Coutumes de table

Les verres à boire en verre blanc datent du temps de Néron.

Dans le palais d'or de Néron, le plafond de la salle à manger était constitué par des panneaux mobiles en ivoire permettant un mouvement circulaire. Il imitait les révolutions du ciel et représentait les saisons de l'année par un changement à chaque service. De ce plafond, des essences parfumées et des fleurs pleuvaient sur les convives.

Au temps de César, vint l'usage de couvrir les tables d'étoffe de lin, de laine ou de soie : ce furent les premières nappes. Leur usage tomba en désuétude à la chute de Rome puis revint à la mode au Moyen Age. La nappe joue un grand rôle dans les mœurs féodales. Il faut être de même rang pour manger sur la même nappe, sinon on ajoute une sorte de napperon pour marquer la différence. Une des plus graves injures était de trancher la nappe à sa droite et à sa gauche pour marquer qu'on avait failli à l'honneur et qu'on n'était plus accepté.

L'usage de la fourchette est connu depuis très longtemps pour le service et la cuisine mais n'apparaît en France qu'au XVIème siècle après les guerres d'Italie où elle existait déjà pour l'usage de table. Elle restera longtemps anecdotique. Au XVIIème siècle, Franklin écrit dans "La vie privée d'autrefois" que le roi Louis XIV fouillait avec ses mains dans les plats qu'on lui servait et ne se servit d'une fourchette que dans sa vieillesse.

Vers 1700 un voyageur anglais Coryate découvre l'usage de la fourchette en Italie. C'est la première fois qu'il voit un tel ustensile de table : "Les fourchettes sont de fer ou d'acier; les nobles mangent avec des fourchettes d'argent. J'en arrivais à adopter cette coutume et à me servir de fourchette, même lorsque je fus de retour en Angleterre. Cela me valut d'ailleurs plus d'une raillerie, et un des mes amis intimes ne craignit pas, en plein dîner, de m'appliquer l'épithète de furcéfer." En 1712, lors d'un voyage en France, il constate que l'usage de la fourchette se généralise dans la bonne société.

Les usages sont parfois longs à se répandre. Il y a encore quelques temps, certains n'admettaient pas qu'on se serve de la fourchette pour manger des frites.

Sous Louis Louis XIV, Nicolas de Bonnefons raconte en 1654 dans son livre "Les délices de la campagne", les complications du banquet. "La grande mode est de mettre quatre beaux potages dans les quatres coins, et quatre porte-assiettes entre deux, avec quatre salières qui toucheront les bassins des potages en dedans. Sur les porte-assiettes, on mettra quatre entrées dans des tourtières à l'italienne; les assiettes des conviés seront creuses aussi, afin que l'on puisse se représenter du potage ou s'en servir soi-même, ce que chacun désirera manger, sans prendre cuillerée à cuillerée dans le plat, à cause du dégoût que l'on pourrait avoir les uns des autres, de la cuiller qui, au sortir de la bouche, puiserait dans le plat, sans l'essuyer.

Le second service sera quatre fortes pièces dans les coins, soit court-bouillon, la pièce de bœuf ou de gras rôti, et, sur les assiettes, les salades.

Au troisième service, la volaille et le gibier rôti, sur des assiettes le petit rôti, et ainsi tout le reste. Le milieu de la table reste libre, d'autant que le maître d'hôtel aura peine à y atteindre, à cause de sa largeur, si l'on veut, on pourra y mettre les melons, les salades différentes dans un bassin, sur de petites assiettes pour la facilité de se les présenter, les oranges et les citrons, les confitures liquides dans de petites abaisses en massepain, aussi sur des assiettes."

Toujours à l'époque de Louis XIV, le Grand d'Aussy décrit dans "la vie privée des Français", un repas de huit services.

