Voici le début du roman L’Ile au trésor de Stevenson, dont nous avons déjà étudié un extrait (« Un témoin en danger »). Jim Hawkins est le héros de cette aventure. Le jeune garçon découvre la carte au trésor du Capitaine Flint dans le coffre du pirate Billy Bones dans de tragiques circonstances. C'est alors le début des aventures à ytravers les océans à bord de l'Hispaniola, à la recherche du plus fabuleux des trésors: pirates, mutineries, tempêtes, batailles, trahisons, code de l'honneur et inattendus vont être le nouveau quotidien de Jim au côté du célèbre pirate Long John Silver.
Lisez l’extrait puis répondez aux questions sur votre cahier en faisant des phrases complètes. N’oubliez pas de chercher dans un dictionnaire (et de noter) la définition des mots que vous ne connaissez pas.
Monsieur Trelawney, le docteur Livesey et tous ces messieurs m’ont demandé d’écrire ce que je sais concernant l’île au trésor, du commencement à la fin, sans rien oublier à part la position de l’île, et cela uniquement parce qu’il s’y trouve toujours une partie du trésor. Je prends donc la plume en cet an de grâce 17…, et commence mon récit à l’époque où mon père tenait l’auberge de l’Amiral Benbow, en ce jour où le vieux marin, au visage basané et balafré d’un coup de sabre, vint loger sous notre toit.
Je me le rappelle, comme si c’était d’hier. Il arriva d’un pas lourd à la porte de l’auberge, suivi de son coffre de marin posé sur une brouette. C’était un grand gaillard solide, aux cheveux très bruns tordus en une queue poisseuse qui retombait sur un manteau bleu malpropre ; il avait les mains pleines de cicatrices, les ongles noirs et déchiquetés et une balafre à travers la joue repoussante.
Tout en sifflotant, il parcourut la crique du regard, puis de sa vieille voix stridente et chevrotante qu’avaient rythmée et cassée les manœuvres, il entonna cette antique rengaine de matelot qu’il devait nous chanter si souvent par la suite :
Nous étions quinze sur le coffre du mort…
Yo-ho-ho ! et une bouteille de rhum !
Après quoi, avec son bâton, il frappa contre la porte. Puis, il commanda brutalement un verre de rhum. Aussitôt servi, il le but posément et le dégusta en connaisseur, sans cesser d’examiner tour à tour les falaises et notre enseigne.
– Voilà une crique commode, dit-il à la fin, et un cabaret agréablement situé. Beaucoup de clientèle, camarade ?
Mon père lui répondit négativement : très peu de clientèle.
– Eh bien ! alors, reprit-il, je n’ai plus qu’à jeter l’ancre… Hé ! l’ami, cria-t-il à l’homme qui poussait la brouette, accostez ici et aidez à monter mon coffre…
– Je resterai ici quelque temps, continua-t-il. Je ne suis pas difficile : du rhum et des œufs au lard, il ne m’en faut pas plus, et cette pointe là-haut pour regarder passer les bateaux. Comment vous pourriez m’appeler ? Vous pourriez m’appeler capitaine… Ah ! je vois ce qui vous inquiète… Tenez ! (Et il jeta sur le comptoir trois ou quatre pièces d’or.)
C’était un homme habituellement très taciturne. Tout le jour il rôdait autour de la baie, ou sur les falaises, muni d’une lunette en cuivre ; toute la soirée il restait dans un coin de la salle, auprès du feu, à boire des grogs au rhum très forts. La plupart du temps, il ne répondait pas quand on s’adressait à lui, mais vous regardait brusquement d’un air féroce.
L’Ile au trésor, Stevenson
Qui est le narrateur ?
Qui décrit-il ?
Quel est l’aspect physique du vieux pirate ? Relevez au moins trois éléments de son portrait physique.
En quoi la voix du pirate est-elle révélatrice de son passé ?
Quels sont les deux objets cités dans la chanson ? En quoi sont-ils liés au personnage ?
Quel est le caractère du pirate ?
Quelles sont ses occupations ?
En quoi les paroles du pirate complètent-elles son portrait ? (que pouvez-vous déduire de ses paroles ? )
L'Amiral Benbow : C'est le nom de l'auberge. John Benbow (1653-1702) a remporté de nombreuses victoires sur les Français et les Espagnols, dans les mers des Antilles.
Basané : Bruni par le soleil et l'air du large, bronzé.
Balafre : Trace laissée par une blessure ; cicatrice.
Crique : Ce mot (du scandinave kriki) désigne une petite baie pouvant abriter des bateaux de faible tonnage.
Quinze hommes...
Selon la revue Geographical, de la Royal Geographical Society, l’îlot du Coffre du mort est l’une des Îles Vierges britanniques, archipel situé dans la mer des Caraïbes.
