Une expérience numineuse

(suite 4)

L'amour extatique lie à jamais la féminité d'Anthrôpos à Dieu. Il n'y a pas d'instants d'appréhension transitoires. Plutôt le rayonnement jamais amoindri de la future mariée, intacte et immaculée. Intacte parce que Dieu respecte l'Individualité de tous, mais aussi intacte en termes d'effort, d'angoisse, et de désolation.

Ignorant tout du travail, de la pugnacité, ou encore de la luxure, la virilité est sublimée en une Noblesse de pensée, de parole et d'action, négatrice de l'ego. En Anthrôpos une Virilité glorieuse sert à transfigurer l'Obscure Matière, vide, non finalisée, improductive, au point que la Divinité Intrinsèque profondément recouverte est révélée. ("Toutes les montagnes et les îles seront ébranlées" et délogées du mauvais emplacement qu'elles ont pris et occupé dans le monde Déchu). L'afflux divin intarissable et continuel devient (de part et d'autre de la masculinité d'Anthrôpos) une merveilleuse force conférant continuellement à toutes choses alentours sans exception, la Qualité de divinité : celle dans laquelle elles sont finalement et totalement Accomplies.

L'un et l'autre des aspects d'Anthrôpos parlent d'une seule et même chose : transférer à toute la création tout ce que Dieu est et donne dans une bonne mesure, tassée, secouée, débordante.

L'Être Humain au centre du "Jardin" paradisiaque est vêtu de la tête aux pieds d'une robe, longue et modérément ample, d'un tissu remarquablement lourd qui - hormis les épaules desquelles elle pend - masque chaque contour de la Lumière/forme qui se trouve en dessous. La robe chatoie et brille doucement comme si elle n'était faite que de diamants blancs à l'éclat rosé* dont la lumière réside en eux-mêmes. - Ils ne rompent pas la blancheur de la lumière. De l'intérieur de cette robe incomparable (qui a toute l'apparence d'être translucide) brillent (d'un rose des plus pâles) la Pureté et l'Amour sur lesquels la Vie est fondée.

* Parce que, en écrivant ce livre je rassemble quelques-uns des éléments clefs connus, en même temps que je présente mes expériences et mes conclusions, je viens de réaliser que les Taoïstes emploient la description "le corps diamant" (qui se développe au sein de la Fleur d'Or) pour indiquer une aptitude à fonctionner efficacement et consciemment dans l'état que je décris. Anthropos doit avoir été présenté aux sages chinois il y a deux mille ans sous le même symbole. Il doit avoir émergé de l'Inconscient vêtu presque comme il me fut présenté. Chatoyant de sa propre lumière, cette merveilleuse robe à l'aspect de diamants. Et l'apparence de lourdeur renforce cette impression.

Anthrôpos se tient seul : tout à fait distinct de tout le reste dans Le Jardin. Rayonnant de cette lumière blanche rose pâle. Vivant, fascinant et désirable - comme le serait une perle/un diamant blanc éclairé de rose par contraste, si une telle chose pouvait exister. Il/elle se tient droit et calme. Totalement Maître/Maîtresse de lui-/elle-même. Il/elle est l'humble servante de tous, et il/elle est, dans le même service, la servante de la somme de tout : Dieu. Voir Anthrôpos c'est considérer une sérénité sans ombre et une aptitude à servir qui est divine. Dieu confia Le Jardin à la garde d'Anthrôpos. Et le don d'Anthrôpos est le don de l'hôte parfait. Pour ceux qui habitent le Jardin divin rien n'est trop, rien n'est trop bon. Et tout ce qu'il/elle désire conférer à ses invités issus de Dieu est sa propriété qu'il/elle destine au don. Serein(e) il/elle se tient là, servant Le Divin en toutes choses. Étendant sa présence - mais servant, ne dominant pas - au Jardin entier. Et alimentant et veillant de cette manière sur toute cette beauté.

Ma conscience s'était trouvée devant un archétype qui fut poussé de plus en plus profondément dans l'Inconscient à mesure que le mode de vie de l'homme changea progressivement de celui d'homme des cavernes, à celui de chasseur, d'agriculteur, de citadin, d'industriel, de capitaliste, d'athée. En effet, quoiqu'une existence sédentaire permette le développement de la civilisation, elle encourage aussi la notion fondamentalement démentielle selon laquelle l'homme peut agir comme bon lui semble avec l'environnement. Ce changement de façon de voir fut responsable du développement de l'agriculture : la domestication - en d'autres termes : la coercition - des plantes et des animaux. Il était déjà établi en des lieux largement disséminés avant 10 000 av. J.C., et la réalité qu'il posait comme principe n'était pas seulement l'opposé complémentaire de la réalité existant factuellement au Paradis, elle était même en vif contraste avec la vision de la réalité qui avait gouverné la conscience de l'homme des cavernes. En développant l'agriculture la réponse de l'homme au défi prit un véritable tour à la baisse.

