Une expérience numineuse

(suite 3)

Comme je le savais déjà par une amère expérience, la connaissance et l'expérience visionnaires qui embrassent les perspectives et les représentations du monde spirituel, étaient tournées en dérision et dénigrées par ma famille, mes contemporains, et par la société dans son ensemble, bien que le Judaïsme, le Christianisme et l'Islam soient largement fondés sur de tels événements, et avec l'Hindouisme et le Taoïsme, possèdent une vaste littérature validant ce sujet. Et il est bien connu qu'il est possible d'avoir des perceptions visuelles et auditives qui font goûter d'un autre monde, non seulement lors des rêves mais aussi en état de veille. Ce monde, dont notre civilisation nie l'existence, est celui dans lequel le spirituel prend forme, et - bien que je fusse vraiment très loin de le savoir alors (et passerais en fait des années à découvrir la vérité à cet égard) - dans ce monde intermédiaire le corporel est spiritualisé. À l'époque de ces Trois Expériences, l'adolescente de seize ans ne possédait pas la construction mentale qui lui eût permis de formuler l'affirmation suivante : le mode de spiritualisation du corporel est de première importance, et c'est précisément quelle forme il allait probablement prendre qui lui était montré. Mais dans ce siège des émotions : son cœur, elle le connaissait, l'acceptait, et jouissait de la Conscience qu'elle avait de lui, et de sa valeur.

Dans cette Seconde Expérience (qui montra, de la manière la plus crue qui fût, ce qui allait probablement être établi dans la Matière au moyen de la spiritualisation) l'afflux continuel du divin était partout évident, et était la réalité suprême. Comme l'était la Réponse illimitée et incessante qui Y était apportée. L'afflux intarissable du divin devint, en toutes choses, la semence de laquelle poussa toute une moisson de divinité, à engranger puis partager de nouveau avec tout le reste. Car ceci était "avant" La Chute : "avant" qu'Eve et Adam prissent ce qu'ils déclarèrent être désirable, en escomptant le garder pour eux. (La faute ne tenait pas au fruit, mais à eux. Comme un chien glouton devant un plat, ils l'engloutirent, s'assurant ainsi que personne d'autre n'en eût un petit bout. Le cueillant à l'Arbre de la Connaissance pour leur propre accroissement. Rien de ceci n'avait eu lieu dans l'état d'existence que j'avais connu dans cette Seconde Expérience).

Dans cette deuxième autre-réalité je pris conscience de ce que Lao Tseu nomme L'Aboutissement : l'indicible générosité, perfection, et beauté, de la Nature - issue, comme elle l'est, de l'infinie Générosité de l'Amour Universellement Magnifiant lui-même - épanchement qu'elle est de l'Ardent Désir Comblé, immaculé, divin et parfait, de Dieu. Non seulement entrai-je en symbiose avec cette incarnation de la Perfection, mais elle entra en symbiose avec moi. Car voir était connaître, épouser, prendre en soi, et s'unir totalement, dans la béatitude et la joie.

Le monde dans lequel j'avais pénétré est la Réalité et l'Activité de Dieu exprimées sous une forme réactive et plastique.

Alors que chaque forme exclut toutes les autres interprétations de la Forme, dans le Jardin d'Eden chaque Être et chaque Devenir étaient tangiblement la manifestation de l'inextinguible tendresse de la jeune et indiciblement belle Vierge : la Divine et Vierge Mère de la Pureté non-ternie de laquelle jaillit une création d'une absolue perfection. D'une manière identique : chaque Être et chaque Devenir étaient en tout point autant une manifestation tangible de la splendeur spirituelle, la gloire, et la puissance, éblouissantes, du Seigneur.

Ce second monde dans lequel je pénétrai est le Commencement constant, "où Dieu créa [ou dans lequel Dieu crée sans cesse] le Jardin d'Eden". Lui qui (comme moi alors) se tient au commencement, dit l'Évangile de Thomas, "connaîtra la fin". Et il en est ainsi parce que le Commencement et la Fin ne font qu'un en qualité. "Je suis l'Alpha et l'Omega, le Commencement et la Fin", dit-il, lui dont les paroles closent la Bible (Ap 22 : 13). Et dans les années alors à venir j'allais découvrir qu'en connaissant Le Commencement je connaissais véritablement "La Fin". En effet, avant ma fin mortelle, j'allais entrer également dans La Fin, et y trouver la même Qualité que Le Commencement. Mais pour ce qui est des conditions auxquelles St Jean (employant nombre de symboles que Moïse employa) nous dit qu'il fut confronté : "Les étoiles du ciel [tomberont] sur la terre, comme fruits verts d'un figuier battu par la tempête. Le ciel [se retirera] comme un livre qu'on roule, toutes les montagnes et les îles [seront] ébranlées" (Ap 6 : 13-14).

