Eloge funèbre Thérèse Brichet

Discours prononcé lors des funérailles de Thérèse Brichet à Rienne le 5 octobre 2012

par Roger Saint (Commandant e.r. Président Croix de Guerre de Namur)

Chère famille, Monsieur le Curé, Mesdames, Messieurs,

Après consultation des archives, il apparaît que depuis 2002, à la mémoire des Anciens qui inexorablement nous quittent, ont été prononcés cinquante discours qui concernaient tous des hommes.

Et voici qu'aujourd'hui, hommage ô combien mérité est rendu à une grande dame. Alors, permettez-nous dans un premier temps, à travers la belle figure souriante de Thérèse Van Lierde-Brichet, de saluer toutes ces femmes disparues ou vivantes, non seulement résistantes mais aussi mamans, fiancées, veuves qui ont côtoyé le danger, qui ont connu les affres de l'interminable attente ou la pénible entrée en solitude quand ne revient pas l'être cher.

Qu'elles soient toutes assurées de notre considération respectueuse et de nos sentiments reconnaissants. Pleins feux maintenant sur notre agent secret et la juvénilité de son enthousiasme puisque mise au parfum en 1943, à l'aube de ses 16 ans. C'est qu'on ne la lui fait pas à notre Zézette qui a vite compris qu'il se tramait bien des choses à 1'Auberge des Ardennes, tenue par sa maman qui, ayant perdu un frère à la première guerre, conserve une rancune tenace envers ces Teutons d'envahisseurs.

Poussons donc avec toutes les précautions voulues, la porte du grenier pour y découvrir autour d'un appareil de transmission en morse, trois hommes, Robert Brichet, le frère de Thérèse, ensuite Emile et Fernand Montreuil qui font partie de l'opération Beagle dont le chef est un certain Albert Toussaint, agent secret formé par les services anglais, parachuté par Londres dans le nord de la France et arrivé à Rienne par ses propres moyens. Voici Thérèse embrigadée dans le réseau ; elle apprend le morse, on lui enseigne à écrire et à lire en langage codé, formation qui dure plusieurs mois ; elle devient ainsi un véritable agent secret, accédant au grade de lieutenant A.R.A.

On notera que la première station Beagle I installée à Rienne a adressé le premier bulletin météo à Londres, le 1er novembre 1942.

Au début, l'opérateur sera Albert Toussaint, alias Arsène, puis prendront le relais Robert Brichet et sa sœur Thérèse tandis que, par la suite, Fernand Montreuil tiendra la station de Gand et Emile, celle de Visé. Malheureusement pour ce dernier, il sera pris dans une rafle et fusillé. De la sorte, la RAF avait des prévisions pour toute l'Europe. Les différentes stations de Beagle enverront 1297 télégrammes météo et 75 pour les besoins du service, soit des renseignements sur les travaux entrepris par les Allemands à la Croix-Scaille et sur leur station de repérage de Menuchenet. On peut assurément affirmer que Rienne a joué un rôle de premier plan dans les relations quotidiennes avec Londres, contribuant ainsi à favoriser la libération du pays.

Après la guerre, Thérèse prend l'avion pour la première fois, un appareil de la RAF où se trouve également Albert Toussaint, qui atterrit dans la capitale britannique. Du prince consort Philip, époux de la reine Elisabeth, elle reçoit The Kings Medal for Courage in the Cause of Freedom.

Plus tard, au nom du Réseau (groupe), au Palais des Beaux-Arts à Bruxelles, elle reçoit la Croix de Guerre avec Palmes des mains du général Montgomery.

On y ajoutera la Médaille de la Résistance ainsi que deux autres décorations. C'est assez dire que nous accompagnons aujourd'hui une toute grande figure dont notre terre d'Ardenne peut être fière.

Elle faisait bien sûr partie de la Fédération Nationale des Combattants. Aussi, Chère famille, est-ce avec respect et émotion que le Président et les membres de la section de Gedinne tiennent à vous exprimer leurs plus sincères condoléances.

Sur le plan privé et professionnel, avec son mari Roger Van Lierde, elle tiendra l'Auberge des Ardennes jusqu'au début des années soixante pour gagner ensuite la côte et y gérer l'hôtel Astoria à Coq-sur-Mer. Puis, au moment de la retraite, c'est le mouvement inverse, ils reviennent s'installer à Plainevaux, quittant les vagues de dunes pour retrouver les frondaisons qui font tout le charme de l'Ardenne enchanteresse.

Alors que d'aucuns s'enorgueillissent facilement pour l'un ou l'autre fait plus marquant, voici une personne décorée au plus haut niveau pour des faits qui forcent l'admiration et qui a opté pour la discrétion, apanage des âmes bien nées qui de leur action ne font pas étalage. Voici une volonté, toute en énergie douce qui se veut dévouement permanent. Voici une fidélité sans faille pour Rienne, sa famille, ses amis.

Chère Thérèse, pour tout ce qui fut grand et beau, mille fois merci. La terre tant aimée s'ouvre pour t'accueillir en son sein. Tu entres en éternité, c'est le pays des vivants de l'au-delà.

Sans doute, dans le grenier d'autrefois, par la tabatière, t'est-il arrivé de regarder les étoiles. Maintenant, tu les côtoies, mieux, tu en es une, nouvelle, mais discrète bien sûr.

Il va falloir nous apprendre à regarder le ciel autrement.

Mesdames, Messieurs, en signe de respect pour Thérèse, puis-je vous demander de vous lever et aux drapeaux de s'incliner. Merci.

Rienne, le 5 octobre 2012