Et devant moi la liberté

Virginie MOUZAT « ET DEVANT MOI LA LIBERTE » 2019 Flammarion

L'auteur est journaliste et écrivaine

Le livre :

Charlotte Perriand est une architecte décoratrice avant-gardiste qui a notamment travaillé avec Le Corbusier, concevant, entre autres, le mobilier de la Cité Radieuse à Marseille.

Virginie Mouzat nous raconte la vie de l'artiste, de 1927 à 1999.

Le genre et le style :

En se substituant à Charlotte Perriand pour imaginer son journal personnel, l'auteure nous fait vivre dans la pensée de l'artiste.

Le style est enlevé. De courtes phrases, souvent sans verbe, des monologues, des descriptions ou de courts extraits de presse ou de courriers… toute une variété d’écritures qui donne de la vie au texte.

Nous découvrons ainsi une femme pleine de vie, de courage et d'idées, combattant pour sauvegarder sa liberté et être reconnue pour ce qu'elle été. Nous pénétrons l'esprit de la créatrice comme de la femme, intellectuelle de gauche, féministe œuvrant dans un monde d'hommes. Nous vivons enfin les sentiments de la femme aimante, aimante des trois hommes dont elle a partagé la vie, aimante aussi de tous les artistes et créateurs avec lesquels elle a partagé une vision artistique, et aimante enfin de sa fille.

Commentaire :

Personnellement, j'ai aimé ce livre parce qu'il m'a permis de découvrir l'histoire d'une femme de talent et d’une grande ténacité. Ténacité face à la gente masculine qui lui vole en partie son travail, ténacité aussi face aux événements, notamment lorsque partie au Japon en 1940, pour un an, elle se retrouve, 6 ans durant, prisonnière de la guerre, en Indochine.

Le second intérêt de l'ouvrage est de rappeler la lutte des femmes pour l'égalité des sexes. A cet égard le combat qu'elle engage contre Le Corbusier pour qu'il reconnaisse son talent et ses droits est révélateur de l'esprit de son siècle.

Enfin, l'ouvrage m'a invité à réfléchir au thème de la liberté. Il ressort en effet de sa vie que la liberté n'a rien d'évident.

Comme l'aurait écrit TE (Thomas Edouard) Lawrence, « la liberté ne se donne pas, elle se prend », et Charlotte Perriand était au nombre de ces rares femmes qui avant même la seconde guerre mondiale était capable de se libérer de toute contrainte pour mener pleinement un projet, au risque, par exemple, de perdre son premier mari. Lorsqu'ils se séparent loin de pleurer, elle écrit, ou plus exactement, Virginie Mouzat lui fait écrire que « Percy (son mari) m'a quitté (…). Il a décidé de ne pas poursuivre le voyage. En me laissant libre de partir avec lui ou pas. Tel un ultimatum. Je ne l'ai pas suivi. La tempête que nous avons essuyée avant-hier était-elle à l'image de notre couple qui chavire ? Peut-être. C'est donc moi qui le quitte. (…) Et devant moi la liberté ».

Il faut dire qu'elle a été aidée en cela par sa mère à laquelle elle rend un émouvant hommage : « Cette femme qui a été mon modèle parce qu'elle n'a jamais voulu être un modèle, mais qu'elle a voulu tout simplement accéder à la liberté de vivre. »

Si la liberté n'est pas toujours facile à saisir, elle n'est pas facile à vivre non plus pour ceux acceptent la liberté des autres.

Cette difficulté est illustrée par la situation de Pierre Jeanneret, architecte et collaborateur de Le Corbusier, qui a donc travaillé avec Charlotte Perriand. Longtemps après sa séparation de son premier mari, Charlotte a vécu quelques temps avec cet homme qui l'aimait profondément, et pour lequel elle éprouvait une profonde amitié et grande tendresse, qu’elle aimait donc aussi. En 1940, elle le quitte pour passer un an au Japon, à l'invitation des autorités nippones. Comme cela a été dit, elle passera six ans loin de la France. Au cours de cette longue période, elle rencontre un homme qui deviendra son second mari, et le père de sa fille. Elle ne le quittera plus. De retour en France, elle reprendra ses activités, et ses relations d'amitié profonde avec son « petit Pierre », lequel lui restera toujours fidèle, et souffrira de cette fidélité... Au travers de quelques mots, nous ressentons la peine de cet homme qui admire son aimée, tout en la sachant à jamais à un autre.

Au-delà de la relation amoureuse, est-il toujours simple de concilier sa liberté avec celle de l’Autre (individu ou collectivité) ?