Depuis ce jour, alors âgée de seize ans, mon soi profond a toujours été en contact avec cette dimension préphysique : le Commencement paradisiaque de toutes choses, dans lequel chaque chose, et chaque créature, sans exception, se manifeste non seulement en tant que son soi individuel pur, parfait, glorieux, et totalement accompli, mais aussi en tant que partie indispensable de ce Jardin dans lequel fleurissent la Pureté, la Perfection, la Gloire divines ainsi que ce Calme profond et cette Paix inaltérable qui découlent de l'Accomplissement ininterrompu, débordant. Mon soi profond ne devait jamais perdre le contact avec cet état d'être que le corporel devrait acquérir - et qu'il acquerra lorsque nous aurons bâti la Ville Sainte de la Fin.

Les images que je perçus, la condition d'être avec laquelle je ne fis plus qu'une, divulgueraient, avec le temps, plus que leur signification évidente et immédiate. Car ce sont des chiffres qui codifient des faits dont il est possible qu'il faille des décennies - des siècles - pour les déchiffrer. Tandis que, par la suite, l'intellect les explore, il se trouve formulant des idées qui auparavant dépassaient sa portée. Ainsi en a-t-il été pour moi dans cette circonstance. Je fis l'expérience du fait que dans "Le Commencement" - tirant toute sa Vie et tout son Être directement de Dieu Lui-Même, dans un état exempt de Conflit, de Peur et de toute Tension - chaque chose connaît et dégage une exultation universellement pénétrante. Il y a effectivement "un mélodieux bruit d'oiseaux dans les branches déployées, une course… d'animaux gambadants. Le monde entier rayonnant d'une lumière claire… " (Elizabeth Goudge) La bouffée d'air est la caresse de la Pensée aimante de Dieu. Le sol, le sable et la pierre sont pleins de Lumière (et de Vie) et de chant - je les ai entendus chanter. Le soleil de Dieu brille afin que le miracle de la flore puisse être. Les buissons portent des fruits, afin que Ses Divines infinités de Générosité puissent être glorifiées en et par eux. Les verts brins d'herbe se touchant et se retouchant doucement et tendrement sont Sa Douceur universellement pénétrante, et Son Attention infinie. Libres de toute Tension (il n'y a là nulle tempête ; nulle sécheresse ; nulle pensée déshonorante pour leur faire courber l'échine), entièrement vierges de toute tache, les arbres sont la Grâce, et l'incarnation de la Merveille et du Charme de la divine féminité. Les fleurs parfaites et éthérées sont des manifestations du Cœur divin, chargé d'Amour. Et le simple parfum du fruit omniprésent et succulent est, en lui-même, sustentateur de la Vie. Frôlant l'herbe issue de la Lumière, les animaux chatoyants, parfaits reflètent la Joie autour d'eux et répandent le total Contentement ainsi qu'une intensité et un degré d'Accomplissement tels qu'il s'en élève des réjouissances sans bornes, tout à fait complets et parfaits, et exprimés par-dessus tout dans le Mouvement et le Repos. Des oiseaux montent en flèche et descendent en piqué, des faons vont explorant et gambadant, des papillons entrent et sortent de l'existence en battant des ailes - et reviennent. Tous parlent d'une chose : la JOIE - une Joie frénétique, incommensurable, sans bornes, non ternie. (Celle que j'avais recherchée lorsque je murmurai à Jane : "Fora" !).

Les attributs de la divinité sont/étaient partout en évidence, et indiquent l'absolue Qualité sur laquelle repose toute la Création. Cette Seule et Unique Qualité resplendissait dans cette lumière même, faiblement rosée et dorée, qui s'écoulait de toute cette merveille : était l'arrière-plan, l'entrelacement - entièrement non-envahissante : l'étincelle existant à jamais qui rayonne de toute cette magnificence de l'être.

Dans cet état, la différenciation par rapport à Dieu est apparente, mais - fondamentalement - n'est pas réelle. Il n'y a ici aucune Exclusion. Aucune des polarités contrastantes qui sont la marque de la nature double du duo-vers, ne peut exister ou n'existe effectivement. L'absolue Générosité n'est pas altérée par la Mesquinerie ; le Charme n'a pas à rivaliser avec le Sinistre. La Différenciation ne signifie pas Différence* de qualité.

Exister dans le Paradisiaque état d'être, c'est vivre à la fois en union désintéressée avec tout ce qui est, et aussi en union désintéressée avec le Soi même de Dieu. Dans cet état l'on existe dans son identité propre, véritable, parce que l'on exprime par son comportement et ses gestes ce que l'on est véritablement : Un avec tout.

Au centre de cet état céleste se tient l'homme archétypal : l'Humain dans sa Plénitude : Anthrôpos. Ayant sous sa garde - masculinement - et maintenant - fémininement - toute cette libéralité, cette joyeuse exultation, et ce charme, inimaginables.

Une expérience numineuse (suite 4)