Petit voyage en Amérique

L'un des intérêts de la littérature est sans doute de nous permettre de voyager dans l'espace et dans le temps, sans avoir à porter de lourdes valises ou à se préoccuper des heures de départ ou d'arrivée, de l'hôtel et autres contraintes...

Je vous propose donc un décollage pour Amérique du Nord, au travers de deux romans qui nous y transportent à deux époques différentes, les XIXème et XXIème siècles. Bien que les personnages de ces livres soient séparés par le temps, nous les verrons réunis par un même sujet...


Tracy CHEVALIER La dernière fugitive Édit. Quai Voltaire – Folio (2013)

L'auteure de cet ouvrage est américaine et vit au Royaume-Uni. Nous lui devons, entre autres, La jeune fille à la perle, La dame à la licorne ou Prodigieuses créatures. Autant d'ouvrages riches en détails historiques, chacune de ces histoires étant basée sur des faits réels. Une fois encore, l'auteure a livré un roman solidement étayé par un fond historique.

Honor est une jeune quaker anglaise qui, suite à un dépit amoureux, s'embarque pour l’Amérique, en 1850, avec sa sœur qui va rejoindre son futur mari dans une communauté de coreligionnaires.

Arrivée sur le continent, la fièvre jaune lui enlèvera sa sœur et, seule, elle découvrira la dureté du nouveau monde, le travail des champs, le rudesse des hivers et... l'esclavage des noirs. Elle découvre aussi l'existence d'un « chemin de fer souterrain » (The underground railroad), par lequel transitent les esclaves fuyant les états du sud, avec l'espoir de passer la frontière canadienne, s'ils ne sont pas rattrapés entre temps par les chasseurs de primes.

Membre d'une communauté religieuse rigoureuse quant aux mœurs, elle devra apprendre à mentir, à tricher pour aider certains des fuyards, encouragée en cela par une amie étrangère à sa religion. Fidèle à sa foi, sensible à l'inhumanité de l'esclavage, loin de son pays natal et de ses repaires habituels Honor est déchirée...

Comme toujours chez Tracy Chevalier, ce livre nous offre de très beaux portraits de femmes courageuses. Il nous invite également à explorer les monde des Quakers, celui des quilts traditionnels (lire « quilts » et non « kilts »). Enfin, c'est une invitation à une réflexion sur le rôle des individus dans la marche de la société...

Invitation que reprend à son compte notre deuxième auteure...

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Jodi PICOULT Mille petits riens Édit. Actes Sud – Babel (2018)

Romancière américaine, l'auteure est « blanche et (a) grandie dans une famille privilégiée », précise-t-elle (p. 651). Et ces précisions ne sont pas neutres, nous y reviendrons...

Le personne central du roman se prénomme Ruth. Infirmière spécialisée en néonatologie, elle est expérimentée. Elle est considérée comme la meilleure de l'établissement dans lequel elle travaille. Elle est afro-américaine.

Truck et Brittany sont des suprémacistes blancs. Ils perdent leur enfant peu après sa naissance, dans la clinique même où travaille Ruth, et après qu'ils aient demandé à la direction d'interdire à Ruth d'approcher de leur bébé... ordre que l'infirmière enfreint, essayant de sauver le nouveau-né d'une mort qu'elle sent imminente, et qui surviendra donc.

Kennedy est une avocate, blanche, qui va se charger de la défense de Ruth dans le procès que lui intentent les parents éplorés. Ils sont encouragés en ce sens par la direction de la clinique qui préfère charger son employée pour éviter toute interrogation sur sa propre responsabilité.

Tout au long du roman, l'auteure donne la parole, tour à tour, à Ruth, Truck et Kennedy. Nous assistons donc aux différents événements au travers de ces regards croisés... qui, parfois pleins de certitudes au départ, vont évoluer pour tisser un superbe plaidoyer contre le racisme.

La force de l'ouvrage est de s'adresser directement au lecteur.

A travers ce roman écrit comme le serait sans doute un scénario, plein de suspens, Jodi PICOULT nous invite, par la bouche de Kennedy, à prendre un miroir et à nous y contempler, non pour y contempler notre apparence physique, mais pour chercher le fond de nôtre âme, de nôtre être...

Ce seul aspect de l'ouvrage me paraît suffisant en soi pour encourager quiconque à s'en saisir. Mais précisons que le lecteur y découvrira également mille informations intéressantes, notamment sur le suprémacisme blanc aux États-Unis ou sur les procédures judiciaires américaines, qui ne cessent de m'interpeller (violence systémique des interventions, comparutions sans que l'avocat ne connaisse rien au dossier, plaidoyer final délivré par le procureur qui est autant l'avocat de l’État que celui du plaignant, possibilité pour un juge unique de se substituer à un jury dans certains cas …).


André