Personnages

Charlemagne qui empereur mais aussi le plus important propriétaire terrien d'Europe dresse dans ses capitulaires (ordonnances) la liste de 74 espèces de légumes, céréales, plantes médicinales, fleurs qu'il recommande de cultiver : melons, citrouilles, concombres, laitues, persil, chicorée, pois chiches (Charlemagne les adore), choux, betterave, radis, oignons, aulx, cerfeuil, menthe, fèves.... les arbres fruitiers : pommiers, poiriers, cerisiers, pêchers, amandiers, châtaigniers, cognassiers, noyers, figuiers. Avec tout cela, des lys et des roses..

Charlemagne exige dans chaque propriété, une basse-cour, et précise le nombre de volatiles : au moins 100 poules et 30 oies. Chaque année, les intendants sont tenus de présenter un état détaillé des revenus des domaines, et de verser au palais, le dimanche des Rameaux, le produit des redevances et des ventes.

A la cour d'Aix la chapelle, les repas obéissent à une étiquette qu'on ne retrouvera qu'au Grand Siècle en France, mais les plats qu'on y sert ont plus de rusticité : salades, porc, gibier, poissons, fromages, pâtisseries, fruits, des vins, dont ceux de Bourgogne (le Corton-Charlemagne) et de Champagne. Il faut des ruches dans chaque propriété, l'empereur recevant les 2/3 du miel et le 1/3 de la cire. Amateur de fromage, Charlemagne se fait envoyer par le prieur d'un couvent ruthénois deux caisses par an de ce qu'on croît être l'ancêtre du roquefort. Il exige également deux caisses de fromage de Brie. Tous ses domaines sont tenus d'entretenir des viviers pour y recevoir des brochets, des anguilles et des tanches. Il multiplie le nombre des boulangeries et il réprime le braconnage : un lièvre coûte une amende équivalant au prix de 60 vaches.

Pour ses repas, Charlemagne fait observer une minutieuse étiquette. Assis sur un siège élevé, dominant la salle, l'empereur dînait seul, servi non par des domestiques, mais par des souverains de passage, placés sous son protectorat, ou par des dignitaires de très haut rang. Pendant qu'il dîne on observe le silence. On lui fait la lecture. La table est recouverte d'une nappe mais chacun apporte son couteau. Les mains des convives sont lavées dans de l'eau parfumée, avant et après le repas.

En 1820, le cuisinier le plus célèbre d'Angleterre est un français, Alexis Soyer. Inventif, il crée des sauces que commercialiseront ses amis Crosse et Blackwell. Philanthrope, il convie en 1847, 20 000 pauvres de Londres à un repas de Noël.

CAMBACÉRÈS

"Recevez bien surtout, c'est au nom de la France !" lui avait dit Napoléon qui ajoutait aussi : "Si vous voulez bien manger, allez chez mon archichancelier." Ce "terroriste repenti", député à la Convention, avait organisé les repas du Comité de salut public et, Deuxième consul, utilisait la valise diplomatique pour faire parvenir des plats fins qui lui permettaient, il est vrai, d'amadouer les diplomates étrangers...

Cambacérès avait la réputation de manger beaucoup et des aliments lourds, comme le pâté chaud de boulettes, plat bête et fade par excellence, disait Carême qui n'avait guère de sympathie pour l'archichancelier. Napoléon le vit un jour glisser l'un de ces énormes pâtés dans la poche arrière de son habit, avant de partir pour une chasse. Il l'appela et, manoeuvrant pour le faire placer dos à la cheminée, il le retint là un long moment, parlant d'affaires d'Etat...assez longtemps pour transformer la poche ministérielle en une saucière dégoulinante, et provoquer ainsi l'hilarité générale aux dépens du glouton.

Rue Saint-Dominique, les grands dîners de Cambacérès avaient lieu les mardis et samedis. Les samedis étaient réservés aux hauts dignitaires français et étrangers qui, malgré leurs rangs et leurs titres, devaient arriver pour 5 heures 30 "très précises", ou, sous l'Empire, à 6 heures. Jamais aucun retard n'était admis et les portes de la salle à manger étaient impitoyablement fermées à l'heure dite. Pour les retardataires, ou pour ceux qui n'étaient pas conviés à dîner, des buffets étaient servis dans les salons.

Pendant les deux heures que duraient le repas, prolongé quelquefois sur cinq heures, les invités -hommes et femmes - dégustaient en chuchotant les seize plats des quatre services. Si leur appétit ne leur permettait pas de faire honneur au festin, il leur fallait utiliser des trésors d'ingéniosité pour se débarrasser discrètement de leur assiette. Tâche redoutable, car Cambacérès, qui choisissait lui-même les morceaux revenant à chacun, veillait aussi à ce qu'ils soient consommés!

En gastronome averti, l'amphitryon exigeait le silence et la concentration. Occupé à déguster la spécialité de sa maison, une perdrix mi-grillée mi-rôtie, il invectiva un soir le pauvre Aigrefeuille : "Parlez donc plus bas ! En vérité, on ne sait plus ce qu'on mange !". Le dîner fini, il avait coutume de passer entre les groupes qui s'étaient transportés dans les salons. Il ignorait les uns, invitait à nouveau les autres, commentait la tenue des dames qu'il voulait somptueuses et élégantes, dignes de son faste.

