Un épilogue de rêve.

Il faisait sombre. Il y avait un bruissement sourd, lourd, comme une foule qui piétine. Il y avait l’auteur. Il était seul, au milieu. Il y avait plein de gens, tout autour de lui. Ils étaient dans la pénombre. Une voix s’est détachée : «Quelle honte !». Il y avait aussi des cris suraigus, lointains. S’ils avaient été plus proches, ils auraient été stridents, insupportables. Il y avait une mauvaise odeur. Et puis il y avait quelqu’un derrière, pas très loin de l’auteur, sur sa gauche, il croit, dans un coin. C’était impossible de savoir qui était la personne dans le coin, elle était dans l’obscurité et elle n’en sortait pas, elle restait immobile. L’auteur sentait sa présence.

L’auteur n’arrive pas à effacer une image qui revient devant ses yeux, comme un cauchemar. Ce sont les attributs suffisants. Il a beau se frotter les yeux, mais ils reviennent sans cesse. Les attributs suffisants. «Quelle honte !» arrive encore à ses oreilles, encore combien de fois, il ne sait pas. Quelque chose de glissant sous ses pieds, ça colle et c’est visqueux. Il essaie de soulever une jambe. Il n’arrive pas à la relever.

L’auteur entend encore les cris lointains, tout juste perceptibles. Celui qui se tient dans le coin, là-bas, susurre à son oreille : «Ne t'occupe pas de ça, ce sont les mouches, elles ne veulent pas». À cet instant, l’image de cauchemar se représente devant ses yeux. Les attributs suffisants, encore.

La foule s’avançait toujours vers l’auteur. Une silhouette s’est détachée de la foule. La foule s’est tue. Tout d’un coup, il y a eu un silence lourd. C’était le Bon Auteur. Il a lancé un bon mot : «Il faut déchaîner la chaîne du livre». La foule continuait d’avancer, mais elle s’est mise à lever les bras au ciel et à répéter le bon mot, comme une litanie.

Les cris suraigus se sont arrêtés. C’est à ce moment-là peut-être qu’est entré le Docte Professeur. Il était en train d’agrafer son pantalon. «C’est à cause des mouches», a dit la voix dans le coin. La foule s’est resserrée un peu plus, tout autour. Ils sont maintenant tout proches. L’auteur a fermé les yeux. Aussitôt l’image de cauchemar saute devant ses yeux. Il ouvre les yeux, et la foule s’est encore rapprochée. Il veut courir. Il faut qu’il coure. Mais il ne peut plus passer, il n’y a plus de place pour lui, et ses pieds glissent sur le sol, il ne les relève même pas.

C’était quand ? Il ne sait plus. Le Docte Professeur a descendu son pantalon. Au même moment, sur un geste du Bon Auteur, la foule a cessé la litanie du bon mot. La foule a recommencé à marteler le «Quelle honte !». Le Docte Professeur a descendu son pantalon, puis sa culotte, découvrant ses suffisants attributs, dans leur plénitude.

C’était une vision de cauchemar. Il n’arrive pas à l’ôter de ses yeux. L’autre, dans son dos, près de son oreille a dit : «Tiens-toi tranquille, ne cherche pas à fuir, ne baisse pas les yeux». L’auteur voulait courir, mais il ne pouvait pas. La foule le pressait de tous côtés. Il n’avait même plus la place de bouger ses bras. Maintenant on le presse, et on lui crie à la face «Quelle honte !» et «Les éditeurs ne veulent même pas de lui !» et encore «Il s’auto-édite !». Les deux Fins Éditeurs ont passé leurs têtes au-dessus des épaules. Ils le regardaient de haut. Le premier lui a dit, avec un ton et un sourire qu'il ne comprend pas : «J’adore ce que vous ne faites pas», le second, calmement, sûr de lui : «Vous en faites trop. Ce n’est pas ça, écrire».

Le Docte Professeur s’était accroupi. Il était dans la position de celui qui satisfait à un besoin utile. L’auteur a crié : «Mais qu’est-ce qu’il fait ?». En même temps, il a fait un effort immense pour détacher ses pieds du sol, mais c’était devenu totalement impossible.

«Mais qu’est-ce qu’il fait ?», a répété l’auteur, hurlant. L’autre, dans le coin, s’est avancé. Son visage est sorti de la pénombre. L’auteur s’est tourné vers lui, il ne sait pas pourquoi, et il s’est encore frotté les yeux. Il l’a regardé, il n’y croyait pas : l’autre, c’était l’auteur lui-même ! «Il marque son territoire», a dit l’autre, en désignant du doigt le Docte Professeur. L’auteur a vu cette image, mais elle s’est effacée aussitôt, d’elle-même. Puis toutes les images de cauchemar se sont effacées. L’auteur suit l’auteur lui-même. Ils se sont mis en marche, ensemble. Ils fendent la masse de la foule. Il n’y avait plus le sol glissant et collant. Il n’y avait plus l’odeur nauséabonde. Il n’y avait plus la foule hostile. Les Fins Éditeurs et le Bon Auteur s’étaient évaporés, laissés sans doute là où ils devaient être, avec eux le Docte Professeur et les suffisants attributs. Plus de mouches ni de cris stridents. Plus d’obscurité. Plus de solitude. Plus de honte.

[l'EPILOGUE d'AUTOPSIE DE MINUIT a été divulgué par L'AUTEUR LUI-MÊME en personne, à Marseille et au monde, le dimanche 22 février 2009, minuit moins une, heure de Combes, France (UTC/GMT +1)]