Retour vers le futur

Avant-propos

Retour vers le futur

Baron Roger Coekelbergs [1]

Nombre de pays commémorent cette année la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y a 70 ans de cela. Ce 16 octobre 2015, nous aussi fêtons un anniversaire de taille, à savoir les 185 années d'existence de la 'Sûreté de l'Etat’ et les 70 ans de la ' Royale Union des Services de Renseignement et d‘Action’. Le Groupe de travail historique se devait de célébrer ces événements comme il se doit. L'an passé, nous avons dès lors nourri d'ambitieux projets. Aujourd'hui, nous sommes en mesure d'offrir au lecteur et au spectateur les fruits de nos efforts par la parution du "Livre-Mémorial des Agents de Renseignement et d'Action" et l'érection d'un monument commémoratif, 'Het Schaduwleger - l’Armée de l’ombre’. Nous souhaitons ainsi rendre hommage aux nombreux Agents de Renseignement et d'Action qui se sont dévoués sans compter pendant la Seconde Guerre mondiale. C'est dès lors avec une véritable fierté que j'ai le plaisir de pouvoir présenter cet ouvrage commémoratif.

La publication d'une liste de tous les Agents de Renseignement et d'Action est une première depuis 70 ans. Par ailleurs, pour tous ceux qui s'intéressent à l'histoire des Agents de Renseignement et d'Action, le présent Livre-Mémorial entend éclairer le vécu de ces personnes et explorer les circonstances dans lesquelles elles se sont retrouvées. J'attache à cet ouvrage une valeur particulière, non seulement parce que j'ai moi-même pris part à la guerre mais aussi parce que ce livre permettra à un large public de faire connaissance avec ceux et celles qui se sont battus dans des circonstances douloureuses et ont souvent perdu la vie dans le malheur, convaincus de contribuer ainsi à la sauvegarde de notre pays, de la démocratie et de la liberté.

Ce Livre-Mémorial emmène le lecteur à travers l'histoire d'hommes, de femmes, de jeunes, de toutes les classes sociales, de tous les coins du pays, qui se sont posés en défenseurs de notre patrie face à l'occupant. Toutes les professions, toutes les opinions étaient représentées. Intellectuels, ouvriers, agriculteurs, croyants, athées, etc. Tous unis dans un élan solidaire. Chacun de nous était animé par un profond désir de liberté et l'envie de chasser l'occupant. Nous partagions tous le même esprit de sacrifice : "Nous devions faire quelque chose". J'ai la ferme conviction qu'il importe de faire connaître l'histoire des personnes de ma génération et leur manière de faire face aux problèmes majeurs de l'époque afin de pouvoir se forger une vision plus objective des conflits, oppositions et guerres actuels. Ainsi, bien que les événements de la Seconde Guerre mondiale appartiennent au passé, leur portée n'en reste pas moins tout particulièrement d'actualité. Il ne s'agit pas tant de vanter la gloire et la célébrité mais bien de narrer le vécu de nombreuses personnes qui se sont dépassées ; un récit de recherches et d'essais, de mi- réussites mi- échecs, de chutes et de relèvements.

Que me soit donnée, dans cette introduction, l'occasion de témoigner ma reconnaissance à tous ceux qui ont apporté leur appui indispensable et essentiel à la préparation et à la mise en œuvre de ce projet.

Je souhaite tout d'abord remercier toutes les entreprises, institutions et personnes qui nous ont fourni le soutien financier ayant permis de mettre davantage en valeur l'histoire mémorable et le récit remarquable des Agents de Renseignement et d'Action. Mes remerciements vont aussi à tous les Agents de Renseignement et d'Action qui ont coopéré dans le cadre de cette recherche. C'est grâce à leurs efforts que le Groupe de travail historique a été en mesure de rassembler et de traiter un trésor d'informations. Notons à cet égard qu'ils sont souvent désignés comme étant les '"derniers témoins" et qu'il serait dès lors dommage que leurs expériences et perspectives tombent dans l'oubli. Je souhaite également exprimer ma plus vive reconnaissance à Monsieur Jaak Raes, Administrateur général de la Sûreté de l'Etat, ainsi qu'à Monsieur Robin Libert, Directeur de l'Analyse, pour leur apport indéfectible à la bonne réalisation de ce projet. Je remercie de même le Groupe de travail historique qui s'est chargé de l'organisation et de la coordination du projet historique. Mes remerciements s'adressent en outre au "Belgian Intelligence Studies Center" ainsi qu'aux auteurs du présent livre commémoratif qui ont œuvré ensemble à la publication de cet ouvrage. Enfin, je tiens à remercier, non moins vivement, toutes les personnes sans lesquelles la publication de ce livre et l'inauguration du monument commémoratif n'auraient pu avoir lieu. Tous savent à quel point je leur suis reconnaissant.

