Post date: Aug 20, 2018 4:28:56 PM
Elle a eu lieu le 03 août 1966
Coopérant militaire
Je ne sais pas pourquoi certains étudiants universitaires
ont choisi la coopération étrangère
et quelles en furent leurs raisons
plutôt que d'opter pour le service militaire
mais pour mon cas
il faut savoir qu'à 18 ans
âge de l'incorporation militaire
il y avait la guerre d’Algérie.
J'étais alors en classe de première
et pour pouvoir bénéficier d'un sursis étudiant
il fallait suivre pendant deux ans
le dimanche matin de 7 à 13 heures
un enseignement et entraînement militaires
que j'ai effectués au fort de Romainville.
Ce n'était pas de la rigolade,
la discipline militaire était de rigueur
et pour avoir le sursis
il fallait obtenir son diplôme d'officier des armées.
Je ne sais plus quel grade on obtenait
mais ce n'était pas donné d'avance
pas en raison des épreuves écrites de l'examen
relativement aisées
mais physiques
qui se déroulaient au fort de Vincennes
durant plusieurs jours
épreuves physiques diverses,
courses du 100 m et 400 m
et d'endurance 1000 m toutes chrono,
à ne pas dépasser
mais aussi plusieurs sauts d’obstacle
franchissement d'un mur de 2m50
ramper sous des barbelés
et bien entendu
le tir de précision au fusil
le lancée de grenade
et j'en oublie
J'ai réussi cet examen sans gloire
juste pour pouvoir poursuivre mes études universitaires
car je n'aime ni la guerre, ni l'armée, ni les défilés militaires
pas mêmes ceux du 14 juillet.
Heureusement à la fin de mon sursis à 25 ans
plus de guerre d'Algérie ;
mais la perceptive de faire un service militaire
comme officier dans une caserne de province
ne m'enchantait guère.
J'ai appris par hasard que l'on pouvait faire de la coopération
une mission à mes yeux plus séduisante
car rendre service à des pays en voie de développement,
former et leur fournir de futurs cadres,
m'est apparu plus utile que de servir l'armée de mon pays
que je préférais laisser à d'autres.
Je me suis rendu au Ministère des Affaires Etrangères
déposer un dossier en optant pour l'Amérique du Nord
et les highschools dans les réserves amérindiennes
et je me suis retrouvé au Vietnam.
Mes parents étaient violemment contre
en raison du risque de guerre
et m'invitait à faire mon service militaire
comme mon père et mon grand-père
l'avaient docilement fait.
Je suis alors allé au ministère demander
s'il y avait un risque de guerre au Sud Vietnam
Je suis tombé sur un jeune attaché administration
qui m'a assuré que la guérilla ne concernait
que quelques campagnes reculées
et non les villes où se situaient les lycées français
parfaitement sécurisées grâce à la présence américaine
qui tenait la situation bien en main.
"Ah monsieur Michaut vous verrez les chasses au tigre à dos d'éléphant
on ne peut pas oublier ces choses là"
Cela était vrai pour le docteur Yersin en 1925.
mais si les tigres sauvages,
j'en ai vu deux au cours de mon séjour vietnamien,
étaient encore redoutés des planteurs sur les hauts plateaux
la chasse à dos d'éléphant jamais eu occasion d'en voir une.
Je me suis rendu auprès de mon prof de fac en géo M. Delvert,
ancien officier militaire au Vietnam en 1945/47,
lui aussi m’affirma que la guérilla était en voie d’extinction
ne concernant pas les villes comme de son temps
et il m'a proposé de profiter de ce séjour au Sud Vietnam
pour faire une étude pour l'obtention d'un DES sur les plantations du Lam Dong
et ainsi ne pas perdre de temps dans mes études.
Pleinement rassuré j'ai accepté cette destination
malgré l'avis de mes parents persuadés d'un réel danger
surtout deux ans d'affilé.
D'ailleurs la suite leur a donné pleinement raison
il faut savoir qu'avec les événements du têt 68
j'ai été officiellement porté disparu et mes parents avertis de ma mort
les médias françaises ayant beaucoup parlé de mon cas
et de celui de deux coopérants blessés à Nhatrang
ne s'intéressant qu'aux Français résidant au Sud Vietnam
plus qu'à cette offensive VC inattendue.
Je dois ajouter que j'étais totalement ignorant
des conditions d'une coopération
Je pensais que comme "militaire"
ce serait comme à l'armée sans salaire
mais bénéficiant de la gratuité
du logement, des repas à la cantine
et des déplacements justifiés
comme tous les troufions dans le pays.
