A Fontaine, on ne se dépêche pas

Il y a comme ça des endroits dont on ne se lasse pas, où l’on revient chaque fois. J’ai, et j’aurai, toujours ce sentiment face à Fontaine-de-Vaucluse. Tout d’abord il y a bien sûr ce miracle de la nature qu’est la résurgence de la Sorgue. J’aime m’y rendre de bonne heure, au moment où le monde n'y afflue pas encore, lorsque le soleil se lève au-dessus de la haute falaise qui se colore à cet instant d’un jaune doré inimitable. C’est le moment idéal de s’asseoir en face du gouffre, de regarder l’eau d’un vert bleuâtre et de méditer sur sa bien-aimée, comme l’a fait sans doute Pétrarque 650 ans avant nous.Mais ce qui m’attire d’autant plus à Fontaine c’est sa nonchalance naturelle, qui se reflète dans les gestes des papetiers au moulin à papier et même dans les mouvements et le sourire stéréotypés des contractuels en uniforme de la commune lorsqu’ils indiquent pour la 120ième fois à un touriste danois où il doit stationner.
En effet, la petite ville semble être faite pour le calme, peut-être par opposition à l’énervement de l’eau de la Sorgue lorsqu’elle jaillit du sol en mille endroits. J’ai eu un magnifique exemple de cette nonchalance, il y a quelques années.
C’était le samedi de “la fête votive”, l’événement annuel par excellence du village et ce fut avec beaucoup de plaisir que je commandai un Vieux Marc lorsque Thierry, le serveur toujours souriant du restaurant "Pétrarque & Laure" me demanda si je prenais du café après un excellent repas, composé d’un foie gras, d’une croustade de moules, d’un gigot à la provençale et d’une délicieuse mousse au chocolat. Je sentais jusque dans mes veines l’odeur des vieux fûts de chêne en faisant fondre un morceau de sucre dans l’eau de vie délicate. Ce fut toute la région qui s’offrait à moi et je m’installai encore plus confortablement à ma table de terrasse habituelle près de la roue à eau.
A ce moment Thierry me demanda "Tu viens à la course des garçons après-demain?"“La course des garçons de café” est pour ainsi dire l’événement phare de l’année, doté de nombreux prix en nature sous la forme de Pastis 51, Ricard ou Casanis.Je fus tout de suite d’accord et je lui promis même de venir avec ma caméra pour le filmer, car il se disait grand candidat à la victoire. On se donna rendez-vous, Place de la Colonne, à 16 heures le surlendemain.Le lundi, j’arrivai à 15 heures et demie à Fontaine afin de pouvoir installer ma caméra à un endroit stratégique. Quel fut mon étonnement lorsque je vis la circulation se dérouler comme d’habitude au rond point de la Place de la Colonne. Il n’y avait pas la moindre trace d’un parcours d’obstacles et à la "Terrasse-Bar", ainsi que dans les autres établissements, tout allait de son train normal sans qu’un garçon ou une serveuse ne s’apprêtât à s’engager dans une compétition quelconque.Finalement, je me rendis chez "Pétrarque & Laure" où Thierry me criait déjà : "A tout à l’heure". Lorsque je lui dis: "Je croyais qu’on commençait à 4 heures", il me dit laconiquement: "Bon Dieu, pour un habitué de la région, tu devrais te rendre compte que tu es en Provence, mon cher!". Effectivement, j’avais encore une fois oublié qu’ici les heures ne comptent pas forcément 60 minutes et que "ça s’arrange toujours".Et ce lundi tout s’est arrangé, après de longues discussions entre Rémy et ses collègues du comité organisateur sur l’emplacement idéal de la chicane ou des tréteaux et sur la question si les concurrents devaient oui ou non aller chercher un macaron chez Bubu avant de faire demi-tour. A propos, pour la petite histoire, Thierry a bel et bien remporté l’épreuve devant Julien Lozano de la "Terrasse-Bar".