Réfutant l'opinion selon laquelle la table du prince était la première de France, Carême l'accuse d'avarice et de parcimonie en ne présentant que la moitié des entrées pour permettre à l'hôte de se vanter de sa table si abondante que les invités n'avaient pu goûter à tout et d'arranger un nouveau dîner "réchauffé" avec les restes, de ne pas faire servir les grosses pièces de pâtisserie de fond qui devaient toujours être présentées sans jamais pouvoir être goûtées.

Prince de l'Empire, duc de Parme, Cambacérès sera exilé par les Bourbons et se retirera en Belgique, où il mourra d'une apoplexie.

Dix ans après la mort de Louis XIV, les cuisiniers français ont conquis les Cours d'Europe et jusqu'à la fin du XIX ème. Grâce à leur "génie supérieur" dixit le Comte de Chesterfield, ses cuisiniers sauraient recréer l'air de Paris à des centaines de lieues de distance. Aussi Clouet et La Chapelle à Londres, Noël chez Frédéric II, deviennent-ils plus célèbres et convoités que les musiciens royaux. Peu importe qu'ils soient trop dépensiers, qu'ils refusent de transmettre leur savoir-faire aux cuisiniers locaux, que leur caractère trempé les entraîne à remettre à leur place leurs employeurs qui se piquent de cuisine, fussent-ils Ducs. On pardonne tout à qui sait accommoder en 2 services un poulet dont les blancs rôtis sont servis avec une sauce béchamel parfumée aux herbes et jus d'orange "alamode de Paris", les cuisses farcies et cuites à l'étouffée.

BRILLAT-SAVARIN

Né le 2 avril 1755 à Belley. Fils de Marc-Anthelme Brillat, seigneur du Pugieu-en-Bugey, il a reçu les prénoms de Jean Anthelme. Une de ses grand-tantes, Melle Savarin, en fit son légataire universel à condition qu'il ajoutât son nom au sien propre : ainsi devient-il Brillat-Savarin..

Dans sa famille, on est gens de robe de père en fils; il fait donc ses études de droit à Dijon et devient avocat au tribunal civil de Belley, puis représentant du Tiers-Etat à l'Assemblée Constituante. Mais son royalisme est connu et il doit s'exiler en Suisse, puis en Amérique et revient en France en septembre 1796, il s'enrôle dans l'armée du Rhin, puis entre dans la magistrature. Parent de la belle Mme Récamier, le voici familier des salons à la mode où il est vite connu comme anecdotier agréable, convive spirituel et averti. Il y amasse une quantité d'observations qui vont lui fournir la matière d'un livre qui paraît à compte d'auteur en octobre 1825 : la physiologie du goût.

Mais le 21 janvier 1826, Brillat-Savarin se rend à la cérémonie expiatoire de la mort de Louis XVI, célébrée tous les ans à Saint-Denis; il y prend froid et meurt le 2 février.

Vincent de La CHAPPELLE, maître queux de la maison de France créé pour Marie Leczinska, la femme de Louis XV le consommé à la reine, le poulet à la reine, le filet d'aloyau braisé à la royale, et surtout les bouchées à la reine. C'est à ce moment là que l'on commence à préparer la pâte feuilletée des vol-au-vent et des bouchées, puis à la cuire avant de la remplir d'une garniture légère, liée avec une sauce proche de la béchamel. Ce Vincent de La Chapelle, dont Carême écrira qu'il le tient pour le seul digne d'attention parmi ses devanciers, est né en France, mais son talent s'épanouit en Angleterre où il est chef de cuisine de lord Chesterfield. Il publie en 1733, sous le titre de Modern Cook, et en anglais, son livre de cuisine. La première édition du Cuisinier Moderne paraît deux ans plus tard. Vincent est alors passé au service du prince Guillaume d'Orange.

ADOLPHE DUGLÉRÉ (Bordeaux1805- Paris1884)

Il fut le plus élégant des cuisiniers. Après un apprentissage à Bordeaux, sa ville natale, Dugléré monte à Paris, entre chez les Rothschild, où il rencontre Carême, son maître. Après la révolution de février 1848, il devient chef aux Frères Provençaux (Palaîs-Royal) puis en 1866 officie au Café Anglais (actuel Berlitz),où le saint des saints des salons particuliers porte le numéro(Grand) Seize... L'Europe entière (grands-ducs et cocottes) y passe, dégustant la poularde et la barbue Dugléré, le potage Germiny, les pommes Anna, le soufflé à l'anglaise.. C'est lui qui composa le menu du célèbre dîner des "Trois empereurs" qui réunit le tsar Alexandre II, le tsarévitch Alexandre, Guillaume Ier de Prusse, le prince royal et Bismarck. On le découvre en filigrane dans « le Festin de Babette », où une exilée française initie à la bonne chère des Danois rigoristes. Mécène discret, Dugléré encourage les beaux-arts. Ami de Dumas, il le conseille pour son « Dictionnaire ». Il n'aurait pas laissé d'autres écrits que... des recettes.

Amphyclès est un célèbre cuisinier de la Grèce antique. Il se distingua par sa volonté de ne pas masquer le goût d'une viande ou d'un légume en utilisant les épices avec parcimonie. Il savait mieux que personne harmoniser une chair et une aromate. Il servait le lièvre à la broche, saignant, à peine parfumé de coriandre ou de fenouil; le cochon de lait bouilli et posé sur un lit de sauge. Il cuisait sous la cendre les alouettes enveloppées dans des feuilles de vigne et les rougets dans des feuilles de figuier.