Ainsi je suis arrivé au Sud Vietnam
sans le moindre argent de poche
sans souci financier
convaincu de cette gratuité militaire.
D'où mon étonnement dès le premier soir à Saïgon
à la cité Larégnère quand on me proposa
une chambre et un repas payants
cela m'a étonné
j'ai pris la chambre mais pas le repas
pensant que militaire je serais dispensé des frais.
Néanmoins le soir même
en rendant visite à des jeunes enseignants coopérants de la cité
ils m'ont mis au parfum
que les tarifs locations de logement étaient faibles
pour tout coopérant militaire ou non
mais que la nourriture était mon affaire, pas celle des lycées,
et que pour l'argent et le transfert de la monnaie
Dieu merci il y avait le marché au noir.
Je dois être le seul coopérant militaire dans ce pays
ayant commencé d'enseigner sans pouvoir se nourrir
de longs jours durant, sans tiba,
sans moyen de transport que ses jambes
mais bien logé dans une superbe Villa rose
d'une concubine de Bao Dai
En plus j'ai été élevé moralement
dans l'interdit du crédit, de tout emprunt financier
et du trafic des changes au noir.
Sur les plantations les week-ends le seul coopérant
aussi à avoir été confronté
à la guérilla Vietcong qui y faisait rage
moi qui voulait échapper à la guerre
j'ai été amplement servi.
Cela dit les voyages forment la jeunesse.
Je ne prétends pas avoir été un bon prof
car sans formation et débutant
j'ai enseigné comme je l'avais été à mon lycée Colbert à Paris
simplement en refusant toute punition et colle
les ayant amplement récoltées de mon temps de collégien
Mais je suis resté intègre
et ce fut pour moi l'essentiel
fier de montrer qu'un Français
refusait tous avantages de voiture
préférant le vélo
simplement préoccupé de remplir sa mission
et de faire cette étude sur les plantations de thé et de café
Par ailleurs en fin de contrat j'ai refusé
de poursuivre une carrière de prof coopérant
comme on me le proposait ardemment
car sur place je me suis vite rendu compte
que cette coopération servait plus les intérêts de la France
que ceux du Sud Vietnam
les lycéens VN partaient pour la plupart
faire leurs études universitaires en France
et restaient ensuite au pays d'accueil
du tout bénéfice pour la nation française
de récupérer de bons éléments.
Mais je ne regrette pas toutes les aventures
et désastres que j'ai vécus durant ces deux ans ;
avec le temps tout devient positif
et je garde un souvenir émerveillé des élèves de Yersin
La villa rose
Après deux jours passés à Saïgon à la cité Larégnière
Je me suis retrouvé dans l'avion pour un vol vers Dalat,
lieu de mon affectation.
J'ignorais tout de cet endroit sinon
que cette localité se trouvait sur les hauts-plateaux
dont je n'avais pas non plus la moindre idée
Les autres coopérants militaires avaient été affectés
à Ngatrang , Hué et Danang sans me rendre compte
comme pour Dalat de leur localisation.
Au Consulat de France l'attaché d'administration chargé de l'accueil
Avait comme principale recommandation
demandé que l'on ne couche pas avec les élèves
du fait que les relations de la France avec le gouvernement vietnamien
n'étaient pas au beau fixe et que de tels incidents déplorables
perturbaient et compromettraient gravement
l'avenir de la coopération dans ce pays.
Cette mise en garde me surprenait beaucoup
En France c'était une époque où jamais
on n'avait encore parlé dans les media
de liaisons sentimentales ou de relations autres
entre profs et élèves
totalement inconnues et taboues.
Mes collègues militaires de la cité Larégnière
m'avaient indiqué les risques d'avoir recours à la prostitution
en raison des maladies vénériennes courantes dans le pays
et que les officiers américains préféraient prendre
une jeune fille vierge comme "seconde épouse"
le temps de leur séjour au Vietnam
et que la meilleure des solutions
pour les célibataires étrangers
était de prendre une tiba également vierge.
A cette occasion je remarquais
que les Français étaient violemment anti-américains
La présence américaine étant selon eux à l'origine
de tous les malheurs et désordres au Sud Vietnam.
Dans l'avion de Dalat un DC 6
De la compagnie Air Vietnam
Qui reliait les grandes villes du pays
à des prix modérés, financés par les Américains
je partais en terre complètement inconnue,
car en France j'avais espéré une affectation au Cambodge
pays sur lequel je me suis renseigné
en achetant un ouvrage de voyage le concernant
alors que ma feuille de route pour le Sud Vietnam
ne m'a pas laissé le temps de m'instruire à son sujet.
Lors de ce vol la chance a voulu que je me retrouve
sur un siège au côté d'un prof M. Berthier
déjà en fonction à Dalat avec sa famille.