Dans le cadre du 70ème anniversaire de la Royale Union des Services de Renseignement et d'Action, j'ai également pris conscience de l'intérêt primordial de déjà réfléchir à l'avenir et à la continuité de notre association. La Royale Union des Services de Renseignement et d'Action rassemble aujourd'hui les quelques Agents de Renseignement et d'Action toujours en vie. Hélas, la majorité des Agents de Renseignement et d'Action nous ont quitté entre-temps et, en 2015, ils ne sont plus qu'une cinquantaine au sein de l'association. Ce mouvement citoyen réunit par ailleurs les proches des Agents de Renseignement et d'Action ainsi que les sympathisants qui s'y reconnaissent.

Au sein de cette association, notre souhait est de perpétuer le souvenir de l'histoire des Agents de Renseignement et d'Action. En d'autres termes, nous entendons rendre hommage et célébrer la mémoire des personnes qui se sont investies pour recueillir des informations, organiser des actions de sabotage, faire de la propagande, etc. C'est ainsi qu'a germé l'idée du sens civique et de l'éducation à la mémoire. Car ce que nous désirons avant tout, au sein de ce mouvement citoyen que forment les Agents de Renseignement et d'Action, c'est raviver le souvenir au service de l'unité du pays et d'une saine démocratie. A cet égard, nous nous voulons en tout temps indépendants par rapport aux conflits politiques, culturels, philosophiques ou linguistiques. Développer et stimuler le sens civique et l'éducation à la mémoire sont les deux éléments qui constituent les piliers de l'association. En collaboration avec la Sûreté de l'Etat, nous identifions des problèmes spécifiques tant nationaux que planétaires, nous en débattons et nous employons, si possible, à y trouver des réponses. A cet effet, nous sommes ouverts aux informations et contacts personnels, nous prenons part à des colloques, des après-midi d'étude, etc.

Mais que signifie concrètement le sens civique ? La citoyenneté et le sens civique renvoient à la façon dont les gens appartiennent à la société, y participent et contribuent à sa création. Ceci implique un éventail varié de devoirs (citoyens), de libertés et de vertus. En d'autres termes, dans une société démocratique, le rôle principal revient au citoyen. Ainsi, par définition, l'individu, en tant que citoyen, fait montre d'intérêt envers le monde qu'il partage avec les autres et agit en conséquence. Par analogie avec l'histoire des Agents de Renseignement et d'Action, les membres de la Royale Union des Services de Renseignement et d'Action sont animés par le respect de chacun, le sens du compromis et l'esprit de sacrifice. Le dialogue est la clé de la réussite ! Nous nous posons aujourd'hui, en tant que citoyens, en défenseurs de la démocratie et sommes à l'affût de toute forme d'extrémisme. Aussi tenons-nous le sens civique en haute estime, convaincus que le citoyen représente la pierre angulaire de la démocratie. La citoyenneté active suppose également un réel engagement et une disposition à prendre part à la communauté, à acquérir des connaissances concernant la société et ainsi être en mesure d'y apporter une contribution active. Mais quel peut être notre apport en tant qu'association ? Et de quelle manière conservons-nous, après 70 ans, le souvenir du malheur et des expériences vécues lors de la Seconde Guerre mondiale ?

La Seconde Guerre mondiale fut un bras de fer entre des démocraties occidentales et des régimes dictatoriaux et totalitaires. De ce point de vue, ce conflit est toujours, à mon humble avis, d'une actualité brûlante. Par ailleurs, en raison de son caractère de lutte géopolitique pour l'obtention de richesses naturelles et de sphères d'influence politiques, la Seconde Guerre mondiale interpelle encore la génération actuelle. A mon sens, les conflits idéologiques et géopolitiques de notre époque ne reflètent souvent que ceux du passé.