Voici le menu d'un repas servi non pas dans un restaurant mais chez Barras (grand amphitryon) l'hiver 1795 mais il illustre jusqu'où l'on pouvait aller pour être dans le ton de l'époque : le filet de turbot maître d'hôtel est devenu "turbot à l'homme de confiance", la noix de veau est "à la directrice" et les pieds d'agneau d'agneau farcis "la citoyenne Villeroy". A ce dîner assistent les citoyennes Tallien, Talma, Beauharnais, Hingerelot et Osbirande pour lesquelles Barras recommande de garnir leur siège de coussins.

POTAGE

Aux petits oignons à la ci-devant Minime

RELEVÉ

Tronçons d'esturgeons à la broche

SIX ENTRÉES

Un sauté de turbot à l'homme de confiance

Ci-devant maître d'hôtel

Anguilles à la tartare

Concombre farci à la moelle

Vol-au-vent de blanc de volaille à la béchamel

Un ci-devant Saint-Pierre sauce aux câpres

Filet de perdrix en anneau (on ne dit plus en couronne)

DEUX PLATS DE ROT

Goujon du département

Une carpe au court-bouillon

SIX ENTREMETS

Lentilles à la ci-devant Reine

Betteraves blanches sautées au beurre

Culs d'artichauts à la ravigote

Oeufs à la neige

Gelée au vin de Madère

Beignets de crème à la fleur d'oranger

SALADE

Céleri en rémoulade

DESSERTS

Vingt-quatre assiettes diverses

TAILLEVENT : Guillaume Tirel dit. Né approximativement entre 1310 et 1315. Il vit sous les règnes de Louis le Hutin, de Philippe VI de Valois, de Jean le Bon, de Charles V le Sage et de Charles VI le Fou. Repose au prieuré de Notre Dame d'Hennebont près de St Germain en Laye en armure de chevalier portant un bouclier blasonné de 3 marmites. Il a servi la maison de France 66 ans (un record) pour Philippe VI et Charles V

1346 queux chez Philippe VI de Valois

1349 Il décide de fonder une chapelle au prieuré de Notre-Dame d'Hennemont

1359 queux du Duc de Normandie, régent du royaume

1373 1 er queux du roi

1388 1 er écuyer de cuisine

vers 1380 il a écrit le Viandier (de vivenda : aliment).

Il meurt en 1395

Cinq services : tel est l'usage en l'hôtel de Charles V, où il exerce, en qualité de "premier queux", après carrière chez les grands princes de l'époque. Assis sur un siège élevé, Taillevent règne sur de vastes cuisines où un personnel spécialisé -queux, poulaillers, sauciers, pâtissiers (chargés des pâtés), oubliers (chargés des gâteaux et friandises)- s'affaire devant foyers, broches, chaudrons, marmites, grils, poêles, citernes, saucières. Le palais entretient en outre une paneterie, une échansonnerie, une fruiterie. On boit le vin des domaines royaux, en Val de Loire ou Champagne.

Selon l'étiquette, qui ne concerne pas seulement le roi, mais les princes souverains, les plats sont apportés en cortège et présentés à l'illustre personnage, qui dîne seul, servi par des écuyers de haute noblesse.

Entre chaque service, dans les banquets, des divertissements sont offerts aux convives.

Bien entendu, et cette tradition sera longtemps observée, puisque tel est le service à la française, personne ne goûte tous les plats. La bienséance veut qu'on se serve devant soi.

TALLEYRAND

"Recevez, donnez un dîner de trente-six couverts quatre fois par semaine. Que tout ce que la France compte d'hommes de valeurs et d'amis étrangers soient conviés." C'était la consigne de l'Empereur à son ministre, semblable à celle qu'avait reçue Cambacérès.

Talleyrand avait bien compris et conseillait lui-même aux ambassadeurs de France de plus compter sur leurs casseroles, pour réussir dans leur mission, que sur leurs secrétaires. En 1808, il s'installa à Matignon où quatre fois par semaine, il donnait des dîners de gala. Puis c'est dans la rue Saint-Florentin que le ministre apprivoisera les hommes politiques étrangers, grâce à Boucher (appelé Bouche-sèche), ancien officier de la maison de la princesse de Lamballe, Robert et Carême, dont il favorisera le génie.

La table princière vit défiler toute l'Europe illustre, politique, savante et, artistique. Brillat-Savarin s'y fait remarquer par son grand appétit et son profond silence. Aussi populaire pour sa fourchette que pour son esprit et son art de la diplomatie, le prince de Bénévent rendit à la France post-révolutionnaire sa réputation de faste et d'hospitalité. Un soir, on s'apprêtait à servir un saumon de taille exceptionnelle. Soudain, le plat tombe, les invités se pâment discrètement, tandis que l'hôte, calmement, donne l'ordre d'apporter le second poisson, tout aussi énorme que le premier. Il avait astucieusement réglé le scénario destiné à faire éclater sa magnificence.