Il m'a appris que j'allais enseigner dans le lycée Yersin
Du nom du célèbre docteur ayant découvert le vaccin de la peste.
J'ai vite sympathisé avec ce prof de français, jeune, ouvert
qui avait déjà une carrière de coopérant en Afrique et Vietnam
partageant comme lui de nombreux intérêts communs
comme les sports, la musique classique, la poésie
les actualités et la conquête de l'espace.
Il m'a aussi expliqué que Dalat était une localité connue
pour des villégiatures de vacances
notamment pour le dernier empereur Bao Dai
et qu'à seulement 80 km de la ville se situaient
les plantations du Lam Dong
où je devais entreprendre une étude géographique
conseiller par mon prof universitaire M Delvert
pour passer mon DES.
J'ai cru à une aubaine
mais Berthier m'a immédiatement appris
qu'il était fortement déconseillé aux coopérants
de quitter les villes lieux de sécurité garantis
alors que les campagnes étaient considérées
comme des zones d"insecurited aréas"
en raison de la guérilla VC
et des opérations militaires
des soldats du Sud Vietnam et des GI américains
Pas de chance !!
J'apprenais coup sur coup
que les militaires coopérants ne bénéficiaient pas de la gratuité
du logement, de la cantine scolaire, ni des transports
et voilà qu'en plus quitter les villes était interdit
Tout s'annonçait plutôt mal.
N'ayant rien prévu financièrement
je n'avais même pas de compte en banque en France
ce n'était pas obligatoire surtout pour les personnes
n'exerçant pas un métier,
les salaires encore payés en liquide tous les quinze jours sous enveloppe
les jeunes ne disposaient seulement que d'un livret de caisse d'épargne
sans utilité en cette circonstance.
En plus mes parents répugnaient d'avoir recours au crédit et aux emprunts
selon eux on économise préalablement pour tous les achats,
car mes parents n'appartenaient pas
à la génération de la société de consommation d'après guerre
mais à celle de la thésaurisation du franc or de la Belle Epoque
Je voyageais aussi avec un sac à dos et un sac de couchage
comme pour mes autres expéditions
en Amérique dans les tribus amérindiennes
ou chez les Kalachs dans l'Hindu Kuch
avec un strict nécessaire
réduit à quelques vêtements,
un carnet de voyage, un stylo,
un appareil photos, des pellicules,
un petite trousse d'urgences médicales
et une petite trousse de couture préparée par ma mère.
Un sac à dos léger pour tout déplacement
toujours conservé sur mes genoux même lors des vols
Je n'avais pas pris conscience qu'une coopération
d'une durée de deux n'avait plus rien avoir
avec des absences de trois mois de mon domicile familial
et même la seconde année
ayant bénéficié de vacances d'été
de retour au Sud Vietnam
je n'ai pas voulu m'encombrer de lourdes valises
pour un voyage avion
préférant avoir mon sac à dos comme bagage à mains
ce qui évite d'avoir à aller chercher ses valises à l'arrivée
et de passer ainsi facilement la douane.
Arrivé à Dalat M. Berthier
m'a immédiatement conduit au Lycée Yersin
pour me présenter à M Dupont l'intendant
qui lui m'a conduit
dans sa Citroën à la Villa rose
écrasant au passage un chien
disant que cela ferait un bon repas pour les Tonkinois
L'entrée de mon appartement dans la Villa rose
se situait à l'étage, avec un accès par un escalier latéral
au-dessus du garage
où logeait une famille VN les Poulikaine
Je trouvais bizarre qu'un garage soit considéré comme un logement
et que le locataire de l'entrée principale soit amené
à garer son véhicule dans le jardin
devant l'entrée principale de cette villa
majestueuse et imposante.
L'appartement qui m'était destiné était meublé
avec un vaste salon, une salle à manger,
deux chambres avec chacune une salle de bain et toilette
mais totalement vide de tout ce qui est nécessaire pour y vivre
appareils ménagers, réfrigérateur, vaisselles, ustensiles de cuisine et d'entretien
tout ce qui permet d'avoir une vie quotidienne courante.
M. Dupont m'a remis mon emploi du temps des classes
afin de pouvoir commencer mon enseignement dès lundi
N'ayant que le week-end pour préparer les cours prochains.
Là encore je n'avais prévu aucun manuel ni document à cet effet
croyant que le lycée était doté d'une bibliothèque bien fournie.
Ce n'était pas encore l'époque des CDI dans les bahuts.