"Pour le Premier service : diverses sortes de soupes, viandes coupées par rouelles, saucisses et autres choses pareilles. Le Second service : fritures, daubes, courts-bouillons, gibiers, jambons, langues de porc ou de bœuf fumées, farces, pâtés chauds, salades, melons. Troisième service : chapons, perdrix, faisans, bécasses, ramiers, dindonneaux, levrauts, lapins, agneaux, le tout rôti à la broche et servi avec des oranges et des citrons et aussi accompagné d'olives. Quatrième service : mauviettes, ortolans, grives, bécassines, ris de veau et diverses béatilles. Cinquième service pour ôter le goût des viandes : saumons, truites, brochets, carpes cuits dans la pâte, écrevisses et tortues. Sixième service : légumes, fruits en compote ou glacés au sucre, crèmes cuites, blanc-manger.Septième service : pâtisseries de toutes sortes et fruits frais. Huitième service, appelé aussi issue de table : confitures sèches et liquides, fruits confits, fenouil au sucre, pastilles et dragées.

Entremets : On rangeait anciennement sous ce nom des mets qui venaient après celui du rôti. Il comprenait des plats doux et des légumes. Entre le XIVème et le XVIIème siècle, on y ajoutait des petits spectacles et divertissements qui servaient d'intermède. Puis le mot désigna des mets sucrés que l'on sert dans un dîner après les fromages.

Enfin, pour terminer complètement le repas, les invités étaient conviés dans une autre pièce et chacun pouvait purifier son haleine et faciliter sa digestion en absorbant des dragées, des épices confites ou naturelles, qui étaient très luxueuses. C'était ce que l'on nommait le « boute-hors ». Ces petites gâteries de fin de repas s'accommodaient parfaitement des vins de claret et d'hypocras. L'hypocras est un vin blanc doux dans lequel on a laissé macérer de nombreuses plantes et épices (cannelle, gingembre, cardamome...).

Au Moyen Age, les cuisines étant souvent éloignées des salles où l'on mangeait, les plats étaient apportés couverts par des cloches. C'est de cette coutume qu'est venue l'expression "mettre le couvert". Ceux qui veillent au cérémonial du repas du roi sont les chevaliers-servants.

Dans les châteaux, la salle à manger n'existait pas. Quand le seigneur voulait manger on "dressait une table" sur des tréteaux dans la salle où il se trouvait. Remarquez que vous ne visitez jamais de salle à manger dans les châteaux.

Dans le service à la française, le maître de maison se tient au centre de la table et peut piocher dans les 18 plats (4 potages, 4 rôts et 10 hors d'oeuvre). Les invités s'installent devant le couvert portant leur nom sur un carton, et cette géographie subtile instaure une hiérarchie dans la qualité des convives (Cette pratique se retrouve d'ailleurs dans toutes les couches de la société.) car les personnes placées en bout de table doivent compter sur l'assistance de leurs voisins.

Louis XVIII sera le dernier à imposer le service "à la française" qui exigeait de présenter tous les plats en même temps organisés en "vagues" successives. Chaque service comporte de 3 à 15 mets, selon le nombre de convives.

La succession est la suivante : potages et hors d'oeuvre, relevés et entrées, rötis, entremets divers, fromages, fruits, glaces et desserts. Les plats sont posés avec symétrie et circulent peu, ou dans un chassé-croisé précis, pour revenir toujours à la même place.

Dès Charles X, le service "à la russe" revient. C'est sous l'Empire, en 1810 que le prince Alexandre Borisovitch Kourakine, ambassadeur du Tsar apporta la révolution sur la table française, avec le repas dit "à la russe" : rien n'est posé sur la table, ni avant ni durant le dîner, sauf fleurs et dessert; les plats sont présentés les uns après les autres, découpés prestement par les maîtres d'hôtel et surtout mangés chauds. La nouvelle mode s'installe rapidement, car elle évite bien des frustrations et va sans doute de pair avec un certain courant démocratique. Après la Révolution Française, il n'était plus question d'afficher sa richesse en montrant une table couverte de plats. Le service à la Russe va amener l'art de la cuisine vers des préparations conçues et réalisées pour culminer à l'instant précis où elles devront impérativement être envoyées, sans pouvoir attendre. Vers 1860, Urbain Dubois, qui avait officié longtemps en Russie, chez le prince Orloff, utilisera ce type de service.