Dans son superbe château de Valençay, l'ancien évêque d'Autun dînait à 5 heures avec ses hôtes. Le matin, il avait passé une heure avec son cuisinier, pour s'occuper du menu et écouter les commentaires -gastronomiques et autres- que ses serviteurs avaient entendus au dîner de la veille. Il déjeunait de plusieurs tasses de camomille et, à midi, prenait une soupe ou deux pour pouvoir, au dîner, faire honneur à sa table élaborée de main de maître. Très brillant également dans l'art du découpage, il servait lui-même ses invités en viande et en volaille. Sa cave, à l'instar de sa table, dépassait de loin celle de l'Empereur.

Son hospitalité était, en France comme à l'étranger, un outil politique tout aussi important que les instructions de Napoléon. Casseroles de cuivre et provisions encombrèrent la valise diplomatique autant que les documents et les dépêches. Mais c'était sa façon de circonvenir les diplomates étrangers.

Il servit aussi Louis XVIII en tant qu'ambassadeur. Lors du congrès de Vienne, prenant congé de l'empereur, il lui dit : "Que Votre Majesté veuille bien me croire, j'ai plus besoin de casseroles que de questions écrites."

Vexé de la nomination de Cambacérès à la présidence du Jury des Dégustateurs, Talleyrand se vengera en dénonçant Grimod de la Reynière à Fouché, le redoutable préfet de police

PARMENTIER Né à Montdidier dans la Somme, le 12 août 1737, dans cette rue de la Mercerie qui porte aujourd'hui son nom, Parmentier entre en 1753 comme commis-assistant chez le pharmacien Frisson, place de la croix bleue puis chez un apothicaire du Palais Royal, le sieur Simonet, qui dirige le jeune homme vers la pharmacie militaire. Parmentier se retrouve en 1757 sur les champs de bataille de l'armée du Hanovre sous les ordres du grand chimiste Bayen. Il n'hésite pas à aller secourir et soigner les blessés sous le feu de l'ennemi. Il est même pris 5 fois et dévalisé par les détrousseurs de cadavre. Il écrit avec humour : "Je ne connais de plus habiles valets de chambre que les hussards prussiens. Ils m'ont déshabillé plus vite que je ne pouvais le faire moi-même, ce sont de fort honnêtes gens; ils ne m'ont point fait de mal: ils ne m'ont pris que mes habits et mon argent." Mais à la 6 ème fois, ces honnêtes gens le font prisonnier. Pendant plus d'un an que dure sa captivité, Parmentier n'est nourri pratiquement que de pommes de terre. c'est alors qu'il conçoit l'idée de propager en France la culture de ces tubercules qui n'y est connu que comme plante ornementale et à la rigueur comme "nourriture à cochon". après sa libération, il multiplie ses démarches en ce sens. en vain. En 1769, il occupe le poste de pharmacien à l'Hôtel des Invalides. Il est alors victime d'une cabale et doit démissionner pour avoir voulu faire manger des pommes de terre aux pensionnaires de l'Hospice. Il ne renonce pas et 2 ans plus tard, il remporte le premier prix au concours de Besançon. dès lors, les milieux scientifiques s'intéressent à son idée et Lavoisier le fait désigner pour parcourir la France afin d'étudier les raisons de la mauvaise qualité du pain. A son retour, Parmentier rédige un long rapport sur la façon de faire du pain de pomme de terre "sans mélange de farine".

Il convie une douzaine de personnalités parmi lesquels Franklin, d'Alembert, Lavoisier et un jeune diplomate suédois Axel de Fersen à un dîner uniquement fait de pommes de terre accommodées sous 20 formes différentes.

Le roi Louis XVI, soucieux comme tous ses prédécesseurs depuis des siècles d'enrayer les famines cycliques, met à la disposition de Parmentier un champ dans la plaine des Sablons, près de Paris. Afin d'exciter la curiosité des gens, il fait garder militairement le champ de pommes de terre le jour et pas la nuit. L'attrait du fruit défendu est tel que beaucoup goûtent ces tubercules soi-disant interdits et les trouvent fort bons.

Le 25 août 1785, une grande réception a lieu à Versailles pour la fête de Louis XVI. Tout ce que la France compte de notabilités a été invité. Parmentier offre au roi un petit bouquet de fleurs de pommes de terre :

- Sire, dit-il, je viens vous offrir un bouquet digne de vous et je ne pense pas qu'aucun de ceux qu'on vous présentera aujourd'hui soit plus agréable à Votre Majesté...

Le roi dit en souriant :

- Monsieur Parmentier, des hommes tels que vous ne se récompense pas avec de l'argent. il y a une monnaie plus digne de leur cœur ! Donnez-moi la main, et venez embrassez la Reine...

Les paroles sont historiques; la pomme de terre vient de recevoir ses lettres de noblesse.

Le roi prend une des fleurs et la tend à Marie-Antoinette qui l'agrafe à son corsage. lui-même en place une à sa boutonnière et en tend une à Parmentier qui s'écrit :

-Sire, désormais, la famine est impossible.

Dès le lendemain tous les gens de la cour veulent arborer eux aussi la fleur de pomme de terre. Certains vont jusqu'à en payer une 10 louis.

En 1789, il publie son grand ouvrage : le traité sur la culture et les usages de la pomme de terre, de la patate et du topinambour.

