L'abbaye Saint-Pierre de Moissac serait fondée aux alentours du VIIIe s. En 1047 les bénédictins de Cluny offrent à l'abbaye un âge d'or marqué par des abbés prestigieux : l'abbé Durand construit une église en 1063, Ansquitil aurait fait édifier le cloître en 1100, et Roger fait bâtir une nouvelle abbatiale dans les années 1130 qui s'ajoute à la tour-porche. Tout au long du XIIe s, le monastère étend son rayonnement sur le sud de la France et la péninsule ibérique. Saint-Pierre de Moissac est un centre artistique et intellectuel, de savoir et de formation. Moissac devient la seconde Cluny et sa bibliothèque est l'une des plus importantes de la chrétienté occidentale. À partir du XIIIe s. l'abbaye alterne entre des phases de vicissitude et de reconstruction. Elle fait l'objet de nombreuses attaques lors de la guerre de Cent ans. Elle est sécularisée au XVIIe s., abîmée à la Révolution, devient ensuite une garnison au Premier Empire, et au XIXe s., une partie de ses bâtiments est démolie par la ligne de chemin de fer (le cloître ayant été sauvé in extremis).
Le tympan aurait été réalisé au début du XIIe s. (1110-1130). Il mesure 6,5 m. sur 4,5 m. Il relate l'Apocalypse selon saint Jean (Bible, NT, Apo, 4) en synthétisant plusieurs autres textes. Au centre, le "Christ en majesté" déchire les nuées : il siège sur un trône et ses pieds le portent au-dessus d'une mer de cristal, il est entouré d’anges et du Tétramorphe (les quatre symboles -"Vivants"- des évangélistes), et de vingt-quatre vieillards. Le tympan est supporté par une longue pierre horizontale (le linteau) qui est une sculpture antique réutilisée (comme on peut le voir sur le décor en partie inférieure). La face verticale visible est décorée de grands cercles végétaux. Le support vertical (le trumeau) est une sculpture extraordinaire représentant saint Paul (sur le côté gauche), le prophète Jérémie (sur le côté droit), et des couples superposés de lionnes et de lions qui s’entrecroisent.
Les côtés des portes sont découpés en arcs de cercles (arcs polylobés) et reçoivent des bas-reliefs représentant saint Pierre à gauche et le prophète Isaïe à droite.
L’ensemble formé par les portes, le trumeau, le linteau et le tympan est encadré d'arcatures concentriques (des archivoltes) qui reposent sur des colonnes engagées.
L’entrée du porche reçoit à droite et à gauche des scènes sculptées organisées suivant la dialectique du Bien et du Mal. À droite, le Bien avec les scènes de l'"Annonciation" et la "Visitation à la Vierge", l'"Adoration des mages" du Christ et la "Présentation au Temple", la "Fuite en Égypte" et la "Chute des idoles". C’est-à-dire qu’elles concernent la première venue sur terre du Christ.
Sur la gauche, en partie inférieure, figurent la Luxure, l’Orgueil et l’Avarice. La partie supérieure est occupée par la parabole de "Lazare et le mauvais riche" : vers le portail Lazare demande l’hospitalité au mauvais riche qui l’ignore et banquette avec son épouse et un servant. L’âme de Lazare siège sur les genoux d’Abraham (qui préfigure le Christ du Tympan), et celle du mauvais riche est en Enfer. Tout ce panneau gauche porte des têtes monstrueuses et des chapiteaux représentant des damnées brûlant en Enfer.
Malgré le hiératisme du Christ, les torsions des anges, du Tétramorphe et les mouvements de surprise des vieillards donnent à cet ensemble sculpté un sentiment de vie et de spontanéité. La composition s’inspire directement des représentations apocalyptiques des manuscrits, dont un exemplaire a été réalisé dans l’abbaye proche de Saint-Sever (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b52505441p/f261.item).
Le soin apporté aux vêtements, aux broderies, aux bijoux, aux auréoles et aux couronnes, aux instruments et aux décors ajoute un raffinement tout à fait particulier. Les anatomies peuvent être très précises comme les mains et les pieds des vieillards, du Christ et des anges, ou être totalement déformées et réinventées comme on peut le voir dans l’étirement du prophète Isaïe. Les artistes pouvant combiner les deux, l'horrible sensualité de la Luxure constitue un de plus beaux morceaux de la sculpture de Moissac. Les mouvements des corps, leurs torsions, ceux des vêtements et des drapés, l’utilisation de lignes sinusoïdales (les flots, la robe du Christ) ou brisées (comme le bas de robe du Christ et les grecques situées à l’arrière-plan du tympan) constituent autant d’éléments dynamiques et unificateurs combinés avec une rare virtuosité. Chaque partie du porche de Moissac présente des compositions différentes : le chaos du côté gauche, la sérénité du droit, les ondulations des trumeaux et des portes, les cercles concentriques du tympan. Tous ces éléments sculptés et architecturaux forment un dispositif faisant à la fois tout converger vers le Christ en gloire ("Christ Pantocrator") et tout jaillir de lui. C’est donc un ensemble monumental dont le tympan constitue le centre. Le fidèle en entrant dans le porche se trouve au cœur d’un dispositif sculpté. Contrairement aux sculptures en ronde-bosse où le spectateur fait le tour de l'œuvre, à Moissac, il est entouré par l’œuvre.
La recherche sur l’anatomie, le caractère monumental des personnages et des œuvres, l’affirmation de la sculpture par rapport à l’architecture, sont les marques de la pleine maturité de la sculpture romane et des recherches qui se poursuivront tout au long du XIIe s.
Le tympan du porche de Moissac représente un passage de l'Apocalypse selon saint Jean :
"Et voici, il y avait un trône dans le ciel, et sur ce trône quelqu'un était assis. Celui qui était assis avait l'aspect d'une pierre de jaspe et de sardoine ; et le trône était environné d'un arc-en-ciel semblable à de l'émeraude. Autour du trône je vis vingt-quatre trônes, et sur ces trônes vingt-quatre vieillards assis, revêtus de vêtements blancs, et sur leurs têtes des couronnes d'or. Du trône sortent des éclairs, des voix et des tonnerres. Devant le trône brûlent sept lampes ardentes, qui sont les sept esprits de Dieu. Il y a encore devant le trône comme une mer de verre, semblable à du cristal. Au milieu du trône et autour du trône, il y a quatre êtres vivants remplis d'yeux devant et derrière. Le premier être vivant est semblable à un lion, le second être vivant est semblable à un veau, le troisième être vivant a la face d'un homme, et le quatrième être vivant est semblable à un aigle qui vole. Les quatre êtres vivants ont chacun six ailes, et ils sont remplis d'yeux tout autour et au dedans. Ils ne cessent de dire jour et nuit : Saint, saint, saint est le Seigneur Dieu, le Tout Puisant, qui était, qui est, et qui vient ! Quand les êtres vivants rendent gloire et honneur et actions de grâces à celui qui est assis sur le trône, à celui qui vit aux siècles des siècles, les vingt-quatre vieillards se prosternent devant celui qui est assis sur le trône et ils adorent celui qui vit aux siècles des siècles, et ils jettent leurs couronnes devant le trône, en disant : Tu es digne, notre Seigneur et notre Dieu, de recevoir la gloire et l'honneur et la puissance ; car tu as créé toutes choses, et c'est par ta volonté qu'elles existent et qu'elles ont été créées."
La Bible, NT, "Apocalypse", 4.