Dans les soirées, réceptions ou bals, les "ambigus" -appelés de nos jours "buffets" -, subsisteront, proposant aux convives le chaud et le froid, le salé et le sucré, dans un seul service.

Les restaurants ont beaucoup aidé cette évolution. Il n'était plus question pour le restaurateur de proposer un choix important de mets à la carte. Les plats se sont donc "raréfier" dans les menus, et il apparaissent sur table les uns après les autres. Le repas peut comporter plusieurs services, seulement le service dans ce cas ne contiendra qu'un plat. La richesse peut s'appréhender ainsi dans la durée.

Menu : Le mot "menu" date du début XVIIIème. Ce fut longtemps l'écriteau qui servait de guide aux officiers de bouche. Le principe de la carte menu individuelle n'existe que depuis la première Restauration.. Il aurait pris naissance chez les restaurateurs célèbres du Palais-Royal. Dans ces maisons, il était d'usage d'afficher à la porte des tableaux sur lesquels on trouvait le nom des plats que l'on servait. Dès que le carton individuel fut créé, on s'appliqua à le rendre plus artistique et illustré, digne d'être conservé et collectionné.

Au XVI ème siècle, pour protéger la fraise, on imagine d'attacher à son cou la serviette qui, jusque là se portait sur l'épaule ou le bras : cela ne va pas sans mal et on rit des gens qui n'arrivent pas à la nouer : on dit d'eux "qu'ils n'arrivent pas à joindre les deux bouts." On change la serviette à chaque service car elle est très utilisée (On mange encore avec ses doigts). On commence déjà à plier la serviette de différentes façons en forme de fleurs ou d'oiseaux et à la parfumer, usage abandonné puis repris au XIXème, restauré au XXème et abandonné à nouveau pour cause d'hygiène.

La serviette n'avait pas toujours existé. Erasme dans son "Traité de civilité", publié en 1530 conseille ( La fourchette n'étant pas encore en usage) : "C'est une espèce d'incivilité bien grande, ayant les doigts sales et gras, de les porter à la bouche pour les lécher, ou les essuyer à sa jacquette. Il sera plus honnête que ce soit à la nappe."

Les manières de table commencent à évoluer. Erasme publia en 1530, un traité sur ce sujet. Il estimait que "ce qui distinguait un repas dans la meilleure société était le fait de ne plonger que trois doigts dans le plat commun et non toute la main, comme on le faisait dans les classes inférieures. Après vous être assis, précisait-il, attendez quelques instants avant de vous précipiter sur le plat, ne fouillez pas dedans mais saisissez-vous du premier morceau que vous touchez, ne remettez pas dans votre assiette un morceau que vous venez de mâcher, jetez-le plutôt sous la table ou derrière votre chaise."

L'ambigu était la grande folie du XVII ème siècle. C'était une sorte de buffet froid où l'on servait un peu de tout - du froid, du chaud, du salé, du sucré - en même temps. On le prenait le soir ou la nuit, à l'issue d'un spectacle ou d'une fête.

Des recettes pour ambigu, petites choses salées, miniatures sucrées, figurent dans tous les ouvrages culinaires du grand siècle.

Au XVIII è siècle, un théâtre parisien où l'on représentait des spectacles composites féeries, pantomimes) fut dénommé l'Ambigu comique, par analogie avec le méli-mélo de petits mets salés et sucrés présentés pour "l'ambigu".

L'en-cas. On en parle dès le début du Moyen Age. C'est le repas destiné à parer l'imprévu dans les châteaux seigneuriaux, une table constamment garnie de victuailles. Plus tard, ce fut la collation préparée dans la chambre voisine de celle du roi Louis XIV en cas de petite faim nocturne.

En 1789, l'Assemblée Nationale s'est installée à Paris, mais ses horaires sont incompatibles avec les heures de repas de l'époque : elle siège de 1 heure à 6 heures du soir. Or les restaurants ne servent pas à dîner avant 2 heures et demie ou 3 heures. En revanche ils refusent de servir après 6 heures du soir.

