L’Amour et le Toucher

& Le Moi-peau

L'Amour et le Toucher

extrait de “Le Cri Primal” d’Arthur JANOV

L'amour est un sentiment. Il est présent aussi bien quand on parle ou quand on boit une tasse de café ensemble que pendant les rapports sexuels. Si le sentiment n'est pas présent (s'il est bloqué ou dissimulé), le névrosé fera tout cela sans la moindre trace d'amour. Au contraire, il « sucera » quelqu'un (comme disent mes malades), afin d'obtenir quelque chose pour combler le vide intérieur.

Dans les premiers temps de la vie, l'amour représente la satisfaction des besoins primals. Dans ses premiers mois et dans ses premières années, cela consiste à prendre souvent l'enfant dans les bras et à le caresser beaucoup. L'enfant ne connaît pas le mot « amour » pour désigner son besoin d'être tenu, mais il souffre quand il en est privé. Le contact physique est indispensable pour l'enfant. Sans lui, l'amour ne peut pas être démontré. Il ne suffit pas à l'enfant de « savoir » qu'il est aimé d'une façon ou d'une autre par un père ou une mère peu expansifs, il lui faut le sentir. Si ce besoin n'est pas satisfait, l'enfant n'est pas aimé, quelles que soient les grandes protestations verbales qu'on puisse lui faire. Le père qui travaille tellement qu'il ne voit guère ses enfants, peut se justifier en disant qu'il travaille pour eux, mais quand il n'a pas de contact avec eux, quand il ne se donne pas à eux, nous devons supposer qu'il travaille pour se libérer lui-même. Si l'enfant a besoin de la présence du père ou de la mère et qu'ils soient toujours absents pour leur travail, les besoins de l'enfant restent insatisfaits.

Les bébés élevés dans des institutions où il y a peu d'affection ou d'attention individuelle, développent une personnalité sans relief, émoussée. Il y a en eux une sorte d'apathie, un manque de vie qu'ils gardent jusque dans l'âge adulte. Automatiquement, ces enfants font tout ce qui les protège du manque d'amour : ils se rendent insensibles à toute souffrance supplémentaire. Ils se replient sur eux-mêmes et se ferment.

Des études effectuées sur des chiens élevés sans contact physique avec d'autres chiens ou avec des hommes ont montré qu'ils restaient à tout jamais instables et immatures. Adultes, ils devenaient « froids » et « durs », dépourvus d'activité sexuelle pour la plupart, et incapables de répondre à l'affection. Quelle qu'ait été par la suite l'affection qu'on leur portait, elle semblait incapable de modifier leur état.

Les mêmes résultats ont été observés chez des singes élevés dans l'isolement. Dans les expériences d'Harlow qui sont maintenant devenues célèbres, les singes étaient divisés en trois groupes : les premiers étaient élevés dans l'isolement le plus complet, ceux du second groupe avaient pour mères des poupées de chiffon, les derniers des mères faites de fils de fer et de longues pointes (1). Harlow a constaté que c'étaient les singes élevés dans l'isolement qui avaient le plus souffert. Ils semblaient incapables aussi bien de donner que de recevoir de l'affection.

Ceux qui avaient eu pour mère des poupées de chiffon semblaient s'en tirer aussi bien que ceux qui étaient élevés avec leur mère réelle. Ils mangeaient autant, n'étaient pas plus peureux, ils étaient plus sociables et davantage prêts à explorer un environnement nouveau. Harlow met ainsi l'accent sur l'importance du contact physique. Le singe qui avait pu se blottir contre une poupée de chiffon lui était aussi attaché qu'il l'aurait été à une mère réelle. On peut en conclure que, dans les premiers mois de la vie, l'amour est essentiellement le toucher et un contact physique chaleureux. Un bébé « non-aimé » est celui qu'on ne touche pas assez.

On comprend l'importance des caresses dans les premiers mois de la vie surtout quand on considère que depuis des dizaines d'années, beaucoup de nos enfants ont été élevés « le livre à la main ». Au lieu de réagir en fonction de leurs sentiments, les parents ont réagi en fonction de tout un système de règles. Ils ont nourri l'enfant selon les horaires rigides au lieu de lui donner à manger quand il hurlait de faim, et ils ne l'ont pas pris dans leurs bras quand il pleurait, de peur de le « gâter ». Au cours de toute cette période, les pédiatres se sont laissés influencer par les théories des premiers psychologues behavioristes qui semblaient d'avis qu'en ne choyant pas l'enfant et en ne l' « aimant » pas chaque fois qu'il pleurait, on le préparait mieux à affronter un univers dur et froid. On constate aujourd'hui qu'il n'y a pas de meilleure préparation à la vie que les caresses et les contacts physiques que les parents peuvent prodiguer à leurs enfants. Toutefois, ce n'est pas seulement l'acte qui compte mais également le sentiment qui l'inspire. Un père ou une mère tendus, nerveux, qui manient le bébé sans douceur et avec brusquerie, le font souffrir; mais le fait de s'occuper de l'enfant, même si l'on s'en occupe mal, ne peut jamais provoquer en lui de dommages absolus et irrémédiables.

