Dans cette troisième Expérience (car aucune ne fut une Vision dans laquelle l'on est observateur - toutes trois furent des Expériences dans lesquelles l'on est acteur) - dans cette troisième Expérience j'eus une vue d'ensemble de la Nature, non pas comme le prétendu réaliste la voit : "toutes griffes dehors", mais comme les compatissants la verraient pussent-ils la voir dans son entier : une créature ayant un corps, une âme et un esprit, descendant directement de Dieu.
Parce que ce Principe de Lumière était actif au sein de mon être tout entier - parce que j'avais, véritablement, subi cette transformation intérieure nommée "l'éclosion de la Fleur d'Or", je vis plus loin que l'insensibilité, la méchanceté et l'égocentrisme superficiels de la Nature : je vis, entendis, ressentis et entrai en symbiose avec ce qui se tenait derrière la cruauté, l'égoïsme et la monstruosité.
Dans la seconde Expérience, la Fleur d'Or s'était ouverte : la Nature m'avait été révélée dans sa pureté essentielle. Mais, dans cette (Troisième) Expérience, j'entendis un appel à l'aide désespéré. Et à cet instant je sus que la Nature était infirme, égarée et appelait à l'aide. Qu'intérieurement elle était rongée par une souffrance déchirante. Que le poignard était de nouveau enfoncé dans la plaie mortelle, plaie qui était la frustration de tout instinct naturel : avec la totale frustration de l'espoir de devenir une manifestation du Divin, et un témoin de la Gloire de Dieu : Son Amour Universellement Magnifiant.
Non seulement entendis-je le cri pitoyable de la Nature, mais j'entrai également en communion avec le tréfonds de son terrible désarroi : de sa supplication angoissée et inarticulée pour qu'on l'aidât à être pleinement individuée. Le désir ardent de devenir son propre soi véritable est la plus grande de toutes les forces - et réside en chaque créature. J'épousai le fait que les conditions dans lesquelles la Nature se trouve actuellement occasionnent l'inhibition totale d'un besoin invincible. Les conditions actuelles isolent la Nature de la possibilité de se développer conformément au Moule divin dans lequel elle est coulée. Tordue, infirme, hâve, elle a été enfermée par l'homme dans une terrifiante Vierge de Fer.*
* Actuellement la forêt tropicale est abattue au taux de 25 hectares par minute. S'il est maintenu au cours des cinquante prochaines années, ce taux d'abattage aura transformé six autres pour cent des terres de la planète en désert supplémentaire - avec des effets incalculables et désastreux sur le climat global. Les plantes indigènes sont exterminées dans tous les fonds marins sauf les plus profonds, de même que sur terre. La déstabilisation s'ensuit. Le produit final est le désert, la faim et la mort. L'homme, pourvu d'une virilité créative infinie, est patiemment devenu : Exterminateur par excellence. Alors que la Femme, par suite de la fixation sur cet attendrissant écho du potentiel divin : la maternité, s'unit à l'homme pour placer un fardeau intolérable sur la Nature. (On s'attend à ce que la population mondiale - déjà insupportable - double en l'espace des vingt prochaines années. En Afrique, les gens envahiront et coloniseront les réserves de fauves. À cause de la mauvaise utilisation de la virilité, en l'espace de deux générations à compter de maintenant, il n'y aura plus de lions, d'éléphants, de rhinocéros, vivant en liberté en Afrique.
Tout blocage dans la progression vers la restauration totale de sa qualité véritable, exclut la Nature de toute probabilité de manifester les attributs de Dieu : de fonctionner, essentiellement, de la même manière que Dieu - comme nous avons tous été créés pour fonctionner.
Dans la Nature telle qu'elle existe dans le monde mortel à l'heure actuelle - dans la dimension faite de hauteur, de largeur, de longueur et de temps, ainsi que de désolation - cette revendication du droit à la Vie : l'incessante demande de l'Esprit intrinsèque pour une réintégration dans la conscience, est totalement rejetée… non par elle, mais par l'Homme, qui fut expressément créé pour la sauver et la garder de toute invalidité estropiante de ce type. Rien d'étonnant à ce que j'entendisse un cri d'incommensurable désarroi. Son champion ne l'a pas abandonnée - il l'attaque, la tourmente et la viole.
Je ne me contentai pas d'observer - de comprendre - j'entrai en symbiose avec la perte de toute possibilité d'être son soi véritable.
Mon cœur fit l'expérience du fait que cette Création, grande, variée et magnifique était devenue sans cœur - et j'épousai son dégoût d'elle-même. Elle est aussi égarée que moi-même l'avais été également - incapable de saisir en profondeur ce qui était mort en moi à l'école.
La Nature a été trahie par celui qui plus que tout autre devrait être l'incarnation du sérieux et de l'encouragement aimant : l'Anthrôpos théocentrique. Nonobstant le fait qu'elle réussisse si vaillamment à maintenir un certain degré de beauté extérieure, il lui est arrivé quelque chose d'aussi terrible que les sévices sexuels infligés à un enfant.