Au début du XVIIIe siècle, le pirate Edward Teach – Barbe Noire – aurait puni des mutins en les abandonnant pour trente jours sur cet îlot d’environ 6 hectares (250 yards square), sans eau ni nourriture. Chacun reçut un coutelas et une bouteille de rhum, afin qu’ils s’entretuent. À son retour, trente jours plus tard, il ne restait que 15 survivants
« La boisson et le diable ont emporté le reste Yo-ho-ho, et une bouteille de rhum ! »
Rhum : Cet alcool, extrait de la canne à sucre, était si violent à l'origine que seuls les matelots en consommaient. C'est l'amiral Vernon qui, en 1740, obligea les marins à y mêler de l'eau, pour en faire du grog, abréviation de « Old Grog », surnom de Vernon qui portait toujours un habit de soie à côtes, ou gros-grain, le « grogram ».
Taverne : Le texte anglais dit « grog-shop » ; on vend du rhum à « L'Amiral Benbow », mais on y loge aussi les voyageurs !
Accostez : Accoster c'est, pour un bateau, toucher terre, toucher à la côte. Le langage du visiteur est marqué fortement par son métier. Le mot « matey », par lequel il interpelle le conducteur de la brouette, est un diminutif de « mate », qui peut se traduire, selon le contexte, par compagnon, camarade ou second (de navire).
Capitaine : Du latin caput, capitis, tête. Dans la marine marchande, c'est le grade de l'officier qui commande un navire.
Taciturne (du latin taciturnus, de tacere, taire) : Silencieux, peu enclin à parler.
Pour mieux comprendre le texte
Un début de roman
Le texte qui vous est proposé est une traduction des toutes premières pages du roman L'Île au trésor, que son auteur, l'écrivain britannique Stevenson, destinait à un jeune public.
L'auteur nous présente donc des informations importantes afin de piquer la curiosité de ses lecteurs, de lui donner envie de connaitre la suite:
– l'époque
– le lieu
– les personnages
– le début de l'intrigue
1) Le choix du narrateur
En choisissant pour narrateur un personnage jeune, qui participe à l'action, l'auteur permet à son jeune lecteur de mieux entrer dans l'aventure, en s'identifiant à lui.
Ce narrateur se présente comme le témoin des faits qu'il rapporte, ce qui rend la fiction plus vraisemblable, plus crédible.
Les marques du narrateur sont nombreuses. Il parle à la première personne (« notre toit », « je me le rappelle », « mon père », « nous », « la nôtre »...) et se présente comme un acteur du récit : « je me souviens de lui ».
Il est jusqu'ici impossible de savoir s'il s'agit d'une fille ou d'un garçon, et son âge ne nous est pas encore connu ; toutefois, comme il semble qu'il habite, au moment des faits, chez ses parents, c'est probablement un enfant ou un adolescent.
2) Un portrait en action
Ce début de roman est centré sur un personnage, le vieux marin, décrit en action. Le lecteur fait connaissance du vieux marin comme le narrateur, en assistant à son arrivée.
Il aperçoit d'abord sa silhouette (« haute taille, fort, lourd »), puis découvre ses traits à mesure qu'il approche : le teint et le costume le frappent d'abord, puis les mains et la cicatrice.
Viennent ensuite ses premières paroles et ses premières actions, puis ses faits et gestes habituels, qui permettent de mieux le connaître tout en épaississant le mystère autour de sa personne.
Bien entendu, l'auteur le caractérise par quelques traits destinés à frapper l'esprit du lecteur.
3) Le portrait physique
Au physique, il insiste sur :
– son teint : Son teint «basané», à une époque où l'on se garde soigneusement du soleil, ne peut convenir qu'à un marin, un paysan ou un étranger : le bronzage n'a été recherché qu'au début du XXe siècle, quand il est apparu comme un luxe, les habitants des villes devenant majoritaires.
– son aspect redoutable : Son aspect redoutable : « le visage balafré d'un coup de sabre... cicatrices... balafre... un air féroce... cogner », Sa force : « grand gaillard solide, lourd... joue repoussante... »
– sa malpropreté : « cheveux tordus en une queue poisseuse... habit bleu taché... ongles noirs et cassés ».
Ce physique annonce un personnage inquiétant, ce que le portrait moral confirmera.
4) Le portrait moral
Il est dessiné à partir du portrait physique, qui fait apparaître le vieux marin comme un individu dangereux, mais aussi des actions et des paroles du visiteur.
Il se conduit avec brutalité et montre un parfait mépris des autres (« avec son bâton, il frappa contre la porte... demanda brutalement... il jeta sur le comptoir trois ou quatre pièces d'or... il ne répondait pas ») ; il leur parle avec hauteur (« camarade... taverne »).
Sa voix est "stridente et chevrotante qu’avaient rythmée et cassée les manœuvres". Elle est la voix d'un aventurier qui a déjà beaucoup vécu.
Mais son aspect misérable contraste avec sa prétention (« vous pourriez m'appeler capitaine »).
Pourtant, ce personnage arrogant est visiblement inquiet : il cherche un endroit « isolé », peu fréquenté, guette constamment la côte et s'inquiète « des gens de mer » qui pourraient aussi venir « par la route ».
Ce comportement d'homme traqué contribue beaucoup au « suspense ».