La nature est morte 2

Photo: Julie Boulé

Avertissement - Ce texte a été produit au début des années 90 dans la deuxième partie de l’atelier au cours duquel j’ai écrit La nature est morte, et n’a pas été retouché. Il a seulement été tapé tel qu’il a été écrit.

Le cri d’un oiseau m’avait inspiré La nature est morte, qui à son tour m’a inspiré une partie de ce texte-ci. Ça, et aussi une expérience d'hôtel vécue en Abitibi…

La nature est morte 2

La bouche ouverte, immobile, mais aucun son ne sort de ses entrailles. Il est là, dans la neige, derrière l’hôtel, faisant désormais partie du paysage, jusqu’à ce qu’on le retrouve.

Il était arrivé vers 18 heures, il faisait noir, il faisait froid. Une fin novembre hors du commun. C’était la première fois qu’il venait prospecter dans le coin, dans le but de trouver des gens compréhensifs qui lui achèteraient des assurances.

Il était loin de chez lui, dans un trou minable, dans le nord. Il faisait froid, la chaufferette de la voiture fonctionnait mal, et de plus, le seul hôtel qu’il ait trouvé pour passer la nuit était ce qu’il y avait de plus infect.

Les murs de la chambre qu’on lui avait louée n’avaient plus de couleur, le lavabo ne brillait plus, une ampoule nue essayait de briller au plafond. On avait l’impression que ça avait été construit comme ça, comme un décor de théâtre. Il eut alors une envie irrésistible de descendre au bar se saouler pour oublier cette journée, et aussi pour être capable de dormir dans cette affreuse chambre où personne n’aurait été capable de dormir à jeun.

En descendant il put voir une « foule » d’environ 25 personnes, foule assez considérable, compte tenu de l’endroit où il était.

Tous des hommes dans la cinquantaine et plus, mis à part un seul jeune, qui n’a probablement pas l’âge d’être là, et qui s’amuse sur une machine à boules. Mis à part aussi la barmaid, une femme dans la quarantaine qui, bien que pas laide, affichait des signes d’usure…

Elle semblait être pour tous ces hommes ce qu’est l’ampoule au plafond de sa chambre : la seule lumière qui puisse réconforter quelque peu.

Un pot. Deux. Les gens acceptent bien l’étranger, il est même assis à une table en bois, où il reste quelques signes d’une peinture noire, avec un petit groupe d’hommes qui lui ont demandé qui il était et d’où il venait. Ce contact avec des humains, et la chaleur étouffante du poêle à bois, lui font du bien. On se rappelle soudain le froid lorsque quelqu’un fait surgir une bourrasque quand il sort. Car personne n’est entré depuis qu’il est là. À croire que ces hommes sont gracieusement fournis par l’hôtel pour tenir compagnie aux étrangers, dans ce coin qui n’apparait probablement sur aucune carte.

Mais contrairement à ce qu’il aurait pu penser, tous ces gens sont amicaux. Ce n’est pas toujours vrai que dans les petits villages les gens se méfient des étrangers.

Un troisième, un quatrième pot. Tout le monde à la table s’est engagé à en payer un; ils sont cinq. Et ils ont bien du plaisir.

Une soirée entre nouveaux amis, où le temps ne compte plus.

Une circulation régulière des différentes tables aux toilettes crée un mouvement agréable; tout compte fait, c’est un chouette petit bar.

Finalement, chacun a payé deux pots; ils sont tous ivres, la barmaid fait son dernier appel. Un pot est commandé. Par formalité. Personne ne boit vraiment, ils ne trempent que leurs lèvres. Le pot pourrait ainsi durer des années.

Des adieux chaleureux, tout le monde est frère.

L’escalier se monte pas trop mal, à condition de se pencher vers l’avant et de ne pas aller trop vite.

La porte s’ouvre, mais ne laisse sortir aucun grincement. Il fallait qu’il soit saoul pour se rendre compte qu’au moins, la porte était bien huilée. Car la chambre n’a pas changé. Il éteint aussitôt la lumière pour se rendre le plus vite possible au lendemain matin. Une autre journée de prospection l’attend. Pensée néfaste qui le ramène sur terre.

Un bruit sur la fenêtre. Un oiseau attiré par la lumière et cherchant un peu de chaleur s’est fracassé sur la fenêtre au moment où la lumière s’est éteinte.

La bouche ouverte, immobile, mais aucun son ne sort de ses entrailles. Il est là dans la neige, derrière l’hôtel, faisant désormais partie du paysage, jusqu’à ce qu’on le retrouve.

Un chat affamé, peut-être.