Les Carnets d'Autopsie de Minuit [12]

aller voir du côté deMINUIT,

des chapitres 41 à 45

ENFANCE(S).


Enfance. L’auteur n’arrive pas à discerner, parce qu’il lui est impossible de les embrasser d’un seul regard, les contours de l’enfance. Encore moins ce qu’il y a dans son centre : dans le cœur de l’enfance. Ça se situe, plus que tout autre fait, au niveau du sensible. L’auteur perçoit quelque chose de brûlant. Un incendie. Comme une morsure, une plaie, à vif. Quelque chose qui a été saisi sur le vif. Brut. Présent au monde, et c’est tout :

Dans la cour rectangulaire, à l’intérieur et autour du savant labyrinthe des haies de buis, six ou sept enfants tournoient et virevoltent comme les quarts d’heures (Minuit, chapitre 8).

Enfance. Un feu, doux, lancinant, et cependant inexorable, et ce qui lui est concomitant : l’irréversible. L’auteur entrevoit vaguement un monde lointain, qui ne lui appartient plus : irrémédiablement perdu. Envolé sans crier gare, d’un battement d’ailes :

Villa M., 0h32 : les cris se sont tus : les enfants ont disparu de la cour rectangulaire, se disputant, emportant avec eux un carré d’étoffe blanc (Minuit, chapitre 32).

Enfance. Elle est d’un temps qui est autre : lointaine, si lointaine, là-bas, inaccessible. Et puis elle exerce une force contradictoire : la voilà tout près, si proche, ici, à l’intérieur. Irrésolue, immanquablement, se perpétuant aux côtés de l’âge adulte, de tous les instants, toujours en devenir. Comme en rêve : comme, au réveil, tout juste sorti d’un rêve, chacun formulant et de ce fait reconstruisant, sous son propre récit, le rêve vu et vécu ailleurs et dans un autre temps. Intime et autre.

Enfance. Elle n’a lieu qu’une fois et ne peut pas être recommencée. Elle est sans repentir. Définitive. Quand l’âge adulte donne parfois l’impression de changer plusieurs fois de visage – quand ce n’est pas de masque. De pouvoir être recommencé. À chaque fois, comme si la nouvelle vie avait occulté tout ou presque de la précédente. À l’inverse, l’enfance est unique. Et même lorsqu’on essaie de l’enfouir, d’elle-même et toujours égale à elle-même, d’un seul tenant, elle réapparaît, une et indivisible. Absolue, comme l’instant, où le temps semble s’être arrêté :

sachant qu’ici et là, en avant et en arrière : sur la balançoire oscillante et les cuisses de la femme brune, le cadet des enfants subit les assauts répétés de l’humeur présente : les yeux s’emplissant de fatigue, et triste d’être ainsi soustrait au bonheur sensible (Trois heures trente à feu vif, chapitre 17).

Enfance. Elle a creusé dans le terreau de la mémoire les sillons les plus profonds. Des sillons dont les creux se sont accentués, au fil de la vie, plus profondément enfouis au fil du dépôt des épaisseurs successives.

Il y a au bout du compte autant d’enfances qu’il y a d’enfants. Mais chacun n’ayant que sa propre enfance, une enfance et une seule, il n’y a que celle-là qui compte. Chaque enfance est, renfermant en son cœur les trésors les plus secrets, les plus intimes, chaque enfance est, a été, sera, toujours, la plus précieuse de toutes :

[…] il lui est désormais impossible d’apercevoir les lieux –, l’embrouillamini des fils d’acier, arrachés au plafond par les flammes, s’entortillant dans les jambes de la multitude, et les mille facettes de verre sur leurs têtes ; et les enfants, et les becs de gaz de la cour qui ne manqueront pas de faire explosion (Minuit, Épilogue).


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[le présent Carnet d'AUTOPSIE DE MINUIT, douzième du nom, a été divulgué par L'AUTEUR LUI-MÊME en personne, à Marseille et au monde, le jeudi 2 juillet 2008, 15 heures sonnantes et trébuchantes, heure de Chicago, U.S.A. (dangereusement UTC/GMT -6)]