon, je faisais beaucoup de mes déplacements à pied, un excellent moyen de vite me repérer dans la ville et de la connaître. C'est ainsi que j'ai découvert la cathédrale et le palais présidentiel, l'hôtel de ville, l'opéra (devenu chambre des députés) ou la célèbre rue Catinat, lieu mythique de la période des Français et de réjouissances sexuelles en transports rapides pour les Américains. Je me suis aussi par curiosité rendu sur les lieux où les Viets avaient fait des incursions comme à l'Ambassade américaine et à la radio nationale pour constater les traces des combats sur les bâtiments et pouvoir apprécier la violence des affrontements, qui s'y étaient déroulés et j’ai même assisté à un assaut des forces sud-vietnamiennes sur un bâtiment sans doute investis, mais je n’ai pas su le pourquoi de cette opération.

 

      Le consulat émettait beaucoup de réticences pour me laisser retourner à Dalat. Je sentais intuitivement qu'il y avait un problème, mais on ne m'en disait rien. on insistait énormément pour que je reste à Saigon. La chance a voulu que le Ministère des Affaires Etrangères à Paris envoie des instructions très strictes sur la reprise des cours; imposant qu'à Dalat ne soient envoyés que des enseignants célibataires ou mariés sans leur famille, ne voulant pas exposer les femmes et enfants aux risques de guerre dans cette ville et cette exigence a considérablement réduit les possibilités d'envoi de profs à Dalat. Ainsi ce manque de célibataires à fait que le consulat a accepté ma demande. C'est ainsi que Berthier pour rester à Dalat a du accepter d'envoyer sa femme sur un poste à Phnom Penh au Cambodge et qu'il s'est retrouvé "célibataire" à Dalat pour la fin de l'année, privé le soir de ses parties de jambes en l'air avec son épouse. 

 

      J'étais heureux de ne pas devoir être à charge plus longtemps dans la famille Le et surtout de retrouver mes élèves à Dalat, en espérant retrouver mes petites favorites du lycée Yersin, sans néanmoins en être certain, car les conditions de répartition des classes ne seraient sans doute plus les mêmes.

 

      Grâce à l'argent des cours privés, j'ai pu prendre un avion de la compagnie Air Vietnam pour rejoindre Dalat. Melle KIm Loan aussi est retournée avant moi à Dalat, car personne ne l'a avertie qu'elle n'avait plus de poste au lycée Yersin, du fait que les femmes étaient invitées à rester à Saigon. Elle a appris furieuse qu'elle était affectée au lycée Marie Curie de Saigon et elle a juste fait un aller retour sans pouvoir prendre ses affaires au petit lycée. Je ne l'ai pas revue à Dalat. À Saigon elle s'est présentée au lycée Marie Curie pour apprendre qu'elle était affectée au lycée Jean Jacques Rousseau. Bref les nouvelles affectations de postes contrariaient les enseigants. Pour moi pas de problème je croyais retrouver les mêmes classes au lycée Yersin, mais à Dalat, les choses ne se sont pas présentées comme je l'imaginais.