On lit dans sa préface : "les tubercules de cette plante ont l'avantage de braver les effets destructeurs de la grêle, de remplacer en substance le pain, d'entrer dans sa composition quel que soit leur état, gelées ou gerlées, et d'épargner sur la consommation de farine lorsqu'un événement extraordinaire a rendu cette dernière acre et chère". Et il souhaite "voir les vignerons, au lieu de se nourrir d'un pain grossier composé d'orge, de sarrasin et de criblure où l'ivraie domine, mettre, au pied de leurs vignes, des pommes de terre et se ménager ainsi un genre d'alimentation qui supplée à tous les autres et peut les remplacer de la manière la plus complète dans les circonstances de disette".

Louis XVI remet à Parmentier le cordon de l'ordre de Saint-Michel.

Pourtant, en 1789, la disette n'est pas loin et la misère va être la plus efficace alliée de Parmentier : la pomme de terre s'impose avec la dernière disette de 1811. La grande innovation est la purée au lait d'amande, servie avec de la viande, ou en gâteau. L'Art du cuisinier de Beauvilliers n'y consacre que quatre recettes, et l'auteur estime que les meilleures viennent de Hollande et non de France. On apprend à les présenter en croquettes, en soufflé, et Carême, dans les repas de plus de quarante couverts, les sert frites ou à la crème. Accueillie prudemment par la grande cuisine, elle passe ensuite dans la bourgeoisie, mais ce n'est que quarante ans plus tard que le petit peuple se résignera à la consommer, avant tout par nécessité. Parmentier meurt le 17 décembre 1813. Trois ans plus tard, les pharmaciens français, civils et militaires, se cotisent pour élever un monument sur sa tombe au cimetière du Père Lachaise à Paris. Chaque année au mois d'août, les pommes de terre y fleurissent.

Extrait d'un rapport adressé à Paré, ministre de l'Intérieur, par son agent en Normandie, Bedigis; septembre 1793 :

Département de la Seine-Inférieure. District de Cany.

"...Cette culture, l'une des plus précieuses, n'est point encore en usage dans ce département. les cultivateurs mêmes témoignent pour elle d'une sorte de répugnance, quoi qu'ils aient sous les yeux des exemples bien propres à faire cesser leur prévention. Il n'est point de culture qui offre autant de ressources et de profits.

La pomme de terre se plante ordinairement sur des jachères : ainsi, cette culture n'empêche pas de semer la même quantité de blé; moins assujettie aux vicissitudes qui annuellement moissonnent et détruisent les autres végétaux, elle brave les effets de la grêle, nettoie les champs infectés de mauvaises herbes, détruit le chiendent, qui abonde dans ce pays, donne sans engrais de riches récoltes dans les prairies artificielles retournées, dispose favorablement le terrain à recevoir (sic) des fonds les plus ingrats et la (sic) rendre propre à rapporter d'autres productions.

La pomme de terre se plante en avril et se récolte en octobre; elle offre toujours une récolte assurée; elle est un excellent aliment pour les hommes et les bestiaux; elle peut suppléer en tout dans les années de disette. On doit en prescrire la culture comme une mesure de salut public. Il ne faut pas perdre de vue que la campagne est dégarnie de bestiaux, qu'il n'y a que peu de menus grains et de fourrages, que, si l'on ne prend à l'avance de grandes mesures pour parer à tous les événements, on pourrait se trouver dans de fâcheux embarras l'année prochaine.

J'ai exposé toutes ces raisons dans une conférence tenue au chef-lieu de canton de Saint-Laurent. Un citoyen a observé que les Anglais n'étaient venus à bout de leur révolution que par le secours de pommes de terre. On peut la nommer la plante de l'homme libre, parce qu'elle n'exige point de soins constants et laisse par conséquent au cultivateur le loisir nécessaire pour s'occuper des grands intérêts de la République. C'est à cette culture que l'Angleterre doit la grande quantité de bestiaux qu'elle engraisse, et qui sont une des premières bases de la prospérité agricole. Mais on ne se dissimule pas que les lumières sont si peu répandues parmi les cultivateurs, que l'autorité du Gouvernement est absolument nécessaire pour répandre cette culture autant qu'elle doit l'être.

Il conviendrait de décréter que les cultivateurs, grands et petits, dans toute l'étendue de la République, seraient tenus d'employer en pommes de terre une certaine fraction des terres à grains qu'ils exploitent; on pourrait fixer cette fraction au cinquantième.

Si le Gouvernement prend ce parti, l'un des plus salutaires dans les circonstances actuelles, il serait à propos qu'il fît publier et répandre en grand nombre, dans toutes les communes où cette culture n'est point connue, une instruction pour le faire connaître. On trouverait tous les éclaircissement qu'on peut désirer sur cet objet dans le Traité sur la culture [et les usages] des pommes de terre, de la patate et du topinambour , par le citoyen Parmentier."

R était le chef d'office de la comtesse de Soissons puis de Colbert. Il a écrit en 1692 "La maison réglée", "L'Art de diriger la maison d'un grand seigneur et autres, tant à la ville qu'à la campagne" et "Le devoir de tous les officiers et autres domestiques en général" dans lequel il décrit la composition de la Maison d'un grand seigneur. Il avait voyagé en Italie en 1660 où il avait découvert les petits pois primeurs qu'il introduisit à la Cour de France.

Louis BIGNON. Après avoir débuté au Café d'Orsay, il prit la direction du café Foy dont il fit une des meilleures maisons de Paris. En 1847, il céda cet établissement à son frère pour prendre la direction du Café Riche dont il fit la plus illustre maison de Paris. Il y inventa des plats nommés "à la Riche". Décoré de la Légion d'Honneur, reconnu par ses pairs, il fut le président de l'Union syndicale des restaurateurs et limonadiers du département de la Seine.

