Jirô TANIGUCHI L'orme du Caucase Edit. Casterman écritures (2010).
Je ne suis pas un grand amateur de bandes dessinées ; il y a pourtant deux auteurs pour lesquels j'ai toujours fait une exception : l'argentin QUINO et le japonais TANIGUCHI, tous deux disparus (respectivement, en 2020 et 2017).
Récemment j'ai lu L'orme du Caucase, du mangaka (litt., « auteur de manga »). Dans ces ouvrages TANIGUCHI interprète par son dessin huit nouvelles de Ryûichirô UTSUMI.
Comme d'habitude, son dessin est d'une grande finesse et extraordinaire précision. Comme d'habitude, les histoires que nous raconte TANIGUCHI sont douces, apaisantes, bien qu'ancrées dans une réalité parfois cruelle. Comme toujours, enfin, le lecteur est plongé dans les relations qu'entretiennent les humains, entre eux comme avec la nature.
Cette œuvre toute en délicatesse, ouvre simultanément une fenêtre sur trois univers :
- celui de TANAGUCHI, de son dessin noir et blanc et de sa poésie ;
- l’œuvre d'UTSUMI, à la quelle le critique Ushio YOSHIKAWA consacre quelques pages à la fin de l'ouvrage, véritable invitation à la lecture du romancier ;
- enfin, le Japon, loin des clichés. Toute l’œuvre de TANAGUCHI est traversée d'images réalistes de la vie quotidienne des Japonais(es). En prenant le temps de regarder chaque dessin, le lecteur y découvre les paysages urbains, les intérieurs, traditionnels ou non, des maisons et appartements, les bars et leurs enseignes... des moments de vie et une manière de penser parfois fort différente de la nôtre.
Lian HEARN (Gillian Rubinstein) La maison de l’arbre joueur (2010)
L’auteure du Clan des Otori, évoque dans ce roman la transition du Japon de 1857 à 1877. C’est la fin du shogunat des Tokugawa et le passage à l’ère Meiji… passage d’une société traditionnelle à une société plus progressiste, sous la très forte pression des occidentaux.
Cette période est contée par Tsuru, une jeune japonaise. La narratrice, fille de médecin, rêve d'embrasser la profession de son père. Mais la condition de la femme le lui interdit… Tout au long du roman, elle décrit à la fois la société qu’elle habite (avec ses hiérarchies sociale et de genres, avec le rôle de la femme, épouse ou maîtresse….) et la poursuite de son idéal, qui passe par une quête de liberté…
Outre son intérêt romanesque, ce livre nous ramène à notre temps, loin de la fin du XIX° siècle, époque dans laquelle se déroule l'histoire et du Pays du soleil levant, ainsi que le montrent les quelques extraits qui suivent (relevé dans Edit. Gallimard, 2012):
p. 37 :
« Les autorités avaient décrété que pour résoudre la majorité des problèmes financiers il convenait de diminuer le traitement des samouraïs et de convaincre les membres des autres classes, y compris les négociants, de se montrer plus économes. J'avais fini par croire que la pauvreté existait partout pour tout le monde - sauf pour sire Môri, bien sûr. Nous nous en tirions mieux que la plupart. Au moins, mon père avait un métier. Même si ses patients ne pouvaient pas lui régler l'intégralité de ses honoraires, ils lui offraient en compensation de la nourriture ou des objets qu'ils confectionnaient, tels que sandales en paille, manteaux imperméables, parapluies ou paniers. Nous avions assez de terres pour subvenir à nos besoins. »….
p.195
« Le programme du Joï, l'idée que nous puissions chasser les étrangers, est une folie. Je l'ai appris à Shanghai. C'est un rêve inaccessible. Mais quiconque le dit ouvertement risque d'être assassiné par les shishi, car ils ont voué leur vie à ce rêve. Je les comprends, la folie est parfois irrésistible. Elle vous libère de la nécessité d'être prudent. Elle vous autorise à tuer pour faire triompher votre cause. Ne sous-estimez jamais le pouvoir des fous ! »
p.396
« - Il ne s'est rien passé ? répéta-t-il en me serrant plus fort
« - Rien.
« Je sentis mon cœur s'accélérer sous l'effet du mensonge autant que de la peur.
« Il voulait tellement me croire. Je fus de nouveau prise de pitié pour lui, pour tous les hommes en fait, avec leurs besoins, leurs jalousies, leurs faiblesses. Que les humains étaient donc pathétiques ! Comment pouvions-nous espérer changer quoi que ce soit alors que notre idéal d'un monde nouveau ne cessait d'être battu en brèche par nos mensonges et nos illusions ? ».