Emmanuelle Hénin

Sorbonne Université – CRLC

La Poétique à l’usage des peintres (1550-1750)

En Italie, l’essor des commentaires de la Poétique au milieu du XVIe siècle rencontre le processus de légitimation de la peinture entamé un siècle plus tôt. Les humanistes, qui s’appuyaient depuis Alberti sur Cicéron et Vitruve, trouvent dans les analogies de la Poétique entre le théâtre et la peinture de nouveaux arguments prouvant la dignité de la peinture, mais aussi de nouveaux concepts qui deviennent la matrice de la théorie de l’art naissante. Dans les années 1660, ce mouvement atteint la France, puis l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Angleterre, et demeure une référence dans les Académies pendant une bonne partie du XVIIIe siècle. Cependant, cette lecture picturale de la Poétique n’a pas seulement pour effet de modifier le statut des arts plastiques et d’unifier la théorie des arts à l’échelle européenne (ce qui serait déjà beaucoup) ; elle exerce également un effet en retour sur l’interprétation d’Aristote, en insistant sur des passages peu commentés dans les poétiques et les traités de théâtre : pour penser une catharsis picturale, les exégètes se réfèrent au chapitre 4 plutôt qu’au chapitre 6 ou à la Politique ; pour définir l’unité du tableau, à la juste grandeur du corps de l’animal (ch. 7) plutôt qu’au « tour de soleil » (ch. 5). En attirant l’attention sur la dimension visuelle de la représentation, ces théoriciens donnent à leur tour des arguments aux défenseurs du théâtre, qui se saisissent des mêmes lieux de la Poétique, dans un échange incessant entre les deux discours.