Nha Trang , mon premier passage
Le vol de Banméthuot à Nhatrang, seul dans la carlingue de l'énorme cargo US de transport de matériels, ne dura pas une heure et se déroula sans histoire ; aucun tir des VC. Je me suis retrouvé sur la base US de Nhatrang. La porte arrière du cargo s’est abaissée devant quelques employés vietnamiens, ébahis de m’en voir sortir, mais avec mon look américain, ils n’osèrent pas me poser la moindre question. Une fois sur le sol, je les gratifiais d'un salut militaire, heureux de m'en sortir à bon compte et d'avoir pu quitter BMT. Je pouvais enfin rejoindre Dalat, certes avec retard pour la reprise des cours, mais mieux vaut tard que jamais, en espérant l'indulgence de Melle Lamie proviseur, qui ne pouvait pas savoir que BMT avait subi une attaque VC.
Ma première intention fut de rejoindre le lycée français de Nha Trang et trouver là une assistance, car je n'avais pas l'argent pour me payer le moindre transport, ni par avion, ni par route. Je me suis dirigé vers un poste de sortie, franchissant sans encombre les guérites militaires par un nouveau salut en règle. Quel bonheur d'avoir un look trompeur de civil US. J’ai alors réalisé que la base était située en dehors de la ville et que sans transport, il serait difficile de joindre le lycée français. Personne ne pouvait savoir ma venue de Banméthuot aussi, avant de me rendre au lycée, il valait mieux que je m'informe sur les transports civils à Nhatrang. Aussi je me ravisais et décidais de retourner à l'intérieur de la base, passant à nouveau le poste d’entrée en souriant aux gardes, qui venaient de me voir passer, en sens inverse,sans le moindre contrôle.
Sur la grande base américaine de Nhatrang, il me fallait trouver un service de renseignements pour connaître les possibilités de transports en ville et savoir quel parcours je devais prendre de la base pour gagner le lycée. J'ai fait des bureaux et enfin vu au mur une carte de la ville. J'ai vite compris en raison de l’éloignement du point de chute lycéen, que je ne pourrais pas gagner le lycée, sans argent pour prendre un taxi ou un lambretta. Dès lors, il ne fallait me renseigner sur vols de cette ville vers Dalat ou Saigon. Mais je n’ai pas trouvé d’agence Air Vietnam sur la base.
On m'avait indiqué à BTM, qu'il existait deux services de transports l’un militaire, l’autre civil, au sein de la grande base de Nhatrang. Je me suis dirigé vers des bâtiments au hasard et en chemin j’ai demandé où se trouvait les « civil and military opérations offices ». Il y avait bien deux services distincts pour assurer les vols : l’un civil et l’autre militaire. J’ai vite appris que les vols d’Air Vietnam étaient suspendus dans tout le pays, sans encore savoir pourquoi, ni l'ampleur de l'attaque des Vietcongs. Mais j'ai réalisé que ma seule chance de gagner Dalat était de trouver un vol à partir de cette base et qu’il était sans intérêt d’aller en ville espérer un quelconque transport.
Il était plus de 11 heures du matin, quand j’ai commencé ma navette entre les deux patrons de ces services aériens. Le patron du service militaire s’appelait Stand et celui du service civil Dove. Le premier était un fort gaillard originaire du Texas, portant un chapeau de cow-boy, et un bolo en argent en guise de cravate, alors que le second était originaire de la côté Est des Etats-Unis, en costume complet, veston, cravate. Tous les deux m’écoutèrent gentiment, mais ils n’acceptaient pas de convoyer un français à Dalat, ni même à Saigon.
Ils s’étonnaient que les autorités françaises ne prennent pas soin de leurs ressortissants dans des moments où les transports aériens et terrestres au Vietnam étaient temporairement suspendus pour des raisons de sécurité. Je ne comprenais pas très bien ce que cela pouvait sous-entendre, mais je savais que l'administration française n'était pas en mesure de pallier aux besoins inattendus de ses ressortissants.
Chaque responsable des vols de la base me disait que c’est auprès de l’autre service que je pourrais davantage espérer trouver une aide. Je laissais entendre que je devais rejoindre mon poste d'enseignant à Dalat, étant en congé chez des amis à Nhatrang, car il n'était pas question de révéler mon vol clandestin en provenance de Banméthuot. M.Stand disait que la responsabilité de mon transport revenait à Dove chargé des civils, lui ne s'occupant que des militaires, alors que M. Dove disait qu’il ne pouvait pas honorer ma requête, n’ayant pas de vol prévu pour ce jour, m'invitant à revenir demain, sans qu’il puisse m’assurer qu’il pourrait prendre à bord un passager non américain, devant au préalable s’en assurer auprès des autorités compétentes.
Ainsi pendant toute la fin de matinée et jusqu'à l’heure du déjeuner, j’ai fait la navette entre les deux services, en essayant en vain de les amadouer. J’étais dans une impasse et visiblement les deux responsables américains ne voyaient aucun intérêt à faire une fleur à un Français, mal vu en général par les Américains et les Sud-vietnamiens dans ce pays.