(l) Harry F. Harlow, « Love in Infant Monkcys ». Scientific American,

vol. 200, DO 6 Quin 1959), pp. 68-74.

Le Moi-peau

Didier Anzieu

Editions Dunod (1985 & 1995)

La peau est l'enveloppe du corps, tout comme le moi tend à envelopper l'appareil psychique. Les structures et les fonctions de la peau peuvent donc fournir aux psychanalystes et aux psychologues des analogies fécondes pour les guider dans leur réflexion et leur technique.

A partir du site : BIBLIOTHÈQUES PSY :

“Le Moi-peau” (Didier Anzieu) (Dunod, 1985)

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1) En 1974, Didier Anzieu publiait dans la Nouvelle Revue de Psychanalyse un article intitulé “Le Moi-peau” dont l’impact sur le monde des universitaires et des cliniciens fut déterminant. Aujourd’hui, l’auteur nous présente la synthèse de ses recherches et propose une théorie des fonctions du Moi-peau. La peau est l’enveloppe du corps, tout comme la conscience tend à envelopper l’appareil psychique. De ce point de vue, les structures et la fonction de la peau peuvent fournir aux psychanalystes et aux psychothérapeutes des analogies fécondes pour les guider dans leur réflexion et leur technique.

Le Moi-peau apparaît tout d’abord comme un concept opératoire précisant l’étayage du Moi sur la peau et impliquant une homologie entre les fonctions du Moi et celles de notre enveloppe corporelle (limiter, contenir, protéger). Considérer que le Moi, comme la peau, se structure en une interface permet ainsi d’enrichir les notions de structure en une interface et permet ainsi d’enrichir les notions de “frontière”, de “limite”, de “contenant” dans une perspective psychanalytique. Par ailleurs, la richesse conceptuelle du Moi-peau permet de mieux appréhender une réalité clinique complexe : au-delà des relations entre les affections dermatologiques et les désordres psychiques, l’auteur montre que le sur investissement ou la carence de telle ou telle fonction du Moi-peau rendent compte notamment du masochisme pervers, du noyau hystérique de la névrose ou de la distinction entre névrose narcissiques et états-limites.

2)

Le penser

Du Moi-peau au Moi-pensant

Didier Anzieu

Editions Dunod (1994)

Dans Le Moi-peau (Dunod, 1985), puis dans les ouvrages collectifs qui ont élargi le thème (Les Enveloppes psychiques, 1987, Les Contenants de pensée, 1993), Didier Anzieu a montré comment les fonctions du moi se développent par étayage sur les fonctions de la peau. Le présent livre achève l'étude de la constitution du psychisme en considérant le passage du moi-peau au moi-pensant. La première partie condense en 45 propositions accompagnées de commentaires les acquis psychanalytiques sur l'activité du penser : concevoir, juger, raisonner, ordonner. La seconde présente huit logiques du penser dérivées du moi-peau et les illustre par des extraits de cures psychanalytiques : consistance, contenance, constance, signifiance, correspondance, individuation, énergisation, sexualisation. La compréhension des processus de connaissance chez l'analysant et chez le psychanalyste acquiert ainsi une précision et une efficacité accrue.

DIDIER ANZIEU était professeur émérite à l'Université Paris X Nanterre et membre de l'Association psychanalytique de France. Il a reçu en 1992 un des prix Sigourney décernés tous les quatre ans par l'Association américaine de psychanalyse.

3) Moi-peau et traumatique psychique

" Par Moi-peau, je désigne une figuration dont le Moi de l’enfant se sert au cours des phases précoces de son développement pour se représenter lui-même, comme Moi contenant les contenus psychiques, à partir de son expérience de la surface du corps ".

Didier Anzieu définit ainsi le concept de Moi-peau. Nous retrouvons ici l’importance du " holding " de Winnicott, de la relation première avec la mère. Les soins apportés dans la toute petite enfance conditionnent la façon dont l’enfant structurera ses expériences psychiques. Pour le ré-éducateur, il faut aller plus loin dans cette définition pour pouvoir s’en servir dans notre pratique.

Autres ouvrages sur ce thème :

Cet ouvrage développe les recherches théoriques, cliniques et thérapeutiques suscitées par les thèses du Moi- Peau (1985). Il s’agit du dernier travail de révision mené par Didier Anzieu, qui a supervisé l’ensemble de cette 2e édition. Tous les textes ont été revus et complétés par les auteurs. Les bibliographies ont été rénovées.

En inventant il y a plus de trente ans la métaphore du Moi-peau, Didier Anzieu a instauré la question des limites au centre de la psychanalyse, sur la base d’une entité mixte psychique et corporelle, dont la clinique vérifie la puissance. Il a éprouvé cette notion dans des dispositifs exploratoires aux limites des pratiques centrales de la psychanalyse, et il n’a pu le faire que suffisamment assuré dans ses propres enveloppes psychiques, suffisamment travaillé par ses failles. A l’occasion du 20e anniversaire de la parution de son livre Le Moi-peau, cet ouvrage interroge et approfondit la pensée de Didier Anzieu, sur la créativité, le transfert et la méthode analytique : une mise à l’épreuve du Moi-peau dans la clinique psychanalytique actuelle.