Le rat

Chacun de ses petits pas créait de fines gerbes dans l'eau glauque, alors qu'il faisait son chemin au travers des détritus - microbe parmi les microbes.

L'odeur nauséabonde, l'humidité infecte, le liquide innommable dont la circulation constante engendrait un bruit de fond emplissant l'écho des canaux souterrains, voilà quel était son monde.

Lorsqu'il passait sous un caniveau, la lumière découpait son ombre maigre sur les parois humides de l’égout, véritable ville sous la ville, où il vivait de jour. Cette lumière le faisait fuir, craignant les violentes réactions de dégoût des gens qui risquaient de le voir, recherchant plutôt les sécuritaires zones sombres et ne sortant qu'à la nuit venue pour se nourrir dans les poubelles.

Parfois, il se figeait et ses poils se hérissaient quand les voix de grands hommes se répercutaient dans les tunnels - la voix d'égoutiers râlant leur misère.

Heureusement, petit, gris et agile comme il est, il passe presque inaperçu, car il peut se cacher dans le moindre recoin.

Il est un rat.

À huit ans, c'est ainsi que se perçoit un gamin juif vivant dans les égouts de Lvov en 1943.

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Note: j'ai fait cette courte histoire sans savoir si ça se tenait debout, juste pour le plaisir de mettre par écrit des images qui m'étaient venues dans le bus, et dont j'ai écrit l'essentiel en entrant dans la maison. Pour la phrase de la fin, je pensais que ce serait un orphelin à Paris au 19e siècle, mais après avoir fait quelques recherches rapides, je me suis aperçu que ce n'était pas nécessairement réaliste. J'ai cependant découvert la vraie histoire d'une petite fille ayant survécu à l'holocauste dans les égouts de Lvov, une ville qui à l'époque appartenait à la Pologne. C'est ce qui a inspiré la fin, plus crédible. Et peut-être plus prenante.