Jules GOUFFÉ. (Paris 1807 - Neuilly 1877). Il fit son apprentissage avec son père, pâtissier rue Saint-Merri, puis Carême le remarqua et le prit avec lui à l'ambassade d'Autriche. En 1840, il s'établit au faubourg Saint-Honoré pour devenir une des meilleures maisons de Paris. Il se retire en 1855 jusqu'en 1867 où il prend la place de chef de bouche du Jockey-club et en même temps écrit "Le livre de cuisine".

LAGUIPIÈRE est né au milieu du XVIIIème et mort en 1812 à Wilna pendant la retraite de Russie. Il y servait Murat. Carême lui rend hommage : "Tes talents furent extraordinaires et te valurent la haine de ceux qui auraient dû admirer ta noble émulatyion pour le perfectionnement de notre état. C'est à Paris que tu aurais dû mourir, au milieu de l'impression de respect que nous cauisait le souvenir de tes gands travaux." Malheureusement, Laguipière n'a laissé aucun écrit.

SAINT LAURENT est le patron des cuisiniers. Condamné à mort, il fut brûlé vif sur un grill, supplice aussi courant que la roue et croix.

La VARENNE était un grand cuisinier qui vivait au XVIIème siècle. Il a d'abord été marmiton chez la duchesse de Bar, la soeur d'Henri IV auprès duquel il prit ensuite un poste très important. Il a écrit des livres de cuisine et de pâtisserie dont on peut encore aujourd'hui utiliser les recettes :

Le Pâtissier français (1653); Le Cuisinier français (1651); Le Confiturier français (1664); L'école des ragoûts (1725).

Urbain DUBOIS est un cuisinier français né à Trets en 1818 et mort à Nice en 1901. Il commença à Paris chez Tortoni puis au Rocher de Cancale et au Café anglais. Mais il officia essentiellement en Russie chez le Prince Orloff et en Allemagne chez Guillaume Ier. Il aurait été le promoteur du "Service à la russe". Il a écrit plusieurs livres dont :

La cuisine classique (1856); La Cuisine de tous les pays (1868); La Cuisine artistique (1870); L'Ecole des cuisinières (1876); La Nouvelle cuisine bourgeoise pour la ville et pour la campagne (1878); Le Grand livre des pâtissiers et des confiseurs (1883); La Cuisine d'aujourd'hui (1889); et La Pâtisserie d'aujourd'hui (1894).

Auguste ESCOFFIER est né à Villeneuve-Loubet, non loin de Nice. Fils d'un maréchal ferrant et cultivateur de tabac, il fait son apprentissage dans les grandes maisons de la Côte d'Azur, dès l'âge de 12 ans. En 1865, il débute au Petit Moulin Rouge de l'avenue d'Antin à Paris. Il y est chef saucier en 1870, lorsque la guerre éclate. Ensuite il va à l'hôtel Luxembourg de Nice, puis retourne au Petit Moulin Rouge comme chef. Il effectue des stages chez Chevet au Faisan Doré. Le célèbre restaurateur Paillard le fait entrer comme chef à la Maison Maire.

Il assure des saisons d'hiver à Monte-Carlo, comme chef à l'hôtel de Paris et en Suisse à l'hôtel National de Lucerne, dont César Ritz est directeur. Il le suivra à Londres au Savoy, puis au Carlton. Et c'est en Angleterre que se déroule dès lors sa prodigieuse carrière. Il y acclimate les asperges vertes, ce qui fait la fortune de ses compatriotes du Midi et des cuisses de grenouille que la gentry londonienne accepte enfin lorsqu'il les baptise "cuisses de nymphes!"

Son nom est lié à l'invention de la pêche MELBA. En effet, en 1892-93, Mme Melba réside au Savoy à Londres et chante à l'opéra de Covent Garden. Escoffier l'applaudit dans le rôle d'Elsa de Lohengrin,, et pour la remercier du plaisir qu'il a eu à entendre sa voix, il lui sert le lendemain soir des pêches sur un lit de glace vanille, dans une timbale en argent incrustée entre les deux ailes d'un cygne taillé dans un bloc de glace, recouvert d'un voile de sucre filé. La grande artiste est ravie de cette attention. Cependant Escoffier estime qu'il manque quelque chose à son dessert pour être vraiment parfait. Il a l'idée d'y ajouter le parfum de la framboise et dédie définitivement la pêche Melba à la chanteuse lors de l'ouverture du Carlton de Londres.

Il demeure titulaire à cet hôtel jusqu'en 1920, mais garde ensuite de nombreuses activités d'organisateur, notamment quand il s'agit de lancer une saison, ou un palace, d'inaugurer le Ritz-Carlton, restaurant installé à bord du paquebot Paris en 1931, pour sa première traversée, ou d'accompagner l'empereur Guillaume II sur son yacht lors d'une croisière en mer du Nord.

Il écrit de nombreux ouvrages devenus classiques.

Il meurt le 12 février à la villa Fernand à Monte-carlo.

La maison ,natale du maître est transformée en musée de l'Art culinaire, à l'initiative de M. et Mme Joseph Donon, fondateurs. La bibliothèque renferme des livres précieux et anciens; à peu près toute la littérature culinaire parue en français, anglais, allemand, suédois, norvégien, danois et japonais; c'est une mine de renseignements que le conservateur met à la disposition des chercheurs.

