La formule préférée du professeur de OGAWA Yoko - Acte sud 2005.
La formule préférée du professeur est l’histoire d’une rencontre. Rencontre entre trois personnes : Le héros du titre tout d’abord, un vieux savant, dont la mémoire pratique ne s’étend pas au-delà de 80 minutes, suite à un accident. Sa seule passion est de travailler chaque jour à la résolution d’énigmes mathématiques publiées par des revues spécialisées. Ensuite, la narratrice, une aide ménagère, qui vient aider le professeur aux taches quotidiennes, et doit chaque jour jouer le jeu de la première rencontre. Enfin, le fils de cette dernière, âgé de dix ans, passionné de base-ball.
Un échange s’établit entre ces trois personnages. Alors que la jeune femme, s’adonne au ménage et à la cuisine, le professeur sensibilise ses hôtes à la « beauté » des mathématiques ; il leur apporte une vision nouvelle du monde. Parallèlement s’établit un lien d’amitié entre les trois personnages, et notamment entre l’enfant et le savant, dont l’enfant se rapproche grâce à sa collection d’images recensant les professionnels de base-ball.
Au-delà de la vulgarisation des mathématiques (que l’on retrouve également dans le roman de Denis Guedj « Le théorème du perroquet », pour ceux qui sont intéressés), une forte sensibilité émane de ce livre. Une grande tendresse se dégage des relations entre les trois personnages du roman, qui souligne implicitement l’importance de l’écoute et du partage, avec une humilité certaine aussi, comme le souligne l’auteure : « Une autre merveille de l’enseignement du professeur était l’utilisation généreuse qu’il faisait de l’expression "ne pas savoir". Ne pas savoir n’est pas honteux, car cela permet d’aller dans une autre direction à la recherche de la vérité » (p. 91)
Kyôto de KAWABATA Yasunari – Le Livre de Poche Édit. Albin Michel 1971.
Kawabata (1899 – 1972) publie Kyoto en 1968, année où il obtient le prix Nobel de littérature.
Le roman pourrait se résumer à la rencontre de Chieko, jeune fille de 20 ans abandonnée à la naissance, avec sa sœur jumelle, élevée par une tante après le décès de leurs parents…
Sur cette trame l’auteur, lui-même orphelin à 3 ans, tisse une toile faite de relations, entre les humains d’une part, et avec la nature d’autre part.
Les liens qui attachent les hommes sont essentiellement les liens d’affection qui unissent Chieko à ses parents adoptifs, puis à sa sœur. L’attrait exercée par les jeunes filles sur les hommes proches de la famille vient s’y ajouter dans un second temps.
La nature est quant à elle omniprésente. Elle est le décor du roman, et son âme. Les personnages s’y déplacent et l’intègrent dans leur vie quotidienne faite de labeur, pour certains, et de contemplation pour d’autres. Le roman s’ouvre sur des violettes, il se termine par des flocons de neige, tel un miroir du cycle de la vie.
Avec Kyôto, Kawabata nous invite tout à la fois à une ballade dans l’ancienne capitale japonaise, décrivant paysages et festivités locales, et à une réflexion sur la vie et l’amour.
Deux réflexions des personnages :
p. 19 : « Naître, n’est-ce pas être abandonné de Dieu, précipité dans le monde ? »
p. 75 : « Tous ces arbres sont si droits, si nets ! Ah ! si seulement les hommes avaient le cœur à leur image !... » (Chieko, parlant des cryptomères de Kitayama).
Lumière pâle sur les collines (Edit. 10/18 - Coll. Domaine étranger – 1990)
ISHIGURO Kazuo est un écrivain anglais d’origine japonaise. Né en 1954 à Nagasaki il est arrivé en Angleterre en 1960. Il est l'auteur, notamment, du fameux Les Vestiges du jour, adapté au cinéma par James Ivory en 1993, dans laquelle un majordome revisite avec nostalgie son passé au service d'un lord anglais. Dans Lumière pâle sur les collines, la narratrice vit également en Angleterre. Elle évoque ses souvenirs, qui nous ramènent à Nagasaki, au lendemain de l’explosion de la bombe nucléaire.