Au café Hardy (estaminet médiocre, au coin du boulevard de Gand, plus tard des Italiens), l'hôtesse (Mme Hardy) a l'idée de proposer à ses clients du matin (entre 10 et 11 heures), un déjeuner "à la fourchette" : des côtelettes, saucisses ou rognons grillés. Le déjeuner moderne est né. L'usage peu à peu se répand de déjeuner à 11 heures et de dîner à 6 heures. Le déjeuner comporte une grillade, un légume en accompagnement. Parfois quelques huîtres ou quelques hors d'oeuvres; point de potage ni de rôti.

Petit à petit le souper disparaît, sauf lorsque le dîner est écourté pour se rendre au spectacle. On soupe alors à 9 heures en rentrant du théâtre et la mode vient au souper prié où la maîtresse de maison convient quelques amis "porte fermée à tout survenant", écrit Jean-Jacques Rousseau car l'usage est resté qu'à tout repas non prié s'invitait qui voulait pour peu qu'il soit connu des hôtes.

Le goûter. Au XVIII è siècle, c'était un véritable repas qui commençait à 5 h et durait longtemps, dans le but de se nourrir avant les spectacles qui débutaient tôt. Le goûter disparut petit à petit car le dîner que nous appelons "déjeuner" fut retardé de plus en plus dans la journée et il n'était franchement plus possible de maintenir encore un vrai repas.

Banquets et festins

Le Banquet du Faisan. Après la prise de Constantinople par les Turcs en 1453, le pape Nicolas V demande au Prince le plus riche de la Chrétienté Philippe le Bon, duc de Bourgogne, de mener une croisade. Le duc hésite puis accepte et convie en 1454 vassaux et alliés à Lille dans l'espoir de les convaincre de partir à la conquête de Constantinople.

Philippe le Bon, prononce au cours d'un banquet à Lille, le "vœu du faisan" car la coutume exige qu'un engagement solennel soit pris devant un oiseau noble -faisan ou paon- habilement dépouillé, cuit, puis paré de ses plumes. La mode est aux gros volatiles -cygnes, paons, cigognes, voire aigles- "revestus".

Le duc Philippe le Bon, par son vœu, annonce son départ pour la Croisade et s'engage à provoquer le Sultan au combat singulier. Il ne quittera pas ses Etats mais quel banquet! On a peine à imaginer la somptuosité de cette manifestation autant théâtrale que culinaire :

Pendant trois mois, des artisans préparent la salle du repas, construisent une sorte de cuisine annexe et font venir des chariots de provisions depuis Boulogne.

Du festin, on retiendra l'originalité des entremets propres à stimuler l'ardeur des futurs croisés. Ainsi un géant sarrasin tient en laisse un éléphant sur lequel est juché Olivier de la Marche, chargé de réciter la complainte de l'Eglise d'Orient asservie. On y sert pas moins de 48 plats cuisinés. Les convives rivalisent d'élégance. La grande salle où la table a été dressée, et devant laquelle scintille la vaisselle d'or et d'argent, est tendue de tapisseries chatoyantes.

Défilent les musiciens, des montreurs d'ours, des automates et même -clou de la fête- un éléphant que suivent des valets, pelle en main, pour ramasser les crottins.

Au fur et à mesure que les années passent, le nombre des services ne cesse d'augmenter à la table de la haute noblesse : trois puis quatre, puis cinq.

En 1571, la ville de Paris donna un banquet pour l'arrivée d'Elisabeth d'Autriche futur femme de Charles IX. Organisé un vendredi, il ne fut composé que de poissons. Pour cela, il fut servi entre autres 1000 grenouilles, 200 harengs blancs et 200 harengs saurs, 18 grands turbots, 18 barbues, 18 mulets, 50 livres de baleine, 18 truites, 50 carpes, 18 lamproies, 200 gros lamprions.