Extrait de l'Iris Blanc
“L’intuition est une vue du cœur dans les ténèbres.”
André Suarès
Depuis un an qu’Elora est née, Hélène, sa maman, ne s’est jamais intéressée à elle.
Il faut dire qu'Hélène n’a pas l’instinct maternel. Elle n’est pas méchante mais c’est comme si elle ne voyait pas sa fille, comme si elle ne l’entendait pas, comme si Elora n’était pas sa propre chair.
Hélène n’en est même pas triste, puisqu’elle ne ressent pas la nécessité, l’intérêt d’une telle relation.
Leurs deux vies ne se croisent qu’à peine, par obligation, parce qu’elles existent dans ce monde sous le même toit.
Hélène n’est pas une mauvaise personne. C’est même tout le contraire. Elle a plutôt bon cœur. Elle est généreuse. Elle veut toujours faire plaisir à ceux qu’elle aime… et même aux autres.
Elle est patiente, polie, "bien élevée" et ses amis l’apprécient, mêmes les plus éloignés.
Sa vie elle l’a choisie, enfin si tant est que l’on puisse choisir sa vie. Elle pense en tout cas que c’est le cas. N’est‑ce pas le plus important : croire ce que l’on pense ?
Quand elle était plus jeune, on disait à Hélène qu’il ne fallait jamais juger les gens sur leur mine, qu’il fallait d’abord apprendre à les connaître, que l’habit ne faisait pas le moine, que chacun devait avoir une chance, ce genre de choses… D’ailleurs sa plus ancienne copine n’était-elle pas celle dont à l’école les autres se moquaient parce qu’elle était grosse et issue d’un milieu défavorisé ? Hélène s’était interdit alors de la juger sur son physique et s’était fait un devoir de devenir son amie afin de ne pas faire partie de ceux qui assassinaient sans savoir. Elle avait certainement bien fait puisqu’elles continuaient toujours à s’appeler pour se souhaiter une bonne année et un bon anniversaire, c’est pour dire…
______________________________________
« Je crois que je suis née il y a un an.
Mon lit et l’obscurité sont mon monde. Maman vient parfois me voir dans cette obscurité mais pas souvent. Ma maman c’est mon tout. Je l’aime. Je l’aime.
Chaque fois qu’elle vient au‑dessus de mon berceau je m’émerveille qu’elle soit ma maman. Je lui souris et lui tends les bras mais elle ne me prend jamais dans les siens… Je crois qu’elle ne me voit pas et ne m’entend pas. Pourtant je gazouille à son oreille de jolis mots d’amour mais elle ne me comprend pas, pas encore.
Parfois il lui arrive de faire le tour de ma chambre, dans la pénombre. Je la sens. Je sens tout. Je sens quand elle a des soucis ou au contraire lorsqu’elle est heureuse et j’aimerais qu’elle m’en parle. J’aimerais qu’elle allume la lumière de la pièce, qu’elle me voit et qu’elle m’appelle. Un jour elle le fera j’en suis sûre. Je l’attendrai le temps qu’il faudra et jamais je n’arrêterai de gazouiller mes mots d’amour pour qu’elle finisse par m’entendre.
D’ailleurs je crois qu’en fait il lui arrive de m’entendre mais elle ne s’en rend pas compte.
Il lui est même arrivé d’allumer la lumière du couloir à côté de ma chambre. Si elle avait voulu elle aurait pu me voir. Si elle l’avait fait je suis sûre qu’elle aurait aimé le sentiment qu’elle ne s’avoue pas encore. Mais non, elle n’était pas encore prête à cela. Elle m’a regardée sans me voir. J’ai agité les bras, j’ai essayé de me tenir debout en m’aidant des barreaux de mon lit mais à cette époque‑là j’étais encore beaucoup trop petite pour cela et nous n’avons pas réussi à nous accrocher l’âme. Pas cette fois. Pas la suivante non plus. Un jour viendra, j’en suis certaine, il ne peut en être autrement. Elle est moi et je suis elle, mais elle ne le sait pas, pas encore. »
Frédérique Chamayou - Tous droits réservés ©