Je quittais l’un pour aller relancer l’autre, mais je tournais en rond. J’avais laisser mes affaires dans le bureau du Texas plus sympa et l’heure du lunch arriva et j’ai du attendre trois quart d’heure le retour du mess des officiers pour reprendre mes requêtes.
Puis environ vers 13 heures, alors que j’étais en discussion avec Stand, l’opérateur des vols militaires, je vis son secrétaire vietnamien lui soumettre une feuille de vol à signer avec une liste de cinq passagers. Stand soutenait qu’il n’y avait aucun vol prévu pour Dalat, mais j’ai pu lire à l’envers sur cette feuille "Fly Nhatrang Dalat 13.45" et remarqué les noms de quatre passagers vietnamiens et le nom d'un passager anglo-saxon, M. Grison. Au lieu de mettre en défaut M. Stand, qui visiblement me menait en bateau, j’ai préféré voir ce que le secrétaire allait faire de ce papier une fois signé par son patron.
Le papier signé, le secrétaire retourne à sa place mettre la feuille de vol dans une chemise en carton. Puis un quart d’heure avant l’heure indiquée, il se lève pour quitter le bureau, en saisissant le précieux document. Je décide de le suivre et quitte moi aussi M. Stand, prétextant suivre ses conseils et insister davantage auprès de Dove, en prenant mes affaires. J'emboîte le pas derrière le secrétaire.
Celui-ci se dirige vers un vaste bâtiment, sorte de hangar, à proximité d’une petite station d’avions de touristes. Il entre et en ressort peu après avec quatre vietnamiens qu’il accompagne jusqu’au terrain d’envol. Il présente les passagers vietnamiens à un des deux pilotes, qui attendait au portillon d’une entrée. Après un échange de poignées de mains, le premier pilote regarde la feuille de vol, que lui laisse le secrétaire, pendant que le second pilote emmène les passagers vers un petit avion style commercial. Le secrétaire retourne dans le bâtiment visiblement chercher le passager américain, alors que le premier pilote, lui tournant le dos, regarde son collègue conduire les passagers à l'avion, un petit bimoteur à des huit places, servant au transport des conseillers militaires américains.
Je décide de tenter ma chance, me précipite vers le pilote, me présentant directement à lui, en lui tentant la main, alors qu'il se retourne vers moi.
- M. Grison ?
- Sure !!
- Ok Let go ! It’s time.
Je monte rapidement dans l’avion, les deux pilotes prenant possession du cockpit. Les autres passagers me saluent. Je prends place. Par le hublot je surveille la porte du grand bâtiment d’où le secrétaire vietnamien pouvait surgir avec le dernier passager dont j’usurpais la place. Mon cœur battait très fort, car pris en flagrant délit de vol à la place d’un autre, sans doute conseiller militaire, je ne sais trop ce qu’il pourrait s’en suivre comme punition en temps de guerre. J'espère de tout cœur, que le dernier passager n’apparaisse pas avant que l’avion démarre pour gagner la piste d’envol.
L’avion s’ébranle pour aller prendre place pour s'élancer sur la piste, sans que la porte du bâtiment s’ouvre. Mais rien n’est gagné, car le pilote en fin de piste attend, de la tour de contrôle, l’ordre de s’élancer, sachant que la priorité est aux vols des soldats.
Je devinais que le secrétaire serait étonné de ne pas avoir été attendu et qu’il penserait à une impossibilité pour les pilotes d’attendre au-delà de l’horaire fixé et qu’il n’allait pas comprendre ce loupé et réagir immédiatement. Cela permettrait à l’avion de s’envoler, à condition de ne pas être trop retardé en bout de piste par d'autres priorités et d’autres départs d’avions militaires. Mais la chance fut en ma faveur : aucun contre ordre et l’avion s’est élancé sur la piste et il a pris son envol à mon grand soulagement, sans que la tour de contrôle rappelle le pilote.
Ainsi, en prenant la place d’un conseiller militaire américain, j’ai pu bénéficier d’un vol militaire pour regagner Dalat. Il restait maintenant à ce que les pilotes ne soient pas avertir par radio de l'absence de M. Grison et qu’à l’arrivée à Dalat, me soit demandé ma carte d’identité, ce qui aurait conduit à une arrestation. Tout cela dépendait du temps de réaction du secrétaire vietnamien.
L’avion était un huit places de petite envergure, visiblement très maniable sans doute à vocation normale de vols privés commerciaux, mais utilisé au Vietnam par les militaires pour convoyer du personnel appartenant à l'armée. Les autres passagers vietnamiens ne devaient pas se connaître, car ils n’ont pas parlé pendant tout le vol.
Le voyage se déroula sans histoire et fut de courte durée, moins d’une heure de vol et l'avion a atterri sur l’aérodrome de la base de Cam Ly.
À notre descente d’avion, les pilotes en bas de la passerelle ont poliment serré la main à tous les passagers, leur mission parfaitement accomplie. J’ai espéré pour eux, qu’ils n’auraient pas d’ennuis en raison de ce voyage usurpé.
A suivre…..