Histoire ancienne

Photo: Julie Boulé

Attention, cette histoire a été rédigée lors d’un atelier d’écriture de 90 minutes (que j’avais animé) dont le thème était « L’inspiration par l’objet », et n’a pas été retouché. Le texte a été retranscrit tel qu’écrit à l’époque.

Lors de cet atelier, j’avais emmené plusieurs objets de toutes sortes, et chaque participant devait en choisir un comme base pour écrire son texte. Moi j'avais choisi une médaille pieuse. Je voulais vous la montrer, mais j'ai passé la soirée à la chercher sans la trouver... D'habitude je garde tout et je sais où sont mes choses, mais celle-là... Peut-être la retrouverai-je de la même manière que le personnage principal de l'histoire...

Histoire ancienne

Aujourd’hui, la forêt a été généreuse : Giuseppe a tué deux lièvres et une perdrix.

Giuseppe ne pose pas de collets : « Ça ne donne pas de chance à l’animal », dit-il, lorsqu’on lui demande pourquoi il agit ainsi.

« Si je lui tire dessus, il est possible que je le rate, alors qu’installer un piège dans un passage fréquenté, c’est traitre. Ça ne donne pas de chance à l’animal. »

Giuseppe est un immigré italien arrivé ici depuis vingt-cinq bonnes années. Un visage sculpté par les froids hivers auxquels son pays d’origine ne l’a pas habitué, des mains forgées par le bois qu’il a travaillé, et un ventre gonflé par l’alcool qu’il s’est fabriqué.

Il avait travaillé 7 ans comme bûcheron dans le nord, pour nourrir sa famille qui avait quitté l’Italie avec lui. La septième année, sa femme partit avec un commerçant du village, qu’elle fréquentait secrètement depuis deux hivers de bûchage.

Imaginez votre sacre préféré dit dans un franco-italien assaisonné, suivi du nom de sa femme (Angela) et vous avez les 18 années qui se sont écoulées jusqu’à aujourd’hui.

Depuis sa séparation d’avec sa femme, Giuseppe vit reclus dans la forêt, vivant et se chauffant de son produit. Et il déteste toujours sa femme. 18 années où rien de spécial n’est arrivé.

Revenons alors à sa chasse d’aujourd’hui. Parti vers 2 heures de l’après-midi, après avoir coupé son bois de chauffage, Giuseppe a déchargé son fusil trois fois, tuant autant de victimes. Un tireur d’élite.

C’est même à se demander si les animaux n’auraient pas plus de chance avec des collets…

Il revint donc à sa cabane aux environs de 3 heures et quart, 3 heures et demie. Peu de neige au sol en ce début d’hiver, ce qui facilite les déplacements, ne nécessitant pas de raquettes.

Les pentures épaisses de la lourde porte craquèrent lorsque Giuseppe l’ouvrit. Un bruit se fit alors entendre. C’était sans doute la penture inférieure qui avait laissé tomber une grosse vis. La vis. Giuseppe la réinstalle chaque fois, sachant qu’elle retombera à sa prochaine sortie.

Giuseppe dépose son butin sur la table de bois massif, puis se penche en cherchant la vis. Ne la trouvant pas, il regarde alors la penture : miracle, la vis est encore là!

« Mais c’était quoi ce bruit là, d’abord? » s’interroge-t-il.

Plus loin, près de l’imposant poêle à bois, avait roulé un large cercle métallique . Une médaille.

« Bonne Sainte Anne de Beaupré, priez pour nous » lut Giuseppe. C’était écrit en français, dans un caractère gothique, autour de l’image de la sainte.

Giuseppe contempla longuement la médaille en relief où, dans les endroits plus creux, subsistait une défunte peinture rouge clair. Il finit par remarquer qu’il y avait déjà eu un anneau sur la médaille, anneau qui avait été cassé.

« Mais d’où ça vient? » Question fort à-propos, puisque pour un italien, Giuseppe n’était pas particulièrement dévot et était loin de collectionner des médailles pieuses.

Ne pouvant trouver de réponse, il mit quelques bûches dans le poêle, après avoir soigneusement brassé le feu qui restait. Puis il se mit à dépecer les animaux.

Il attacha un des lièvres par les pattes pour le défaire de sa peau.

Kling! Une petite chaîne. Par terre.

Giuseppe la vit sortir de l’oreille du lièvre.

Il sacra. Puis il prononça le nom de sa femme.