Mêlant présent et passé, suivant un plan complexe, le roman est une réflexion sur la confrontation des générations et sur la place de la femme dans la cité et le foyer. Le roman suit la vie de plusieurs personnages, dont les deux principaux sont représentatifs, l’un du passé, qui a conduit à l’apocalypse, l’autre d’un futur incertain. Ogata-San, le beau-père de la narratrice s’émeut d’une occidentalisation du Japon, qui perd ses traditions et son âme ; Sachiko-San, dont nous ne saurons rien du passé si ce n’est qu’il fut dramatique, s’accroche à un espoir de renouveau incarné par Franck, un américain, peu fiable. Image d’un Japon qui a placé son avenir entre les mains de son allié américain ?... L’histoire de Sachiko-San rencontre celle de la narratrice, pour s’y confondre presque …
Écrit avec beaucoup de subtilité, l’auteur pénètre dans les âmes sans en révéler tous les secrets. Il traduit parfaitement, me semble-t-il, une ambiance qui, sous une harmonie et une douceur apparentes, est faite de tensions, voire d’oppositions que ne traduit que peu souvent le langage. Les rires, véritables leitmotivs, apparaissent alors comme des éléments essentiels des dialogues, au même titre que les silences ou les regards.
Le Pèlerinage (Actes Sud - Littérature - 2013)
HASHIMOTO Osamu, auteur japonais né en 1948, nous emmène dans un quartier résidentiel de la préfecture de Kanagawa. Chûichi, un vieillard solitaire, dépose sur son terrain toutes sortes d’objets de récupération, voire de déchets. Les odeurs et nuisances en résultant soulèvent tout à la fois curiosité et haine du voisinage.
Le roman est construit autour de trois temps forts. Dans le premier, nous découvrons l’ambiance du quartier et la mentalité de certains de ses habitants, en particulier celle des ménagères. C’est l’une telle qui, dans un second temps, nous raconte l’histoire de cet homme tant dénigré. Cette histoire, qui traverse celle de la reconstruction du Japon, est faite de travail et d’espoir, pour se conclure par la solitude. Le dernier temps est celui d’une renaissance et d’une échappée, qui donne son titre à l’ouvrage.
Le Pèlerinage est d’abord un roman sur l’écoute et le partage…
Le Bateau-usine de KOBAYASHI Takiji – Edition YAGO 2009.
Le Bateau-usine a été publié en 1929. Son auteur y décrit les conditions de vie des marins - ouvriers embarqués sur un navire en pleine campagne de pêche au crabe au large du Kamchatka.
Faim, maltraitance sont le lot quotidien des hommes, qui finiront par se révolter…
Si ce récit est sans doute, et heureusement, dépassé s’agissant des conditions de travail des marins japonais, il rejoint l’actualité sur deux points.
D’une part, il évoque les tensions existantes diplomatiques autour des îles Kouriles. Comment ne pas penser également aux îles Senkaku ?
D’autre part, la presse a récemment dénoncé les conditions de travail des pêcheurs esclaves de l’entreprise thaïlandaise Charoen Pokphand Foods. Le passé n’est pas si loin…, un regard dans le rétroviseur peut donc toujours être enrichissant.
Le poids des secrets (Actes Sud - Babel – 1999-2004)
Aki SHIMAZAKI, née au Japon, vit au Canada. Rappelant la technique narrative utilisée par INOUE pour Le fusil de chasse ou par Akira KUROSAWA dans son film Rashōmon, l’auteur compose Le poids des secrets de cinq romans, qui constituent autant de narrations d’une même histoire, une relation amoureuse hors mariage, qu’elle inscrit dans l’Histoire, celle du Japon de 1923 (séisme du Kanto) à 1945 (Nagasaki).
Chaque volume ajoute une vision nouvelle, invitant tout à la fois à une réflexion sur l’amour, et, progressivement mais de manière plus grave, sur le poids des préjugés sociaux, qui peuvent conduire au malheur des individus, lorsqu’ils touchent à la condition des femmes, comme à celui des collectivités, lorsqu’ils encouragent un racisme meurtrier...