Il m'a fallu avoir recours à ma mémoire et à mon acquis universitaire
Qui heureusement à cette époque n'était pas de simples UV
les programmes couvrant d'énormes sujets et périodes
pour les épreuves écrites
comme la colonisation française du 16 au 20 siècles
ou l'art et la société en Europe au XVIII siècle
et pour les oraux l'ensemble des connaissances à avoir
de l'histoire du monde entier
de l'Antiquité à la Deuxième Guerre Mondiale
pour toutes les classes du premier et second cycles
J'ai ainsi passé mon premier week-end en solitaire
à préparer mes cours sans regret,
car c'était toujours la saison des pluies
qui ne m'invitait guère à mettre le nez dehors.
Le problème de l'eau
Arrivée à Dalat sans ressources financières
se posait le problème de l'alimentation en eau et en nourriture
Je ne voulais pas que ma naïveté estudiantine
soit l'objet d'une dérision préjudiciable
à ma réputation d'enseignant
en plus d'être nouveau et débutant ;
aussi je n'ai jamais parlé de ma situation à quiconque
et c'est même la première que je l'évoque
même si mon image risque d'en souffrir
auprès de mes élèves vietnamiens.
Je n'aurais même pas pu avertir mes parents
n'ayant pas la monnaie pour me payer un timbre
et de toute façon quand on a 25 ans
on n'a plus à jouer à l'enfant
et solliciter ses parents ou sa famille
quand on commet une telle bourde
on doit en supporter seul la responsabilité
et s'en arranger sans inquiéter les siens à Paris.
Je savais qu'une déshydratation peut en quelques jours
vous conduire au cimetière,
et que ceux qui entament une grève de la faim
en ont pour une cinquantaine de jours
avant de passer dans l'au-delà.
Ce constat m'accordait pas mal de temps
pour résoudre le problème de la nourriture
mais peu pour celui de l'eau
qui m'est apparu plus urgent.
Chez les Kalashs en très haute altitude montagneuse,
leur vallée étroite de l'Hindu Kuch ne permettait pas
de souder l'alimentation d'une récolte annuelle à l'autre
et la communauté subissait chaque année une inévitable disette
à l'approche des nouvelles moissons en septembre
Pas question d'entamer les premières récoltes avant la fin des moissons
Aussi avec eux j'ai appris à gérer la faim.
Il faut boire beaucoup pour non seulement éviter toute déshydratation
Mais pour occuper l'estomac qui en digérant l'eau évite de crier famine.
Les Kalashs vivent le long d'un torrent
bien alimenté en eau potable par la fonte des glaces
provenant d'un immense glacier himalayen
une eau toujours ruisselante fraîche et limpide.
Mais dans l'avion Berthier m'avait mis en garde
de ne pas boire l'eau du robinet à Dalat
sans la bouillir préalablement
et dans la Villa rose
je n'avais rien à cet effet pour suivre ce précieux conseil.
Mais en août, la moisson n'était pas encore achevée
et l'eau des cieux ne manquait pas
sur une région pas encore trop polluée.
Mais comment la recueillir ?
Je me mis en chasse dans les alentours pour trouver des récipients
Afin de recueillir de l'eau de pluie
et avoir au lycée des suppléments d'eau potable
Ce ne fut pas parfait, mais néanmoins salutaire.
Pour la nourriture le problème fut beaucoup plus préoccupant.
J'ai vite appris que certains profs donnaient des cours privés
Hélas en histoire géo la demande n'existait pas,
ces matières secondaires étant sans grand intérêt
pour la moyenne générale.
En français anglais ou math c'était possible
Mais on ne pouvait pas me prendre au sérieux
dans des disciplines qui n'étaient pas les miennes.
Des heures supplémentaires j'en avais
plus de 22 heures au lieu des 18 réglementaires
mais payés en France
et le Ministère des Finances à du attendre
septembre 1968 et mon retour définitif au pays
pour me payer les honoraires en suspens
suite à l'ouverture tardif d'un compte en banque.
Alors résoudre le problème financier de France
par une combine de marché noir s'avérait impossible
Alors comment faire ?
Un repas mémorable
J'entamais la deuxième semaine toujours à jeune
Sans pouvoir éviter les efforts physiques des trajets
de 30 minutes à pied
entre la Villa rose et le lycée Yersin,
un lycée que je trouvais beau
dans une architecture qui n'avait rien à voir
avec les lycées"prisons" de Paris.
Dans cette deuxième semaine
Berthier m'a invité un soir à dîner
Je le considérais déjà comme un ami ;
néanmoins je n'ai jamais voulu lui parler de mon embarras financier
car il était généreux de nature et il m'aurait avancer de l'argent
et pour moi une amitié se doit de rester sans affaire pécuniaire.
