Le Lycee Yersin

Post date: Jan 14, 2013 1:11:39 AM

Lycée Yersin

 

L’auteur, Hoang van Hai, élève du Lycée Yersin en 1958 a été pendant de nombreuses années journaliste à la BBC Londres, section Vietnam. En 1993 il revint visiter Dalat. Voici ses impressions.

Lycée Yersin

Il faut dire qu’on était tous, nous autres garçons, un peu secrètement amoureux de toutes ces jeunes demoiselles du petit ou du grand lycée.

Nous étions un groupe d’amis inséparables, unis, croyions-nous par un destin commun que nous allions forger. “A quoi bon se fatiguer sur tous ces textes anciens puisque nous allons rebâtir le monde selon nos rêves”, me disait un ami.

Mais aujourd’hui, j’étais seul. Seul rescapé du passé, seul après tant de bouleversements, de déchirements. Comme un fantôme insatisfait de sa vie d’ailleurs qui revient chercher une page manquante à son histoire, je me tenais là, submergé par la nostalgie, le coeur envahi d’une immense désolation. Et toujours la même question me hantait.

Mais où donc sont ces amis qui ont fait partie de ma vie au lycée Yersin? Où sont-ils ces jeunes gens et ces jeunes filles, cette belle jeunesse d’alors, laborieuse, heureuse de vivre? Sur quel continent, dans quel pays vivent-ils? Sont ils encore de ce monde des vivants?

Avec qui allais-je partager mes souvenirs?

Par ce bel après midi je croisais des étudiants qui m’apprirent que mon ancien lycée était devenu maintenant une sorte d’école normale où l’on formait des professeurs. Et eux, étudiants d’aujourd’hui attendaient les résultats de leur examen de fin d’études.

Quels seraient leurs destins, me demandai-je, sont ils animés de la même foi, du même enthousiasme comme nous l’étions quand, il y a plus d’un quart de siècle, nous quittions ce lycée?

Les souvenirs enfouis dans ma mémoire s’échappaient des gangues de l’oubli comme par magie. Ils remontaient à la surface et leur nouvelle naissance injectait dans mon esprit par petites doses successives leur pouvoir nostalgique comme des vagues venant mourir sur une grève déserte.

Au loin, au bas de la colline, les fenêtres des villas s’allumèrent. J’étais à l’écoute des souvenirs. J’entendais jusqu’au bruissement du feuillage des arbres qui bordaient la route.

Cette route, combien de fois l’avais-je empruntée, seul, ou avec des amis? De quoi parlions-nous? Quels projets avions-nous échafaudés? Comme tous les jeunes qui ont grandi dans un pays en proie à la destruction, nous rêvions d’un monde meilleur, un monde “normal” où nous serions épanouis, heureux et utiles.

Le destin, la fatalité nous ayant séparés, c’est sur cette route, dans l’émotion provoquée par le télescopage des souvenirs du passé et des images perçues ce soir là que je me pris à rêver de retrouver mes amis du Lycée Yersin, où qu’ils soient, de les réunir chez moi un jour. Je leur ferais fête et je leur dirais:

“Ne croyez pas ceux qui vous disent que dans les rêves les images sont grises. Moi je vous dis que dans mes rêves, les images ont les couleurs vives de l’arc-en-ciel, aussi vraies, aussi belles, aussi inaltérables que l’amitié”.

Hoang van Hai

Lycée Yersin