eXTRAITS de La Forêt d'encre

1ER CHAPITRE DE LA FORÊT D'ENCRE

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« Chapitre 1- La forêt

G avance à petits pas vers la forêt. »

- Non ! Non ! et encore non ! Impossible de commencer par cette phrase !

- Ah oui ? Pourquoi pas ? Qui m’en empêche ?

- C’est pas comme ça qu’il faut faire ! D’abord on ne sait pas qui est G. Ensuite on ne sait pas d’où il vient. On ne sait pas quel est le jour, l’année, le moment de la journée. Tout ceci manque de précision. Et puis, pourquoi se dirige-t-il vers la forêt ? Pour planter le décor il faut répondre aux questions Qui ? Quand ? Où ? Quoi ? Comment ? Pourquoi ? Commençons par Qui : Qui est G ?

- G comme Gui… ok le prénom de mon fils. C’est vrai, j’ai pensé à lui en premier en écrivant cette phrase. Bon je ne peux pas mettre directement le prénom de mon fils dans une histoire dont je ne sais même pas si elle va tourner à son avantage ou pas. Et puis on ne sait jamais, si ce livre avait du succès ça pourrait lui nuire ou lui déplaire… Je verrai plus tard pour le prénom. Je laisse G pour l’instant et je verrai quel prénom ira pour ce personnage.

- Faut pas que tu t’arrêtes sur tous les mots sinon tu n’avanceras pas.

- Je m’arrête parce que tu m’as arrêtée ! Je reprends :

« G avance à petits pas vers la forêt. »

- Pourquoi as-tu écrit cette phrase ? Où voulais-tu aller ? Quelle était ton idée première ?

- L’idée ? Elle est vague : une image pour raconter quelque chose de complexe.

- Vas-y, poursuis, va chercher un peu plus loin le commencement de cette phrase… N’écris rien mais avance ! Avance à petits pas vers la forêt…

- Ahah ! très drôle !

- Attention ! Tu t’éparpilles ! Alors cette image pour raconter quelque chose de complexe, c’est quoi ?

- La forêt c’est l’inconscient. Je veux décrire le parcours d’une personne dans son inconscient. Il me parait difficile d’y entrer facilement et sans précaution… si tant est que l’on puisse y avoir accès. Donc je vais me servir d’un cauchemar récurrent que fait G. Mais au début on ne sait pas que c’est un cauchemar. On doit croire que G entre vraiment dans une forêt.

- Bien, tu as un peu éclairci la situation… Enfin, « éclairci » ce n’est pas vraiment le bon terme. Disons que tu as une direction. Tu vas raconter la traversée d’une forêt par quelqu’un, ses péripéties, ses difficultés, puis tu expliqueras que c’est un cauchemar puis…

- Attends ! Faut pas que j’oublie de dire que c’est la nuit. C’est très important.

« Il fait nuit et G avance à petits pas dans la forêt. »

- Ouf ! J’ai failli oublier que c’était la nuit.

- Pourquoi est-ce si important ?

- C’est l’image que j’ai devant les yeux.

- Oui mais comment G fait-il pour y voir ?

- Très juste ! En fait G n’est pas à pied, il est dans une voiture, et les phares de sa voiture éclairent son chemin.

- Bon ben alors il ne peut pas avancer « à petits pas ».

- Exact !

« Il fait nuit. G roule doucement vers la forêt qu’éclairent les phares de sa voiture. »

- A ce rythme-là tu n’es pas près d’écrire un livre, ni même une nouvelle !!!

- Oui. Il va falloir que j’arrête de me poser toutes ces questions, que je lâche un peu les rênes de mon écriture, que je laisse les mots…

- Stop, reconcentre-toi.

- Oui. Faut quand même que je trouve un prénom à G. Avec le prénom j’imaginerai mieux le personnage, il me deviendra plus familier, j’aurai l’impression de mieux le connaître.

- G, c’est bien un jeune homme, non ?

- Oui.

- Et pourquoi pas une jeune fille ?

- Dans l’image que j’ai devant les yeux c’est un jeune homme.

- Alors appelle-le … Gaspard ou Gontran…

- Et puis quoi encore ?

- Ou Germinal …

- C’est pas un prénom ?

- Ah ?

- Ou Guillaume ou Gus...

- Ah oui, Gus ! ça sonne bien ! Ça fait jeune, insouciant, lunaire… J’aime bien Gus, ça correspond bien à l’idée que je me fais du personnage.

« Il fait nuit. Gus roule doucement vers la forêt qu’éclairent les phares de sa voiture. »

- Tic, tac, tic, tac…

- Oh la la, j’y crois pas, il y a cinq minutes il était dix-huit heures quinze et maintenant il est dix-neuf heures. Pas vu le temps passer. Je commence à avoir faim ! D’ailleurs c’est l’heure de préparer le repas. Oui, mais je n’ai rien écrit ! Je ne peux décemment pas abandonner si vite la partie. Tant pis je me lance et j’écris tout ce qui me passe par l’esprit en cinq minutes, sans me poser de questions et sans lever la tête vers ce maudit réveil… enfin juste pour lancer le compte à rebours des cinq minutes : cinq, quatre, trois, deux, un…

« Il fait nuit. Gus roule doucement vers la forêt qu’éclairent les phares de sa voiture. Il a sommeil, il est si tard ! Ses yeux se ferment malgré lui et il sent que bientôt il ne pourra plus lutter. Prudemment il arrête le moteur. Il éteint ses phares. Tout est sombre, calme, endormi.

A peine le moteur arrêté et les phares éteints Gus sent ses nerfs s’aiguiser et son envie de dormir s’évanouir : tous ses sens sont en alerte. Cette forêt, cette nuit l’inquiètent. Il a l’impression d’être tout petit, sans défense. Il voudrait bouger, aller… il ne sait pas au juste où. Et pourtant il DOIT y aller. Mais à cet instant il en est incapable : ce qu’il ne connait pas, ce qu’il ne peut voir, ce qu’il ne peut entendre ou savoir, ce noir et ce silence le bloquent, le tétanisent et il a peur. »

- Yes ! gagné ! J’ai réussi à écrire cinq minutes sans m’arrêter. Demain, en faisant pareil je pourrai au moins écrire deux pages en une demi-heure !

- Oui mais t’as quand même pas écrit du Marguerite Yourcenar !

- Bon, arrête de me critiquer petite voix, là j’ai trop faim, je n’arrive plus à me concentrer et j’ai toujours pas préparé ce fichu repas ! Demain je reprendrai mon texte.

Frédérique Chamayou - Tous droits réservés ©

J. lit un extrait de La Forêt d'encre

E. lit un extrait de La Forêt d'encre