Berthier tenait à me présenter à un ami prêtre missionnaire
Qui s'occupait de lépreux. J'ai même visité cette léproserie.
Berthier fervent catholique, sans être pratiquant,
était très lié aux communautés religieuses dalatoises
admirant le dévouement des missionnaires.
Je souscris pleinement à leur œuvre humanitaire
Mais peu à leur mission d'évangéliser les populations autochtones.
Je n'oublierais jamais ce repas
Non pour la dégustation des mets servis
Dont je n'ai plus le moindre souvenir
mais en raison d'un dérapage inappropriée dans nos conversations
En effet je ne sais plus comment cela s'est produit
mais nous avons longuement débattu
Berthier, son épouse Danielle et moi,
du rapport sexuel,
sans doute en partant des problèmes de prostitution dans le pays
Berthier pestant avec humour contre les pratiques des Américains
à tous les niveaux, GI ou officier.
Ce fut une conversation des plus scabreuses
En débattant sur le problème de savoir
si les femmes ressentaient l'impact de l'éjaculation
Danielle soutenait que oui
Et je refusais de la croire,
Jean Marie déclarant qu'il ne pouvait pas
être juge en ce domaine
n'ayant jamais été sujet à la moindre sodomie
et moi d'ajouter que je n'en savais rien non plus
ayant toujours pratiqué le coït interrompu.
Bref on rigolait comme des fous
quand soudain Jean Marie s'est rendu compte
de la présence du prête qui ne disait rien.
-Mon Dieu mon Père nous sommes confus
de tenir de tels propos qui ne sont pas de votre ressort
- Détrompez vous mon fils le sujet ne m'est en rien inconnu.
- Ah bon rétorquais-je comment cela ? Piqué par la curiosité.
- Sachez mes enfants qu'avec la confession
les femmes qui font l'amour
se posent la question de savoir si elles sont des pécheresses,
risquant de se retrouver en enfer et non au paradis.
Bien sûr l'Eglise n'interdit pas le rapport sexuel d'un couple marié
mais à condition qu'il s'effectue comme acte de procréation
-Ah je vois! Si une femme fait l'amour pour le plaisir elle va tout droit en enfer
-Vous avez tout compris mon fils !
Difficile d'oublier cette circonstance inhabituelle lors d'un tel repas
qui m'a donné l'occasion de constater le train de vie des coopérants
Le repas était copieux en mets vietnamiens et français
Pas de vin, mais de la bière 33 vietnamienne que je découvrais.
Berthier se défiait des bouteilles de vins que l'on disait importées de France
Il avait raison car depuis l'arrivée des Américains cela était devenu interdit
Et les Chinois avaient pris le relais pour ravitailler le marché en vins frelatés
à base d'alcool de riz dans des bouteilles admirablement imitées
Une contre façon parfaite de forme
mais pas pour le contenu qui tournait vite les têtes.
J'ai la fâcheuse habitude de manger vite.
Mon père me disait souvent : "Arrête de manger avec un lance pierres"
Et ma mère : "Cesse d'avaler. Rien ne presse"
Je n'ai de toute mon existence jamais vue
une autre personne manger plus vite que moi ;
une déplorable habitude devenue une seconde nature.
Ce soir là ce fut je l'avoue un sérieux avantage
Mon assiette se retrouvant sans cesse vide
les autres toujours bien remplies.
amenait la maîtresse de maison à en reprendre
et je ne me faisais pas prier,
ni pour les entrées, ni pour le dessert.
Les mets étaient délicieux et je félicitais Danielle
qui déclara n'y être pour rien,
cela était du au savoir faire de sa tiba cuisinière
J'ai fais venir cette tiba pour lui dire toute ma satisfaction
Danielle était très contente de ses trois tibas
Les deux autres l'une pour la surveillance de ses deux enfants en bas âge
Et l'autre pour les courses et le ménage
Jean Marie souligna l'importance de bien choisir les tibas
car sans elles la mission d'enseigner seraient difficile.
Je m'en rendais déjà compte. Comment faire les courses
quand on enseigne à longueur de journée ?
Une tiba était indispensable pour assurer l'intendance
comme ma mère pour que je puisse faire mes études.
Ce fut le seul repas des trois premières semaines à Dalat
Ma mère disait souvent que "J'étais né sous une bonne étoile",
réussissant à sortir de situations cocasses et inattendues
mais à partir de la troisième semaine
je commençais à flipper,
car enseigner fatigue, débout à parler continûment
plus les longs trajets à pied entre la Villa rose et le lycée
je n'en menais pas large.
Seulement voilà
Zorro est arrivé
Sans se presser
Sans son beau cheval blanc
Ni son large sombrero
Ni son épée vengeresse
Mais avec sa Citroën 11 CV.
