Dalat Fin

Dalat Fin

Michel Michaut

Dalat - fin

Il était temps que mon séjour à Dalat prenne fin car mes maigres ressources financières ne me permettaient pas d'y rester au-delà des activités scolaires. En effet, avec la fin des cours, arrivait aussi celle des cours privés avec mes deux petits élèves chinois en anglais. Aussi lors des deux dernières semaines, j'ai eu du mal à manger tous les jours à ma faim. Mais j'avais déjà connu des périodes de disette dans mes voyages et cela ne m'inquiétait pas vraiment. Par contre, j'étais heureux d'avoir pu passer mes deux années de coopérant dans ce pays, sans avoir recours au change au noir, ni au change légal d'ailleurs et véçu au détriment d'un pays en guerre, même si ce dernier profitait à plein des bienfaits de la générosité des Américains.

En effet les GI pouvaient acheter tout ce qu'ils désiraient sur place dans le PX de l'armée à des prix bas sans taxes de façon incontrôlée. C'est le bon côté de leur engagement militaire et cela leur permettait d'être généreux envers leurs amis vietnamiens et surtout envers leurs petites amies autochtones comme j'avais pu le remarqué avec la secrétaire hindo-coréenne de la CHPI. Certes tout le monde n'en profitait pas, mais beaucoup en tiraient avantage et le niveau d'acquisition des biens matériels progressait rapidement dans le pays, car les PX étaient le plus souvent pillés et les produits arrivant d'Amérique revendu au marche noir sur les trottoirs des villes. Sur la place Hoa Binh à Dalat on trouvait ainsi tous les produits alimentaires de l'armée américaine en vente libre sur les trottoirs ou dans les boutiques à des prix très bas. Moi-même je pouvais ainsi me ravitailler en boite de conserve de viande ou de légumes. On trouvait aussi tous les produits ménagers, tous les matériels électroniques à profusion et les Français ne se privaient pas d'en acquérir pour les ramener en France.

J'avais hâte que les cours prennent fin pour ne plus avoir à en préparer chaque soir comme de devoir aussi corriger les interro-écrites et les compos.

Pour la dernière semaine de cours, les conseils de classe ayant lieu, la coutume lycéenne veut que l'absentéisme important évite que l'on fasse vraiment des cours, mais plutôt des surveillances. Pour cette dernière semaine, je demandais préalablement la semaine d'avant à toutes les classes, si les élèves comptaient venir au lycée les derniers jours. Je savais qu'ils seraient heureux de déserter les cours. Cela s'est confirmé pour toutes les classes sauf une la 4 M2. Je gardais des élèves de cette classe un souvenir particulier, car une partie des élèves adhéraient au scoutisme. Cela m'étonnait beaucoup de les voir déambuler en costume avec leurs fanions dans les rues de Dalat, car ils ne pouvaient pas sortir dans les campagnes environnantes, zones d'insécurité interdites. Je trouvais ces élèves motivés et courageux pour conserver ainsi la flamme scout en leur cœur. Ce spectacle avait quelque chose d'insolite, rendant ces élèves à mes yeux sympathiques

Donc à ma grande surprise tous les élèves de 4 M 2 m'assurèrent qu'ils seraient présents. lors des cours de la dernière semaine. Préparer les derniers cours de l'année pour une classe, cela n'était pas insurmontable, en plus de remplir les livrets scolaires. 

Mais en réalité les élèves de 4 M 2 m'ont réservé une très agréable surprise lors de cette dernière semaine. En effet, quand je suis arrivé à la porte de leur classe qui était fermée, pas d'élèves alignés par deux dans le couloir. J'ai cru qu'ils m'avaient fait une blague et qu'eux aussi avaient déserté le lycée. Mais quand j'ai ouvert la porte de la classe, je les ai trouvés installés autour d'une sorte de table de banquet constituée par un alignement des tables de cours avec pleins de victuailles et boissons et des assiettes en papier avec les baguettes comme couvert.

Leur famille avait cuisiné un repas d'adieu, intention qui je crois ne s'était jamais produite dans un lycée VN, pour me rendre un hommage, alors que je quittais Dalat définitivement pour m'en retrourner au pays, ayant averti touts les classes de ce non retour et départ définitif, après deux ans de coopération militaire, inscrivant au tableau noir mes coordonnées adresse et téléphone pour ceux qui par la suite viendraient à Paris et souhaiteraient me revoir.

