Les Carnets d'Autopsie de Minuit [11]

aller voir du côté deMINUIT,

des chapitres 31 à 40

ARCHITECTURE(S) [II].


Le chapitre 40 de Minuit étant désormais en vue, le lecteur n’a pas manqué de relever, aidé en cela par l'insistance de l'auteur, la permanence de certains éléments. Des éléments récurrents assurant une sorte de continuité, sinon un rythme soutenu, pour ne pas dire obsédant : au nombre de ces éléments, se répétant dans chaque bloc de cinq chapitres, l'incontournable triptyque : la villa M., le tableau et l’entreprise commune – cette dernière occupant à elle seule trois des cinq chapitres : les douze d’une part considérés en tant que communauté dans deux chapitres, de l’autre l’un d'eux considéré isolément, en tant qu'individu, dans un troisième chapitre. Autres éléments récurrents : les fins de portrait en X, Dieu seul sait pourquoi ; une voix qui dit tu, parfois bienveillante, parfois intransigeante, sinon insultante, venue on ne sait d’où ni de qui, s’adressant aux personnages, l'un après l'autre ; enfin l'omniprésent voile de brume – gouttelettes éthérées, fardeau de brume –, enveloppant tout et tous depuis les premiers mots du premier chapitre.

Comme la figure imposée d’un cheminement précis, celui-ci exactement et pas un autre, tel qu’il a été mis en place dès l’incipit, tel que ne l'aurait pas renié le propos d’Edgar Poe (Genèse d’un poème, sur la composition du poème Le corbeau) :

S’il est une chose évidente, c’est qu’un plan quelconque, digne du nom de plan, doit avoir été soigneusement élaboré en vue du dénouement, avant que la plume attaque le papier. Ce n’est qu’en ayant sans cesse la pensée du dénouement devant les yeux que nous pouvons donner à un plan son indispensable physionomie de logique et de causalité, – en faisant que tous les incidents, et particulièrement le ton général, tendent vers le développement de l’intention.

Ajoutant, plus loin, que

l’ouvrage a marché vers sa solution, avec la précision et la rigoureuse logique d’un problème mathématique.

Avec Minuit, parvenu au chapitre 30, le lecteur a tout lieu de penser – en tout cas rien ne semble s'y opposer – qu’il se trouve au milieu du chemin de sa lecture. À ce stade, de chapitre en chapitre, trente des soixante minutes imparties se sont donc écoulées – en toute logique, au chapitre 28, il est donc 0h28. À ce stade, tel un poursuivant obstiné, sur les traces des douze, le lecteur sait que ses pas vont le mener vers l’espace d’un autre côté annoncé. Or, au dernier paragraphe du chapitre 27, le lecteur observe les douze, dans l’instant qui précède leur passage à la trappe, alors qu’ils n’auront, quant à eux, sur les trente premiers chapitres, traversé que dix minutes de leur temps :

Ils auront franchi la ligne au-delà de laquelle il leur sera impossible de faire machine arrière, jetés là où désormais ils doivent être, pour cinquante minutes – jusqu’au coup de 1 heure exactement –, d’où l’on ne revient pas sans dommage : de l’autre côté.

Enfin, au chapitre 31, une fois franchie la trappe métallique :

De l’autre côté, il y a l’inextricable dédale : l’écheveau cristallin des pièces, galeries, colonnes, couloirs, escaliers, rampes, portes, réduits, passages dérobés ; douze dans les dessous de l’architecture de l’impossible : dans l’antre du lieu exact de leur crime.

L’autre côté. Mais l’autre côté de quoi ? Déjà, depuis un temps, quelques signes diffus, par touches discrètes, sont venus déranger l’ordre parfait d’une indispensable physionomie de logique et de causalité, signes avant-coureurs, comme les prémisses de cet autre côté. Tout d'abord, c’est le plus visible, quasi tangible : la brume, celle-là qui accompagne toute chose depuis les premières lignes, c’est celle-là qui, la première, en fait les frais, et ce dès le dernier paragraphe du chapitre 26 :

Une haleine aigre s’est élevée de la surface des eaux. Elle dissipe par touches sournoises, soudaines, soulève le voile de brume.

Plus loin, au premier paragraphe du chapitre 27 :

Vent aigre : il vient d’enlever les derniers plis du voile de brume : dispersée, envoyée à vau-l’eau la myriade des gouttelettes éthérées.

À présent, tout en ayant encore un pied dans l’ordre établi initialement, le lecteur se trouve déjà dans autre chose. De même dans le groupe des chapitres 31-35, enfin, l’agencement de ces derniers a changé, comme cela aurait été fait des fonctions attribuées aux pièces d’une habitation : du premier jusqu’au trentième chapitre, les blocs de cinq chapitres placent le tableau en dernière position. Dorénavant, le chapitre qui se trouve en dernière position est un des deux qui se penchent sur les douze dans leur communauté. Si l’auteur a ressenti la nécessité de procéder à cette inversion – serait-ce plutôt un réajustement ? –, la raison en est qu’il y avait certainement nécessité. Nécessité qui apparaîtra évidente au lecteur, ultérieurement, à moins que, plus avisé, il ne l'ait déjà – et cela, dès les premiers chapitres –, devinée…

Le nouvel agencement s’avérant réitéré dans le bloc des chapitres 36-40, à présent le lecteur a tout lieu de penser qu’il se répètera jusqu’au dernier chapitre.

Qu’est-ce qui aura changé encore ? C’est l’emploi du futur dans les trente premiers chapitres, disparu dans les trente derniers : au début les douze étaient encore dans la projection de ce qu’il leur incombait de faire, tendus vers leurs fonctions respectives, à venir, désormais ils en sont les exécutants, purement agissants, sur leur temps présent. Autre changement, et de taille : auparavant les douze cheminaient au dehors, désormais ils portent leurs pas à l’intérieur.

Peut-être le roman, dans cette suite annoncée, montrera les personnages, le moment venu, se conformant à la structure du texte, avec un autre côté d’eux-mêmes ? Peut-être quelques surprises vont-elles surgir à la faveur de leurs agissements ? Peut-être cette part d’inconnu revenue sur le devant leur sera-t-elle une révélation ? C’est ce que la suite révèlera peut-être à l’auteur lui-même, finalement sa solution, contre toute attente en dehors de la précision et la rigoureuse logique d’un problème mathématique…


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[le présent Carnet d'AUTOPSIE DE MINUIT, onzième du nom, a été divulgué par L'AUTEUR LUI-MÊME en personne, à Marseille et au monde, le samedi 24 juin 2008, 16 heures, 17 minutes et 18 secondes, heure de Novossibirsk, Russie (UTC/GMT +7)]