Une salutaire reconnaissance
Un matin je descendais le chemin de terre de la Villa rose
conduisant à la large avenue Tran Hung Dao
afin de me rendre au lycée.
Il pleuvait dru et pour me protéger
je n'avais qu'un béret et un petit et court imper d'été
qui depuis longtemps avait perdu son imperméabilité
et une fois de plus j'allais me retrouver
mouillé comme de la soupe pour donner mes cours.
Quand derrière moi arriva la Citroën de M. Leblanc
prof d'anglais, un hindou dont le nom soulignait
l'origine de sa race noire.
Il occupait le rez-de-chaussée de la Villa rose
et son entrée principale
Comme moi il se rendait au lycée
et croisait mes pas pour la première fois.
Il m'invita à prendre place à ses côtés dans son véhicule
Et me proposa d’emblée, si nos horaires étaient semblables,
De me convoyer le matin au lycée,
ce qui pouvait se faire deux fois par semaine
Toujours cela de pris, afin d'éviter la pluie.
La fois suivante il me dit
Que deux petits élèves chinois en cinquième
maîtrisant difficilement le français et plus encore l'anglais
avaient besoin d'urgence de cours d'anglais et de français de rattrapage
Mais que lui en avait déjà trop pour se charger de cette mission
Il me proposa de m'en charger et selon lui
Cela me permettrait d'arrondir mes fins de mois.
Pour deux cours d'une heure par semaine
Je recevrais 10.000 piastres.
Le salaire d'un enseignant sous contrat
en langue vietnamienne étant de 24.000 piastres
J'ai accepté à une condition
d'avoir au départ une avance de 5.000 piastres
car je savais que le salaire d'une tiba était de 3000 piastres
M. Leblanc s'est chargé de l'affaire
et les cours ont commencé dès la semaine suivante
Donnés le soir dans une salle de classe du lycée.
J'ai conservé un très mauvais souvenir
De mes cours d'anglais au lycée Colbert à Paris
ne voyant pas à cette époque la moindre utilité
d'apprendre une langue étrangère.
J'ai été un élève particulièrement médiocre en cette matière nouvelle
mais mes voyages en Amérique en première et terminale
m'avaient permis de bien me débrouiller dans le langage parlé
aussi j'ai eu l'idée d'appliquer un jeu théâtral de dialogues
sur un sujet et un vocabulaire traduit en début de séance
avec des explication de grammaire comparatives
Les deux élèves chinois timides au départ
se sont vite mis à converser en anglais
au fur et à mesure qu'ils maîtrisaient la grammaire
La seconde année ils n'avaient plus besoin de cours
mais ils ont voulu me conserver comme prof d'anglais "adjoint"
ce qui fait que je n'ai plus eu de problème financier jusqu'au têt 68
car après les événements mes petits chinois sont restés à Saigon.
Cette commande de cours inespérée
Me permettait enfin je pouvais recruter une tiba
Pour régler le problème de l'intendance.
Ma vieille et souriante Tiba
Pour avoir une tiba à mon service
je me suis adressé à Mme Poulikaine
qui a bien voulu se charger de trouver des candidates
Très vite en rentrant le soir du lycée Mme Poulikaine
me présentait une ou deux jeunes filles
parlant le français.
J'étais déjà très sensibles au charme asiatique
Les jeunes filles étaient souvent ravissantes
et séduisantes à souhait.
Elles n'avaient pas référence professionnelle
mais Mme Poulikien m'assurait
que ces jeunes filles, parfaitement éduquées par leur mère,
savaient tout faire et seraient à mon entière disposition.
L'appartement pouvait loger une tiba dans la seconde chambre.
Je prenais soin de faire visiter les lieux à ces jeunes candidates
Qui toutes se disaient prêtes à me servir.
J'avoue que la tentation fut grande
De me conformer à cet usage encore fort répandu
D'employer une jeune personne pour une double mission
Par la suite j'ai rencontré dans les plantations
un planteur d'origine corse qui vivaient avec huit femmes
les ayant toute au départ recrutées comme tiba
me disant qu'il ne faisait que suivre
une tradition vietnamienne ancestrale
qui avait tendance à se perdre
d'avoir autant d'épouses que ses moyens sexuels
et financiers le permettaient.
C'était je l'avoue un cas étonnant
les autres planteurs
n'ayant le plus souvent qu'une compagne.
J'étais dans l'embarras
comment choisir et surtout
comment ne pas abuser d'une telle situation ?
Finalement j'ai demandé à Mme Poulikaine
de trouver une personne âgée
ayant de l'expérience afin d'être sûr
de ne pas me compromettre.
