Bérénice 34-44

Isabelle STIBBE « BERENICE 34-44 » (2014)

Edit. Le livre de Poche 2017

L'auteure, née en 1974, juriste de formation et avocate elle décide très tôt de s'orienter vers la culture en travaillant dans la communication pour des institutions culturelles, dont la Comédie Française ou le Grand Palais. Critique d'opéra, elle enseigne à l’institut de l'art théâtrale en faculté à Paris III et est administratrice du théâtre de l'Athénée.

Genre et style : Roman. Le narrateur est totalement extérieur à l’action. Le style est sans fioriture, simple mais efficace, bien qu’il me semble que la dernière partie du roman est secondaire par rapport au sujet principal, et qu’elle n’est là que pour boucler l’ouvrage.

L’histoire : En très bref, c’est l’histoire d’une femme et de l’amour de sa vie, le théâtre, dans un contexte hostile tant au plan familial (famille figée dans le temps et dans ses principes) comme au plan social (une France figée dans sa soumission).

Bérénice est une jeune fille juive qui se découvre une passion pour le théâtre à la veille de la seconde guerre mondiale. Tout au long du roman nous suivons la jeune fille, la jeune femme puis la femme dans ses combats pour devenir actrice, intégrer la Comédie Française puis y rester lorsque l'administration de Vichy s'aligne sur l'antisémitisme nazi. Lorsqu'elle ne pourra plus vivre sa passion, elle rentre une fois encore en résistance au sein de l'Armée Juive, crée en 1942, avec pour mission de sauver des enfants juifs et les envoyer en Palestine en passant par l'Espagne.

Si l'auteure nous replonge dans ces années tragiques maintes fois décrites, elle nous rappelle également l'histoire de l'exode éternel des juifs de l'Europe centrale.

Surtout, elle nous permet de rentrer dans un monde peu connu, celui des artistes et en particulier celui de la Comédie Française. Le lecteur croise des célébrités du théâtre comme Louis Jouvet, Pierre Dux, Jean Louis Barrault et Madeleine Renaud, ou encore Marie Bell, connus de tous aujourd'hui encore, et d'autres aussi, peut-être moins connus comme Véra Korène, René Alexandre ou Jean Yonnel, chassés de la Maison de Molière par Jacques Copeau nommé administrateur de la Comédie Française par une administration sous influence nazie.

Commentaire :

Au delà du contexte historique et de l'attachement que l'on peut éprouver, ou non, pour l'héroïne, le roman m’a interpellé sur deux sujets : d’une part, la place de l’art et le rôle de l’artiste dans la société ; d’autre part la notion de responsabilité, individuelle comme collective.

A mes yeux, une lettre illustre ces problématiques. Elle est adressée à Bérénice par son mari, de Barcelone où il s’est réfugié, car juif allemand et donc poursuivi à un double titre :

« Je sais ce que tu penses, ton père t'a bourré le crâne avec ses idées républicaines, sa vision romantique de la France. S'il était encore là il me traiterait d'embusqué parce que je ne m'engage pas à Londres ou dans les rangs de la France libre, et peut-être le penses-tu toi aussi. Mais je ne suis pas un héros, moi, je suis un musicien. Mes années de service militaire ont été des années perdues, ce métier de soldat était contraire à ma constitution physique et morale. Mon travail sur cette terre ; c'est de composer de la musique. (…) Je ne veux pas qu'on t'annonce que je suis mort au combat, je ne veux pas que tu mettes ma photo sur le manteau d'une cheminée en marbre comme ont fait toutes ces familles qui ont perdu un époux, un fils ou un frère pendant la Grande Guerre, je ne veux pas que ma dernière œuvre soit déjà écrite et non à venir, je ne veux pas mourir à trente-cinq ans pour réparer les lâchetés des politiques qui n'ont pas su mesurer à temps la folie d'Hitler alors qu'il suffisait de lire Mine Kampf pour tout comprendre, je ne veux pas alimenter ce délire meurtrier alors que je n'aspire qu'à vivre tranquillement de ma musique. Est-ce un crime que de vouloir accomplir ce pour quoi on est né ? L'Histoire est trop grande pour moi, je ne suis pas de taille… » (p. 286 à 289).