Une collection de menus permet de reconstituer les repas des restaurants de renom disparus et ceux célébrant des événements historiques.

Il a fait découvrir la sauce au raifort ou à la menthe aux français.

MENU pour ENFANTS vers 1900 d'Auguste Escoffier

POTAGES

Consommé aux Cheveux d'Ange. Velouté Reine des Fées

POISSON

Ondines aux Crevettes roses

RELEVES

Mignonettes d'Agneau de lait

Mousseline d'Asperges vertes

ENTREE

Crème aux Amourettes

ROTI

Blanc de poulet

LEGUMES

Coeurs de laitues au jus

ENTREMETS

Petits Berceaux surprise

Pêches pochées à la vanille

Charlotte Chantilly. Gelée aux Violettes

DESSERTS

Friandises Nids de fauvettes

VINS

Grand Cru St Léger

Bébé Champagne

François VATEL est un fils de laboureur né vers 1625. Il s'est illustré comme maître d'hôtel à Vaux-le-Vicomte, auprès de Nicolas Fouquet. Après un exil prudent à l'étranger, il est entré au service du prince de Condé comme "contrôleur général de la Bouche de Monsieur le Prince".

Après plusieurs années de patience, le héros de Rocroi a la satisfaction de recevoir le roi Louis XIV et la Cour dans son superbe chateau de Chantilly, au nord de Paris. Cette réception doit marquer son complet retour en grâce et le pardon du roi après sa participation à la Fronde nobiliaire.

Vatel doit nourrir pendant trois jours, du jeudi soir au samedi, 600 courtisans et un total de plusieurs milliers de personnes, domestiques compris.

Le jeudi soir, surmené par les préparatifs de la fête, le contrôleur général se désole de ce que quelques rôtis ont manqué à certaines tables. Toute la nuit, il court à l'affût du moindre désordre. Au petit matin, le retard de la "marée" qui amène les poissons et les coquillages de Boulogne met le comble à son désespoir. Il gagne sa chambre et se transperce à trois reprises avec son épée. La marée arrive sur ces entrefaites et l'on fait la macabre découverte de son cadavre tandis qu'on le cherche pour en prendre possession.

Le Roi-Soleil, informé par le Prince, se montrera affligé d'un tel sens de l'honneur mais la fête n'en continuera pas moins jusqu'à son terme.

Maître d'hôtel, Vatel n'a créé aucune recette. Il est devenu une légende en raison de son suicide et de la publicité qu'en a faite la marquise de Sévigné:

A Paris, ce dimanche 26 avril 1671

Il est dimanche; cette lettre ne partira que mercredi; mais ceci n'est pas une lettre, c'est une relation que vient de me faire Moreuil, à votre intention, de ce qui s'est passé à Chantilly touchant Vatel. Je vous écrivis vendredi qu'il s'était poignardé : voici l'affaire en détail.

Le roi arriva jeudi au soir; la chasse, les lanternes, le clair de lune, la promenade, la collation dans un lieu tapissé de jonquilles, tout cela fut à souhait. On soupa : il y eut quelques tables où le rôti manqua, à cause de plusieurs dîners où on ne s'était pas attendu. Cela saisit Vatel; il dit plusieurs fois: "Je suis perdu d'honneur; voici un affront que je ne supporterai pas." Il dit à Gourville : "La tête me tourne; il y a douze nuits que je n'ai dormi; aidez-moi à donner des ordres." Gourville le soulagea en ce qu'il put. Ce rôti qui avait manqué, non pas à la table du roi, mais aux vingt-cinquièmes, lui revenait toujours à la tête. Gourville le dit à Monsieur le Prince. Monsieur le Prince alla jusque dans sa chambre et lui dit:

"Vatel, tout va bien, rien n'a été si beau que le souper du roi." Il lui dit : "Monseigneur, votre bonté m'achève : je sais que le rôti a manqué à deux tables. -Point du tout, dit Monsieur le Prince, ne vous fâchez point, tout va bien." La nuit vient : le feu d'artifice ne réussit pas, il fut couvert d'un nuage; il coûtait seize mille francs. A quatre heures, Vatel va partout, il trouve tout endormi. Il rencontre un petit pourvoyeur qui lui apportait seulement deux charges de marée; il lui demanda : "Est-ce là tout ?" Il lui dit "Oui, monsieur.' Il ne savait pas que Vatel avait envoyé à tous les ports de mer. Il attend quelques temps; les autres pourvoyeurs ne viennent point; sa tête s'échauffait. Il croit qu'il n'y aura plus d'autre marée; il trouve Gourville, et lui dit : "Monsieur, je ne survivrai pas à cet affront-ci j'ai de l'honneur et de la réputation à perdre." Gourville se moqua de lui. Vatel va à sa chambre, met son épée contre la porte, et se la passe au travers du corps, mais ce ne fut qu'au troisième coup, car il s'en donna deux qui n'étaient pas mortels; il tombe mort. La marée arrive cependant de tous côtés; on cherche Vatel pour la distribuer; on va à sa chambre; on heurte, on enfonce la porte; on le trouve noyé dans son sang; on court à Monsieur le Prince, qui fut au désespoir. Monsieur le Duc pleura c'était sur Vatel que roulait tout son voyage de Bourgogne. Monsieur le Prince le dit au roi fort tristement : on dit que c'était à force d'avoir de l'honneur à sa manière; on le loua fort, on loua et blâma son courage. Le roi dit qu'il y avait cinq ans qu'il retardait de venir à Chantilly, parce qu'il comprenait l'excès de cet embarras. Il dit à Monsieur le Prince qu'il ne devait y avoir que deux tables et ne se point charger de tout le reste. Il jura qu'il ne souffrirait plus que Monsieur le Prince en usât ainsi; mais c'était trop tard pour le pauvre Vatel. Cependant Gourville tâcha de réparer la perte de Vatel; elle le fut; on dîna très bien, on fit collation, on soupa, on se promena, on joua, on fut en chasse; tout était parfumé de jonquilles, tout était enchanté. Hier, qui était samedi, on fit encore de même et, le soir, le roi alla à Liancourt, où il avait commandé un médianoche ; il y doit demeurer aujourd'hui. Voilà ce que m'a dit Moreuil pour vous le mander. Je jette mon bonnet par-dessus les moulins, et je ne sais rien du reste.

