L'économie locale

Sur l'économie guyanaise

La Guyane, malade économique

Par Natacha Zimmermann — 7 avril 2017

Malgré un secteur public important et la présence du centre spatial, l’argent manque dans les caisses et la région-département ne parvient à se sortir de la pauvreté.

La Guyane, malade économique

Alors que la Guyane est bloquée depuis plus de deux semaines et que les vivres commencent à manquer dans les épiceries, le milliard d’euros promis par le gouvernement ne satisfait pas le collectif guyanais «Pou la Gwiyann dékolé». Il demandait 2,5 milliards d’euros dimanche : il en réclame 3,1 aujourd’hui. Avec 22% de chômage et 44% de pauvreté, la Guyane peine à maintenir la tête hors de l’eau. Seul le spatial, dépendant de l’investissement public, permet de dynamiser un peu l’économie du département.

Véritable vitrine industrielle avec 12 lancements réussis en 2015, le secteur représente 16% du PIB et 12% de l’emploi, selon l’Insee. Il génère 25% des recettes fiscales. Mais cela ne suffit pas car à côté, les autres secteurs font grise mine. Le secteur primaire ne représente par exemple que 3% du PIB. Pourtant l’or et la forêt sont là. Les ressources naturelles sont nombreuses en Guyane, mais elles peinent à être réellement exploitées, faute d’investissement. Quand elles ne sont pas pillées.

Pas de bilan social depuis 2003

Le tableau global est sombre. En 2013, un rapport sévère de la Chambre régionale des comptes pointait «la dégradation financière du département depuis 2005» soulignant la baisse de «près de 45% entre 2005 et 2010» de sa capacité brute d’autofinancement (CAF). Elle notait aussi, pour les personnels de la collectivité, l’absence de «bilan social depuis 2003». Elle s’étonnait également que «le conseil général (départemental, ndlr) ne dispose d’aucune information sur le temps de travail» de ses fonctionnaires, de sorte qu’il lui est impossible de calculer «les équivalents temps plein des effectifs».

Ces flous sont d’autant plus dommageables que l’économie guyanaise repose presque entièrement sur le secteur public. «Ce sont les services publics qui fournissent de l’emploi. Et c’est pareil pour les investissements», explique Olivier Sudrie, économiste spécialiste de l’Outre-Mer. Selon l’Insee, un tiers des actifs étaient dans la fonction publique en 2014. Et le ministère du Budget affirme que ce sont 1,6 milliard d’euros, soit 40% du PIB régional, qui ont été transférés par la métropole en Guyane la même année. Si la région est aussi dépendante du public, c’est parce que le secteur privé y est très «mal développé», regrette Olivier Sudrie. La Guyane, 30% moins productive que la métropole, souffrirait d’une trop faible attractivité selon l’économiste. La main-d’œuvre y est moins qualifiée : 50% de la population est peu voire pas diplômée. De plus, les coûts de production y sont particulièrement élevés et les entreprises rechignent à s’y installer.

Pour satisfaire ses besoins, la Guyane est dépendante des importations, y compris en bois alors que la forêt couvre 96% de son territoire ! En 2015, elle a importé 1,2 milliard d’euros de produits, alors qu’elle n’a récolté que 138 millions de ses exportations. Son économie n’est tournée que vers la consommation, d’où un déficit commercial particulièrement difficile à combler.

Une gouvernance confuse

De plus, malgré les avantages fiscaux concédés par la métropole, le département est contraint d’emprunter pour s’en sortir. D’autant plus que «la grande collectivité territoriale a des besoins colossaux, notamment en matière d’éducation», explique Olivier Sudrie. Car la population, elle, ne cesse d’augmenter. Il y avait 250 337 habitants en Guyane en 2015, il pourrait y en avoir 574 000 d’ici 2040, selon les prévisions de l’Insee. Avec plus de 40% de jeunes de moins de 20 ans. La croissance démographique, à la fois due à la natalité et à l’immigration, absorbe la moindre augmentation du PIB.

A cela, s’ajoute «un problème de gestion» de la part des élus locaux, estime Olivier Sudrie. La collectivité territoriale croule sous les dettes. En 2015, le ministère des Finances notait qu’il manquait 27 millions d’euros dans les caisses guyanaises. Résultat : la Guyane ne parvient même plus à payer ses fournisseurs. «Il faut souvent que les entreprises attendent 70 jours avant de recevoir leur dû», note l’économiste. Cette gouvernance confuse pousse les habitants à la «défiance envers les politiques locaux».

Pour Olivier Sudrie, les négociations entre gouvernement et collectif sont donc bien loin d’être des «comptes d’épiciers». Il estime l’aide d’urgence indispensable, mais aimerait qu’elle soit prolongée par une mesure sur le long terme. «Ce qu’il faudrait faire aujourd’hui, c’est changer le modèle économique guyanais. Il faut définir un réel pacte de compétitivité, productivité et croissance», insiste-t-il. Pas gagné.

Natacha Zimmermann