La Royale Union des Services de Renseignement et d'Action a dès lors décidé de faire figurer le devoir de mémoire dans ses statuts. Un devoir de mémoire dont la vocation est de tirer des enseignements. La Seconde Guerre mondiale a vu des millions de personnes, citoyens et soldats, mourir de manière atroce, victimes de haine raciale ou d'aspirations impérialistes. Les valeurs (démocratiques), la culture et l'humanité européennes ont ainsi été foulées au pied. Les blessures morales restent encore et toujours vives dans tous les pays d'Europe et l'indignation à l'évocation de ce passé ne faiblit pas. Aussi la construction d'un futur basé sur la confiance mutuelle et la confiance en soi nécessite-t-elle une intense réflexion. Comme l'a exprimé Fernand Strubbe (Capitaine ARA, Luc-Marc) : "La paix et la liberté ne sont jamais définitivement acquises. [...] La défense de la dignité humaine est une œuvre de tous les instants. Chaque être humain doit réaliser ce qui importe, apprendre des générations précédentes, s'inspirer de l'histoire et transmettre cette expérience aux jeunes. " En ce qui concerne les Services de Renseignement et d'Action, l'éducation à la mémoire implique de perpétuer l'histoire des plus de dix-huit mille Agents de Renseignement et d'Action auprès des générations actuelle et à venir. Car, " ne l'oublions jamais, le jour où le citoyen tombe, l'Etat, les finances, la justice sont condamnés à l'oubli et à l'insignifiance. " Dans cette optique d'éducation à la mémoire, nous entendons participer au développement d'une attitude respectueuse et active au sein de notre société actuelle, s'inspirant du souvenir collectif de la souffrance des hommes causée par le comportement de leurs semblables. En ce sens, la commémoration d'événements qui se sont déroulés il y a plus de 70 ans nous invite inévitablement à méditer sur le monde dans lequel nous vivons aujourd'hui. Le contexte historique constitue en effet l'un des piliers sur lesquels reposent les études du renseignement en Belgique. Celles qui plongent dans l'histoire des services de renseignement me tiennent particulièrement à cœur car elles nous incitent grandement à réfléchir au regard que nous posons, dans une perspective à la fois historique et contemporaine, sur le travail de renseignement.

Voilà précisément l'objectif de " l'histoire " : pouvoir construire quelque chose à partir de ce passé, lui donner une signification et une place dans le contexte actuel. Il importe vraiment de prendre conscience de l'existence de cette histoire, de se souvenir - en ce qui concerne les Agents de Renseignement et d'Action - que de simples citoyens se sont dépassés et que les circonstances furent un jour tout autres que maintenant. C'est en cela, à mon avis, que cette histoire prend exactement tout son sens. Elle nous enseigne également l'impermanence des choses, nous apprend que notre monde n'est pas ni ne restera immuable. Pensons par exemple à la rapidité actuelle des communications au niveau mondial ou à la vitesse à laquelle nous pouvons nous déplacer aujourd'hui. Nos aïeux auraient-ils pu jamais imaginer cela ?

Ceci signifie-t-il qu'il faille définitivement reléguer aux oubliettes les atrocités que cette guerre a menées dans son sillage ? Non, bien au contraire ! Il est vrai, néanmoins, qu' "on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve" ... Si l'histoire était un fleuve, son eau changerait perpétuellement autour de nous. Chausser les lunettes du passé afin de comprendre le présent constitue du reste un exercice qui n'est ni simple ni univoque. En effet, l'histoire nous invite perpétuellement à nous investir et à entamer une subtile réflexion. Autrement dit, la citoyenneté et l'éducation à la mémoire s'enchevêtrent vite car, aujourd'hui, cette histoire peut faire office d'enseignement, d'exemple, de message, de dissuasion, d'avertissement, de symbole et aussi de récit aux multiples significations. J'ai l'intime conviction que le moment est plus que jamais venu de "se retourner vers le futur" ... !

[1] Le professeur émérite Baron Roger Coekelbergs (Capitaine ARA, Luc-Marc) dirigeait le secteur VN/CM dans le centre du Hainaut, qui incluait les villes et communes de Mons, La Louvière, Ma- nage, Maurage, Quiévrain et Bois Bourdan. Il a connu l’enfer de Breendonk. Il est l’actuel président national de l’asbl Royale Union des Services de Renseignement et d’Action et également président d’honneur du Mémorial national du Fort de Breendonk.