Non seulement la 4 M 2 avait eu cette géniale idée, mais les élèves avaient également racheté leurs cadeaux de noël disparu dans le sinistre de ma villa. Je fus très touché par cette intention, une sorte de remerciement que je ne méritais pas pédagogiquement n'ayant pas été novateur en ce domaine; néanmoins je n'avais Mais une autre incroyable surprise m'attendait. Il est survenu un petit problème de placement de quatre élèves autour de "l'honorable professeur" invité à présider la table. L'enjouée petite Thi My, toujours rieuse, pleine d'entrain, quelque peu persifleuse

d'esprit, sans

la moindre méchanceté, me fit part de l'embarras de filles, à savoir qui aurait le privilège d'être

assis à mes côtés lors du repas. Pour ma part cette question n'était pas difficile à résoudre, puisque deux d'entre elles pouvaient m'encadrer et les deux autres se placer en face. C'est alors que Thi My objecta que cela ne résoudrait rien, car ces demoiselles étaient toutes très désireuses d'obtenir une place de choix. Je ne comprenais pas en quoi cela pouvait avoir une telle importance et la petite Nguyen thi My lança: "Mais Monsieur vous ne comprenez pas, elles en pincent pour vous !". Malgré un éclat de rire général, je restais surpris par une telle déclaration; j'ai cru à une blague, mais ce n'était pas une plaisanterie. J'ai alors voulu entrer dans le jeu et demandant laquelle était la plus amoureuse du prof et à l'unanimité dans un cri de cœur collectif une d'entre elle fut désignée. Toutes ces "amoureuses" étaient visiblement confuses, je conviais l'élève obtenant une telle unanimité à choisir elle-même sa place et désigner celles des trois autres. Mais ce fut une révélation ; j'avais considéré trois élèves comme étant des "favorites" dont l'une dans la 4 M 2, élèves que je désignait pudiquement être les trois grâces à la manière hellénistique antique. Et voilà que je découvrais que certaines élèves me prenaient pour un prince charmant venu d'ailleurs, en fait leur première émotion sentimentale et sans ce repas je ne m'en serais jamais douté, car pour moi les adolescentes vietnamiennes ne pouvaient rêver que d'un prince charmant vietnamien et non d'un étranger. En raison des événements du têt 68 je n'avais pas pu finir mon étude sur les plantations du Darlac. Aussi je suis allé à l'Institut de géographie de Dalat acquérir des cartes au 25.000ème sur la région du Darlac, mais les cartes étaient loin d'être à jour et dataient, alors qu'avec la guerre j'avais cru que leurs mises à jour seraient récentes. Ce lot de cartes roulées et ficelées dans du papier d'emballage constitua le plus lourd élément de mes affaires sur le retour.

Après cette dernière semaine de cours mémorable, ce fut les derniers jours à Dalat. y eut un défilé d'élèves, qui sont venus au petit lycée me dire adieu. Ainsi les deux "jumelles" accompagnées de tous leurs frères que j'avais pour élèves dans différentes classes m'ont apporté un vase en laque ainsi que d'autres élèves qui m'ont offert des assiettes en laque, des vases et autres objets artisanaux. Vraiment ces élèves tenaient à me rendre un hommage particulier, tous regrettant mon départ.

Puis j'ai été chercher mon billet à Air Vietnam pour le dernier matin fin mai. Mais le bus d'Air Vietnam arrivé à l'aéroport a du revenir à Dalat le vol de l'avion étant remis pour l'après-midi. Je me suis retrouvé sur la place Hoa Binh et j'ai rencontré deux élèves de 3 M 2 MT et VL, qui m'ont offert une boisson à la terrasse de café. Puis à l'heure du déjeuner My Ton m'a invité à venir prendre un repas chez ses parents. Avant que je reparte vers l'agence d' Air Vietnam elle m'a gentiment offert une écharpe en laine qu'elle avait elle-même tricoté, une écharpe qui était en fait destinée sans doute à un petit vietnamien, voire un enfant, car à Paris, à mon cou trop petite, je n'ai jamais pu la mettre.

Dans l'après-midi le vol sur Saigon n'a pas été remis et l'avion m'a conduit dans la capitale sans histoire.