Madame de Sévigné

CARÊME naît à Paris le 8 juin 1784 d'une famille très pauvre. Il écrit "quoique né d'une des plus pauvres familles de France, d'une famille qui a compté 25 enfants, quoique mon père même, pour me sauver, m'ait littéralement jeté à la rue, la fortune m'a souri rapidement et une bonne fée m'a souvent pris par la main pour me mener au but."

L'enfant erre quelques temps dans Paris, trouve un gîte chez un gargotier où il demeure 4 ou 5 ans. Il y vit sûrement en matière de cuisine, comme en matière de mœurs, les pires choses qu'il jura de ne plus voir et de ne plus subir. Il y apprend l'ABC du métier et la chance lui sourit lorsqu'il entre chez Bailly, le traiteur le plus célèbre de l'époque, installé rue Vivienne (qui avait comme client M. de Talleyrand). Voyant son goût pour pour le dessin, Bailly lui conseille d'aller cultiver son talent au Cabinet des Estampes.

"A 17 ans, écrit Carême, j'étais chez Bailly, son premier tourtier. Ce bon maître (l'illustre Avice) s'intéressa à moi. Il me facilita les sorties pour aller dessiner au Cabinet des Estampes. Quand je lui eus montré que j'avais une vocation particulière pour son art, il me confia l'exécution des pièces montées destinées à la table du Consul." Il ajoute : "Les beaux-arts sont au nombre de cinq, à savoir, la peinture, la sculpture, la poésie, la musique, l'architecture, laquelle a pour branche principale la pâtisserie."

Sous la protection de Talleyrand, il est probable que Carême a été son espion. En tous cas, il avait lui aussi conscience de l'importance de la gastronomie dans la diplomatie. Il disait : "L'Art culinaire escorte la diplomatie et tout premier ministre est son tributaire." Au cours d'un dîner chez Mr de Talleyrand, le 31 mars 1814 se trouve le tzar Alexandre I er. Ce dernier est conquis et demande à son ambassadeur le prince Kourakine de lui trouver un cuisinier français pour sa cour de St Pétersbourg. Le prince demande à Talleyrand s'il pense que Carême accepterait : -Surement, dit-il, il part ces jours-ci en Angleterre, au service du Régent. Mais il n'y restera guère ; le climat lui sera insupportable. Carême demeurera au service du futur Georges IV, (jusqu'au Congrès de Vienne en 1815. Ayant alors rempli son rôle à Londres, il part pour St Pétersbourg au moment même où le tsar Alexandre, sous l'influence de la baronne Krüdener, se montre hostile à la France : Talleyrand a bien besoin de connaître les grands et les petits secrets de la cour de Russie pour prévenir une nouvelle trahison du tsar après celle de Tilsit.

De St Pétersbourg Carême passe au service de l'empereur d'Autriche. Il oeuvre au Congrès d'Aix la Chapelle, de Laidach et de Vérone, puis chez la princesse Bagration, chez Lord Stewart, enfin chez le baron de Rothschild. Il mourut en 1833 à l'âge de 49 ans.

Ses recettes sont fastueuses et témoignent des moyens illimités dont il disposait. Ses successeurs les plus célèbres simplifieront et supprimeront les ingrédients trop rares mais tous Gouffé, Escoffier, Montagné, etc... s'inspireront de son oeuvre.

Menu préparé par Carême le 2 mars 1821 pour le dîner de lord Stewart à Vienne :

DEUX POTAGES

La gibelotte d'oie au vin de Madère

Le potage de quenelles à l'italienne

DEUX RELEVÉS DE POISSON

Les soles à l'anglaise

Le chile à la hollandaise

DEUX GROSSES PIÈCES

La dinde à la financière

Le jambon glacé aux épinards

QUATRE ENTRÉES

Les petites cassolettes de riz à la reine

Le sauté de volaille à la lyonnaise

Les escalopes de levraut au fumet

Les côtelettes d'agneau aux pointes d'asperges

DEUX PLATS DE ROTS

Les faisans, sauce au pain

Les poulardes, sauce aux œufs

QUATRE ENTREMETS

Les asperges

Les choux-fleurs au parmesan

Le pouding de cabinet

La gelée d'orange moulée

Pour extra, les fondus en caisses.