Peu importe s'il était Indien d'Amérique du nord, homme de la brousse africain, ou pygmée philippin, - à peu d'exceptions près - l'homme du paléolithique vénérait la Nature, et cherchait à apprendre ce qui se passait en elle. Étant donné que l'expérience mystique s'élève d'une perception intensifiée de l'environnement immédiat, la religion de l'Européen de l'Age de Pierre (qui exista en tant que religion développée) se sera élevée d'un sens du merveilleux et de la beauté, ainsi que d'une ouverture à la Nature. Il est bien attesté par les mystiques à travers les âges, et du monde entier, que toute expérience mystique commence de cette manière. Tout porte à croire que l'homme de l'Age de Pierre développa un fort degré d'empathie avec tous les aspects de la Nature ; que pour lui elle était à la fois physique et transcendante ; que le matériel était toujours empli de l'esprit, et que pour lui chaque aspect de la Nature abritait un potentiel infini. Dans la mesure où il vénérait la Nature, l'homme du paléolithique sentait en elle quelque chose de plus grand que lui-même. Et il fit largement de son mieux pour l'atteindre. C'est là la marque de la santé mentale véritable.

Il y a une relation avec la nature qui est pleinement en accord avec cette saine manière de voir les choses : celle du sage chinois, du saint hindou, et du mystique moyen-oriental et occidental. C'est une conception que, par l'intermédiaire de l'archétypal "Jardin d'Eden", j'étais alors en train d'absorber dans la partie consciente de mon mental et de mon cœur.

Jung nous rappelle : "Le psychisme se comporte de manière si autocratique qu'il nie la réalité tangible ou déclare certaines choses qui la battent en brèche". Le paradis que je vis en ce matin printanier était la Nature, hors de tout danger et florissante, confiée à la garde de l'homme "fait à l'image de Dieu". (Ce qui n'est certainement pas ce que nous connaissons comme étant la réalité tangible de ce duo-vers terrestre). Mais jamais je n'y renonçai. Et finalement, il ne me déçut pas. Finalement, il devait se révéler plus vrai que la "réalité" que la plupart d'entre nous acceptent pour vraie.

Cette Participation vivante que je ressentis était, c'est là mon avis, le résultat d'une tentative de la part de l'Inconscient d'implanter une conscience spéciale au sein de mon mental. Mon mental avait abrité un archétype, une ébauche (une ombre anticipative) qui devait agrémenter le reste de ma vie. Que cet archétype batte en brèche la réalité tangible, c'est possible - mais (en moi s'était ouverte la Fleur d'Or) il était réel. (Demandez à ces quatre malades incurables si leur guérison fut réelle !) J'étais entrée en contact avec une vérité éternelle, "écrite en un texte éternel" dans la substance même de la Nature. L'archétype dépeignait la qualité de la Nature telle qu'elle sort de la matrice divine. Aucune logique n'aurait pu faire apparaître ce que j'avais vécu et à quoi j'avais participé. Penser n'aurait pu y faire appel. J'acquis la connaissance de cette réalité par l'expérience que j'en eus.

"… les choses ne méritant pas nos lamentations, étant remplies de crainte révérencielle devant la merveilleuse beauté et la permanence éternelle du monde céleste."

(Hermès Trismégiste).

"… un feu sombre et douloureux en eux, qui n'a jamais reçu le soulagement adéquat et qui… appelle désespérément à l'aide à chaque interruption de la joie de ce monde."

(William Law).

Comme je l'ai dit : en ce matin printanier où, âgée de seize ans, j'accédai à la "conscience éternellement complète", et à l'aboutissement des rapports exclusivement magnifiants qui existe entre Dieu, l'homme et la Nature, je pris conscience du fait qu'il n'y a aucun péché dans la Nature. En dépit de quoi je vis et pénétrai également dans l'essence d'une troisième dimension d'être : la Nature telle qu'elle est actuellement : sous la domination de ce produit de La Chute : l'Homo Exterminateur.*

Je vis la Nature du point de vue d'Anthrôpos : "le Corps Diamant". D'après la réalité telle qu'elle apparaissait à un être laissé indemne par La Chute, chez qui le principe de Lumière était harmonieux. Un être qui était marqué au fer rouge par Dieu : qui n'avait pas la moindre intention de nier les faits qui venaient de lui être dévoilés.

Une expérience numineuse (suite 5)