Je n'étais pas de ces nageuses qui prennent soin de ne pas se mouiller les cheveux. A l'instant où j'entendis ce cri de sa part je m'étais déjà pleinement engagée à soulager ce que j'avais découvert : le complet désespoir au tréfonds du cœur de la Nature. Je n'intellectualisai pas. Je vécus. J'étais tellement dedans que je n'étais pas en mesure d'intellectualiser. Et je n'eus pas non plus l'instinct de m'écarter du Besoin désespéré, irrésistible, qui s'était révélé à moi.
Ce n'était pas pour rien que j'avais passé, alors qu'encore toute enfant, toutes ces heures dans la figuerie consacrée à Dionysos : le dieu de l'extase et de la destruction maniaque. Du pays de Nysa le divin Dionysos vint pour montrer à l'homme ce qu'il est. Comme l'Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal, d'une terre qui n'a aucune situation géographique, fit irruption dans la conscience de l'homme un "dieu" (son soi profond) qui, alors qu'il possède toutes les richesses à sa discrétion, est la Sauvagerie Gratuite. Un "dieu" qui, étant boiteux, ne peut rien remettre de plus que le Répit. J'éprouvais de la sympathie pour le dieu que l'homme avait rendu infirme : qui nous affronte à travers un masque derrière lequel nous nous cachons.
S'étant dévalorisés par leurs propres actions, au bout d'un laps de temps horrible, l'homme et la femme s'aperçoivent qu'ils ne peuvent plus accéder au jardin qu'ils furent créés pour entretenir. Ils ne sont aptes qu'à vivre avec le fruit de leur duplicité : la dualité. L'Horrible, à l'existence duquel ils n'avaient pas ajouté foi, prend tout à coup naissance dans leur expérience toute entière. La vie devient éminence potentielle mais impuissance réelle. - Dionysos est le dieu boiteux. C'est pourquoi l'homme apprivoisa le cheval et construit le Concorde.
La Folie qui suscite l'appropriation du fruit défendu surgit des profondeurs de la Sombre Irrésolution au sein de l'Inconscient, et nous entraîne aux commandes de son char, criant d'une voix perçante dans une exultation niaise, forcenés en mouvement, la tête pendante, atone. Fous. Des créatures dont la Déloyauté envers leur propre être intérieur les a contraintes à prendre les commandes du char d'un état d'être dont le contrôle dépasse leur compétence.
Comme ceux dont Moïse reçut son enseignement, les Grecs aussi comprenaient que la Violence et la Destruction dominent la condition qui devint la sienne lorsque l'homme jugea qu'il pouvait défier Dieu. Ils voyaient l'entrée de Dionysos dans le monde comme étant plus impérieuse que celle de tout autre "dieu". Il est plus proche que tout autre dieu. Et il s'approprie tout - même "la reine" (le plus inviolable de tous les êtres) n'est pas hors de son atteinte. Par conséquent : à sa galvanisante naissance s'ajoute l'Inéluctabilité. Son masque nous parle d'inexorabilité. C'est là une Rencontre purement fortuite - non pas entre lui et nous, mais entre nous et lui. C'est nous qui l'affrontons. "Les derniers secrets de l'existence et de la non-existence pétrifient l'homme de leurs yeux monstrueux." Cette monstruosité est ce que voit l'Homme lorsqu'il se trouve face à la réalité, et à l'aboutissement, de sa propre Chute.
Exceptionnellement dans les mythes et les cultes grecs, l'apparition de Dionysos suscita une émotion folle : la colère et l'opposition, surgissant d'une honte insupportable - innommable. En effet Dionysos demande des choses inouïes, se moque de tout ordre établi. Se moque de ce que l'humanité est devenue. De ce qui chercha à défier Dieu. Il apparaît parmi les hommes comme une furieuse tempête soufflant de tout côté. Non seulement fait-il les délices des hommes : il est le donateur des richesses, mais il est également sauvage et tout à fait redoutable. Il personnifie tout le potentiel de l'Homme : de même que tout Homme est, il est ce qu'il fait, et ce qu'il fait se produire lorsqu'il cueille et mange le fruit de l'Arbre de la Connaissance pour son propre accroissement. Un "événement" qui aboutit à une totale catastrophe pour la Nature, et au fait que l'homme et la Nature mènent tous deux des existences tronquées dans un duo-vers. "Avec horreur, qui est en même temps ensorcellement ; avec extase, qui est comme la paralysie subjuguant toutes les perceptions sensorielles naturelles et habituelles ; le Redoutable prend soudain naissance" en nous. Nous ne sommes plus tels que Dieu nous créa. Le cortège de Monstres que nous traînions dans notre sillage est criard dans son exultation - n'ont-ils pas, contre toute prévision, recueilli l'existence ? Anthrôpos ne fut-il pas expressément créé pour les empêcher de prendre naissance ? N'ont-ils pas triomphé de lui ? Dans leur regard fixe, inflexible, transparaît L'Horreur qui la première les rendit fous. Surpromouvant l'archange déchu : absolument effrayantes, dans leur mouvement frénétique, au sommet de leurs corps incontrôlés oscillent des têtes de défoncés transpercées jusqu'au profond - et au-delà - par les yeux brillants des déments.