ExtraitS de Des Millions d'yeux braqués sur eux
EXTRAIT DE LA PREMIÈRE NOUVELLE
Jeudi 24 février
13H
Aurore, assise à la table de sa salle à manger, mélange doucement son café. Son amie Claire va bientôt arriver. Toutes les deux doivent aller au cinéma voir un film sur la danse. Ça n'a pas été facile de trouver un jour qui leur convienne à toutes les deux. Claire a toujours mille choses à faire, le style à être toujours sur les nerfs et à courir plutôt que marcher. Aurore, souvent agacée par l'air "dépasséeparlesévenements" de son amie, s'efforce de ne pas le lui faire sentir car elle sait très bien que celle-ci cache sous cet affairement constant une peur bleue de la solitude et qu'elle pourra toujours compter sur son amitié indéfectible et son écoute permanente.
13H10
Aurore entend des pas rapides monter les escaliers de son immeuble. C'est sûrement Claire. Seulement dix minutes de retard, c'est un exploit !
- Bonjour, comment vas-tu ? J'ai cru que jamais je n'arriverai à l'heure chez toi. Je peux me faire un café pour t'accompagner demanda-t-elle en se dirigeant vers la cafetière.
N'attendant aucune réponse, elle se prépare une tasse de café.
- Figure-toi qu'au moment de partir, coup de téléphone. Je n'avais pas envie de répondre car j'étais à la bourre, mais bon, je décroche. C'était Léa ! Alors là je savais que j'en avais pour une heure : quelle bavarde !
Elles prirent la voiture pour se rendre au cinéma Gaumont en banlieue.
Petite circulation.
En conduisant Claire racontait à son amie la conversation qu'elle venait d'avoir avec Léa tout en commentant l'attitude de cette dernière :
- Comment peut-elle rester avec un mec pareil ? Il se fout ouvertement d'elle ! Elle en souffre mais elle croit que lorsqu'il se sera rendu compte qu'ils sont faits l'un pour l'autre il changera… comme si les gens changeaient ! Elle est bien naïve !
Aurore connaissait par cœur le discours de Claire. Au fond elle partageait ses idées.
En faisant la queue pour prendre leurs billets d'entrée, Aurore, tout en écoutant son amie monologuer, ne pouvait s'empêcher de regarder une fillette d'une douzaine d'années, très fine et presque aussi grande que sa mère, aux cheveux longs et raides, en jean étroit et tee-shirt moulant. Aurore n'était pas la seule à la regarder et la jeune fille semblait déjà très sûre du charme qu'elle dégageait. Sa mère la couvait également des yeux ; elles semblaient très proches l'une de l'autre.
Aurore stoppa la sonnerie de son portable pour le mettre en position vibreur. Claire l'imita.
13H45
Assises au centre de la salle du cinéma, mais plutôt vers les rangées du haut, Aurore et Claire discutaient du film qu'elles étaient venues voir : "Street Dancer". Les acteurs n'étaient pas connus mais la critique indiquait que les amateurs de hip hop ne seraient pas déçus.
- Regarde, s'amusa Claire, les deux gamins devant, ils se sont mis juste derrière la fille aux cheveux noirs. Je suis sûre qu'ils la draguent. Tu te rends compte, si jeunes !
Aurore n'aurait su dire si le ton de son amie était offusqué ou nostalgique.
Le manège des collégiens était comique. De derrière la jeune-fille ils vinrent s'asseoir à côté d'elle. La mère leur sourit et les garçons entamèrent la conversation. Aurore et Claire pouvaient les entendre.
- Bonjour Madame, c'est votre fille ou votre sœur ?
- Ils ne manquent pas de culot ! commenta Claire.
- Ma fille. répondit la mère en souriant.
- Comment s'appelle-t-elle ? Moi c'est Jérémy et lui c'est mon cousin. Vous habitez Toulouse ? Nous on est tous les deux au Collège des Mureaux. Tu connais ? finit-il par demander cette fois-ci directement à la jeune-fille aux cheveux noirs.
Le "cousin", sans attendre de réponse à la question qui venait d’être posée, et comme frappé par une brusque révélation, demanda de but en blanc à l'a mère, :
- Madame, vous aimez le hip-hop ?
Aurore détourna son attention de ces quatre personnages, qui avaient tout de même réussi à faire taire Claire, au moment où elle dut pousser ses jambes et plaquer son sac contre elle pour laisser passer une femme sans âge aux cheveux blonds décolorés et filasses. Aurore pria pour qu'elle ne s'asseoit pas juste à côté d'elle car elle ne sentait pas très bon. Fort heureusement elle s'installa au bout de la rangée.
- Il n'y a pas grand monde constata Claire.
Ils ne devaient probablement pas être plus de vingt personnes.
14H
Les lumières s'éteignirent progressivement en même temps que la musique d'ambiance.
Chacun s'attendait à voir le début des bandes-annonces mais rien ne vint. Au bout de quelques secondes dans l'obscurité, quelques chuchotements parcoururent la salle, un sifflet réprobateur suivit puis un applaudissement décalé puis une voix masculine impatiente :
- Ça commence ou non ?
Mais rien.
Soudain Aurore sentit une vibration provenant de la poche de son pantalon. Elle sortit son portable : numéro inconnu.
- Allo, Aurore ?
- Oui, qui êtes-vous ? murmura-t-elle en espérant que les réprobations de la salle cacheraient un peu sa voix et regrettant presque le réflexe qui l'avait fait se précipiter sur son téléphone. Mais ce qu'elle entendit la stupéfia :
- Vous êtes enfermés dans cette salle et vous ne pouvez pas en sortir.
- Quoi ? C'est une blague ? Ce n'est pas drôle ! dit-elle en raccrochant cependant très inquiète.
- Qu'est-ce qui se passe ? demanda Claire.
- Je ne sais pas, un mauvais plaisantin. Dis, tu ne peux pas aller voir si la porte du cinéma est bien ouverte ?
- Quoi ?
Éclairée par son portable Aurore préféra se lever elle-même : la simultanéité des événements se révélait petit à petit à elle avec une telle logique qu'elle commençait à avoir peur. Au moment où elle tenta en vain d'ouvrir la porte, la scène devant les chaises des spectateurs s'éclaira et le téléphone d'Aurore vibra à nouveau :
- Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ? Ouvrez-nous tout de suite ! hurla-t-elle presque ne se rendant pas compte de la panique qu'elle venait de provoquer dans la salle.
...
Frédérique Chamayou - Tous droits réservés ©