Dès le lendemain se présenta une vieille dame
souriante ne parlant pas un mot de français
dont il était difficile de deviner l'âge,
mais visiblement bien au-delà de la soixantaine
Elle provenait de chez les bonnes sœurs
où solitaire elle était à charge.
Voilà qui me convenait pleinement
rendre service en donnant un emploi
à une personne qui n'en espérait plus.
Elle a pris son service le soir même
Je lui donnais immédiatement les 3000 piastres
sans attendre la fin du mois
Et ensuite chaque matin au petit déjeuner
elle me réclamait 100 piastres pour les courses.
Je me suis très aperçu
qu'elle était extrêmement débrouillarde
Car sans me réclamer le moindre surplus
elle est parvenue à équiper la cuisine
Avec un fourneau à charbon de bois et casseroles
Et sans doute bien d'autres choses en ustensiles.
De mon côté j'ai acheté pour les repas
une assiette, des couverts, un verre,
un bol pour le petit déjeuner
et deux tasses à thé en cas de visite
juste le strict minimum.
Cette tiba m'a même trouvé une moustiquaire
sans doute récupérée d'occasion, car elle avait un trou
J'ai confié ma trousse de couture à ma tiba
en lui montrant le trou pour le boucher avec du fil
et là j'ai vu qu'elle était mal voyante
ne pouvant pas faire des travaux de précision visuelle
Je l'ai fait moi-même, elle me regardant faire.
Dès lors je ne lui ai plus jamais rien demandé
la laissant pleinement à faire la cuisine,
m'occupant moi-même de l'entretien
de ma chambre et de la salle de bain.
On se communiquait par gestes
j'avais appris avec les Amérindiens
bien des gestes de leur langage des signes
et la tiba s'est vite familiarisée avec ce mode de communication
Je n'ai jamais eu à lui faire la moindre remontrance
Elle devenait une sorte de grand-mère que je n'ai jamais eu.
Chaque matin, elle me servait le petit déjeuner
Elle achetait une boite de lait condensé Nestlé
pour un café au lait et du pain à la française beurré
Les repas comportaient
des mets vietnamiens, mais aussi français.
Avec elle j'ai découvert les fruits tropicaux
pour moi totalement inconnus :
Mangue, papaye, litchi, avocat et kiwi
en plus des fruits familiers comme l'orange ou la banane.
Ce qui m'a le plus frappé c'est son extrême discrétion
je ne sentais jamais sa présence,
même en me servant à table, elle disparaissait invisible ;
je devais souvent l'appeler, ne sachant jamais où elle pouvait bien être
Avec elle j'avais l'impression d'être seul, tranquille,
Sans domestique à mon service.
Un soir je venais de rentrer du lycée
quand elle est venue me faire signe dans ma chambre
que j'avais de la visite.
Deux de mes élèves de seconde attendaient
assises sagement dans le salon, déjà devant une tasse de thé.
Elle venait m'avertir qu'une de mes élèves de cette classe
allait devoir quitter le lycée,
ses parents acceptant une offre financière très généreuse
d'un colonel américain désireux d'avoir une gouvernante
pour gérer l'intendance de son séjour au Sud Vietnam ;
en fait j'ai vite compris afin d'avoir seconde femme à son service
Mes élèves me demandaient d'intervenir.
Je trouvais étrange qu'elles viennent à moi
alors que bien d'autres profs étaient plus à même d'être sollicités ;
mais elles avaient entendu parler de l'incident
du manuel d'histoire "La France et ses colonies"
datant de 1929 en classe de troisième
et elles pensaient que j'étais déterminé à régler
les problèmes délicats dans mon entreprise d'enseignant.
Je pensais naïvement qu'il suffisait que cette élève refuse
En fait elles m'ont expliqué qu'une quelle offre
permettrait à sa famille de pouvoir financer
les études supérieures à l'étranger
de ses autres frères et sœurs déjà au Lycée
et que par solidarité familiale
elle ne pouvait guère refuser.
J'ai accepté la mission et elles m'ont donné
les adresses de la famille et de l'Américain.
Je me suis seulement rendu chez cet officier
surpris de voir arriver un prof du lycée français
mais cordial et accueillant
il m'a offert un appéro dans son living somptueusement équipé.
Il était déjà marié et j'ai découvert qu'il était originaire du Vermont
où j'avais travaillé comme saisonnier dans une ferme lors des moissons
Il fut ravi que je connaisse son Etat d'appartenance.
On a comparé les paysages des Appalaches
à ceux, pour moi familiers, de la Creuse dans le Massif Central
et cela a bigrement facilité ma mission.
