Les Carnets d'Autopsie de Minuit [10]

aller voir du côté de MINUIT,

des chapitres 31 à 35

D’OÙ LE TROU DU CUL.

L’auteur a eu le loisir d’évoquer, cela à quatre reprises, sauf erreur bien involontaire de sa part, un endroit de l’anatomie que la correction lui a interdit de nommer. La première fois, c’était au détour du chapitre 29 de Trois heures trente à feu vif, via les voix de Paul Verlaine et Arthur Rimbaud :

Obscur et froncé comme un œillet violet

Il respire, humblement tapi parmi la mousse

Humide encor d’amour qui suit la fuite douce

Des Fesses blanches jusqu’au cœur de son ourlet.

La deuxième fois, ce ne devait être que par inadvertance, en proche évocation, par le biais de la chute du cinquième Carnet d’AUTOPSIE DE MINUIT, Carnet tout bonnement consacré à la pâle figure du Bon Auteur en ridicule sainte merde.

Enfin, la troisième fois où l’auteur a été amené à dire ladite partie de l’envers anatomique, c’était dans le premier Carnet. Quant à la dernière occurrence, elle n'a pas eu lieu ailleurs qu'ici-même, dans le titre du présent Carnet, et, comme pour la précédente, à la différence des deux premières, l'auteur s'est trouvé devant l'impossibilité de faire autrement que de désigner nommément.

Un point semble certain : il y aurait fort à parier que l’auteur entretient une relation des plus troubles à l'endroit de l'envers anatomique, avec ce que, dans Trois heures trente à feu vif, il avait nommé, des protubérances fessières, le centre. Devant une telle obstination à dire ce qui ne peut être dit, une question vient immédiatement à l’esprit de toute personne raisonnablement sensée : pourquoi le trou du cul ?

À la question en question, l’auteur se permet de répondre en avançant une autre question, laquelle fait immanquablement écho à la première, à savoir : pourquoi pas ? Autrement dit : pourquoi pas le trou du cul ? Ou, pour être plus précis : pourquoi taire ce qui peut – ou doit – être dit ? À titre de simple illustration, et de manière tout à fait anecdotique, pourquoi ne pas dire que l’artiste aux rayures, dont la réflexion ininterrompue sur la juste largeur des bandes, œuvre de toute une vie de création, trouve son point culminant sur les célèbres colonnes, pissotières canines, qu’assainit un filet d’eau continu (Trois Heures trente à feu vif, chapitre 33), pourquoi – et à quel prix – taire que celui-là est un trou du cul ? Pourquoi l'auteur devrait-il taire qu'à celui-là, de ce fait, il offre tendrement la fleur callistemon citrinus, plus connue sous le doux nom vernaculaire de rince-bouteilles ?

Chacun sait que le synonyme parfait n’existe pas, qu’a fortiori tous les mots ne se valent pas. Qu'en l’occurrence, et pour ne faire allusion qu’à ceux-là, anus ne vaut pas rectum, lequel rechigne à valoir sphincter anal, lequel, à son tour, peine à valoir trou de balle. À chacun son contexte, chaque vocable connotant un discours, une intention, une volonté, consciente ou non, au final un sens bien différent des autres.

Déjà l’auteur entend s’élever le concert de voix contraires, regarde au loin la levée de boucliers. Face à l'adversité, il pourrait se défausser en tournant le dos, s'accordant à dire, avec Gustave Flaubert (Lettre à Louise Colet du 28 juin 1853) :

Faites-moi des grimaces dans le dos tant que vous voudrez, mon cul vous contemple.

Certes, l’auteur a conscience que c’est dans les pierres les plus prometteuses que l’on cisèle les bijoux les plus admirables. Que l’on ne compose pas un mets délicat à partir d’ingrédients médiocres et avariés. Mettant pour la deuxième fois tout en œuvre pour assurer sa propre défense, l’auteur se permet de porter un fait à la connaissance du lecteur : il ressent régulièrement le besoin de vérifier qu’il a toute latitude de s’exprimer exactement comme il l’entend. Parler par lui-même, sans le biais de la citation, sans artifice, et de la manière qu’il a choisie. Sans tourner indéfiniment autour du trou. S'accordant à dire, cette fois avec Georges Clemenceau,

Donnez-moi quarante trous du cul et je vous fais une Académie Française.

Être, pour l'occasion, non plus sur la bordure, ou sur l’ourlet, ou, si l’on veut, à la lisière du sens, mais au milieu du sens exactement. Car, tout simplement, pour l’auteur, c’est son bon droit de ne pas – toujours – faire dans la dentelle. Car c’est son bon droit de s’arroger le droit de recourir à la facture la plus grossière, sans pour cela avoir à demander la permission de minuit, et son bon plaisir aussi. Pour l'auteur, c'est aussi l'occasion de – revenir – se poster sur le terreau fertile de la grossièreté, une manière pour lui de ne pas renier une part non négligeable de ses origines – mais c'est là, déjà, une autre question –, sachant que si un devoir, un seul, est assigné à la littérature, c'est, éminemment, un incessant devoir de mémoire. Enfin, pour le lecteur, le milieu du sens est, tout aussi simplement, le bon et légitime droit de prendre ou de laisser. D’où le trou du cul.

Le trou du cul, au fond, ce peut être le trou du cul, tel quel et dit comme tel. Ce peut être une longue et versatile périphrase, ou une citation, ou comment, par un procédé qui relève strictement de l’art poétique, le trou du cul est plus présent encore, comme dans le premier quatrain du Sonnet du trou du cul, de Paul Verlaine et Arthur Rimbaud. Le trou du cul, ce peut être enfin le procédé subtil et tout en – soi-disant – scrupules de la prétérition, ou l’art et la manière de dire en disant qu’il ne va pas être dit, cela allant sans le dire, ce qui est dit ne pas avoir été dit, en ayant dit ne pas l’avoir dit.

Pour en finir une bonne fois pour toutes avec l’obscure question du trou du cul, l’auteur ne poussera pas l'incongruité jusqu'à dire qu’à plus d’un égard tous les trous du cul se valent, partageant la pensée de Denis Diderot (Les bijoux indiscrets) selon laquelle il n'est rien

[...] de plus commun [que] de se croire deux nez au visage, et de se moquer de celui qui se croit deux trous du cul.

Ceci étant, l'auteur ne se creusera pas le trou du cul a vitam aeternam : en conséquence de quoi il ne se répandra pas en vaines circonvolutions et, en guise d’un épilogue tout en pudeur, il relèvera qu’à tout instant, sur le long et périlleux chemin de la vie, un trou du cul peut en cacher un autre, et, qu’en tout état de cause, et en tout bien tout honneur, le proverbe chinois à l'appui, seul celui qui a emprunté la route connaît la profondeur des trous.


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[le présent Carnet d'AUTOPSIE DE MINUIT, dixième du nom, a été divulgué par L'AUTEUR LUI-MÊME en personne, à Marseille et au monde, le samedi 21 juin 2008, 11 heures et une poignée de secondes, heure de Sens, France (UTC/GMT +2, cela coule sous le sens)]