Sans réprouvé sa requête,
j'ai simplement indiqué qu'il serait sans doute plus opportun
de s'adresser à une famille
typiquement vietnamienne à faible revenu,
qu'à une famille VN francisée du lycée,
compromettant l'avenir scolaire de l'élève.
On s'est quitté lui promettant de réfléchir,
Moi espérant qu'il change de cap.
Comme mon élève n'a pas disparu des cours
Je pense que l'affaire s'est réglée autrement.
Tout allait bien :
la semaine au lycée, les week-ends sur les plantations,
quand en février 67
survint une énorme surprise !!
Un coopérant venu d'Afrique
Dans l'appartement de la Villa rose que j'occupais
il y avait deux chambres chacune ayant une salle de bain et toilette
La tiba n'a jamais occupée la seconde chambre
et je n'ai jamais su où elle dormait dans l'appartement.
En février 67, M. Dupont, sans me prévenir, m'a adjoint
un coopérant, prof d'anglais,
Qui a débarqué pour partager mon logement
en raison de cette seconde chambre individuelle.
Ainsi un soir en revenant du lycée
j'ai trouvé déjà installé dans l'appart
un compagnon coopérant
occupant la seconde chambre.
En plus il avait déjà viré ma tiba
et trouvé une jeune pour la remplacer.
Un individu sans gène
provenant d'une longue coopération en Afrique Noire
Un super néocolonialiste ne se cachant nullement de ses idées
Considérant les Vietnamiens comme des indigènes
Sans voir de différence avec les ressortissants africains
Naturellement je n'ai pas apprécié sa venue
Je m'en suis plaint auprès de l'intendance
Mais pour eux il n'y avait aucune autre solution pour loger cet intrus.
J'ai refusé sa nouvelle tiba qu'il disait bien plus compétente que la vieille.
Néanmoins, il n'était pas possible de loger deux tibas.
On a finit par trouver un accord :
je refusais de participer au traitement de cette jeune tiba
mais acceptais de lui donner journellement
la même somme que la mienne me réclamait pour les courses
et d'avoir des repas identiques à ceux de mon ancienne tiba,
redoutant un train de vie autre, dépassant mes modestes revenus
car le nouveau coopérant s'est vite engagé
dans un train de vie alimentaire
plus adapté selon lui à son rang de Français.
Mais très vite la nouvelle tiba nous a servi déjeuner et dîner semblables
et je me suis contenté de ne jamais consommer plus qu'avant,
surtout au petit déjeuner devenu copieux,
auquel s'ajoutait jus de fruit et autres condiments.
Finalement j'ai du m'accommoder de cette présence
par ailleurs très instructive sur les mœurs des coopérants d'Afrique
dont ils me parlaient très souvent
car je voyais bien qu'il regrettait l'Afrique
et ne se plaisait guère au Vietnam.
Pour l'anecdote j'ajoute qu'un soir il était de sorti,
me doutant bien qu'il devait faire faire
des heures supplémentaires à la jeune tiba,
j'ai demandé à cette dernière si devoir s'occuper
de deux coopérants n'était pas une charge trop lourde et fatigante.
-Non Non ! Pas du tout, du fait que vous n'êtes pas exigeant
comme votre collègue.
- Mais je ne parle pas de votre service de jour, mais celui de nuit
- Ca va ! Il fait trois fois boum boum la nuit, deux fois par semaine.
J'ai trouvé ce "boum boum" pudique, astucieux et mémorable.
J'ai repris à mon service ma vieille tiba
pour la seconde année de coopération.
J'ai appris qu'elle donnait sa paie aux bonnes sœurs
ce qui m'a paru logique.
Aussi de retour en France j'ai été place Saint Sulpice
acheté un magnifique crucifix en bronze
sur une croix de bois finement ciselée
qui normalement se fixe au dessus du lit pour faire sa prière.
Au retour quand je le lui ai offert
elle a pleuré d'émotion : un véritable trésor à ses yeux,
et toutes les nuits elle a dormi le crucifix dans ses bras.
Hélas les événements du têt 68,
Elle de garde, moi sur les plantations à Baméthuot
ma villa pillée et détruite,
j'ai perdu de vue ma tiba,
sans pouvoir recueillir aucune nouvelle d'elle.
Ce sont là mes débuts d'enseignant au lycée Yersin
Il me restait qu'un problème à résoudre celui des déplacements
N'ayant pas la possibilité d'avoir un véhicule motorisé
J'envisageais le recours de prendre une bicyclette ;
mais ce fut plus compliqué que prévu
Et pour ceux qui n'auraient pas lu l'article
Sur le vélo à Dalat,
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