Eloge funèbre Jean Aerts

La Plante, Eglise Saint Pierre aux Liens, le lundi 24 mars à 11hr30

Paul-M. RENARD, secrétaire national

Très chers Membres de la Famille, Chers Amis,

Jean a rejoint le Paradis des Héros. La guerre vient d'éclater et après 18 jours de résistance, l'armée belge est bien obligée de se rendre. Le rapport de force est insoutenable. La Belgique va-t-elle se soumettre à l'envahisseur ? De nombreux Belges qui avaient déjà vécu l'invasion de 14-18 se réveillent et organisent la résistance : il faut faire quelque chose.

Jean vient d'avoir 16 ans le 30 sept 1940 et tous les espoirs d'une jeunesse tournée vers l'avenir vont être durement confrontés aux réalités de la guerre. Ses parents l'ont éduqué en citoyen responsable. Il vit paisiblement : des études techniques sérieuses sont entreprises, mais tout bascule le jour où il est convoqué pour le Service du Travail Obligatoire. Un choix s'impose : « moi aller travailler pour l'envahisseur ? Jamais ».

C'est donc dans les Services de Renseignement et d'Action qu'il va se révéler. En prêtant serment, Jean en accepte les règles strictes au prix de sa vie. Sa voie est tracée : iI vient d'avoir 18 ans. Il va s'installer à Bruxelles et rayonner comme courrier pour le Réseau Zéro sur tout le territoire belge, déposant plis et paquets tantôt à Bruxelles à la Porte de Namur, tantôt à Gent, voire Anvers et ailleurs.

Mais bientôt, cette routine ne lui suffit plus. Il en veut davantage. La Royal Air Force l'attire : c'est le rêve absolu de partir pour l'Angleterre. Il adresse un message à son chef qui le convoque à Namur et lui propose ... de rester en Belgique pour aider le Bomber Command des alliés basé en Angleterre.

Il ne deviendra jamais pilote, mais les aidera en étant un des membres du Réseau Beagle qui regroupait 40 Agents répartis dans 4 postes consacrés à l'action météorologique. Jean devra tout apprendre tant du matériel que de la technique. Il fallait informer les alliés par radio du temps qu'il faisait ou fera à un moment donné sur le parcours des escadrilles survolant le pays. Plus de 1.297 messages radios seront envoyés d'août 42 à la Libération.

Mais qu'est-ce que les Services de Renseignement et d'Action ?

Ce sont des civils comme vous et moi, des amis, des connaissances, réunis en Réseaux, qui vont recueillir de façon continue des renseignements à caractère militaire pour les communiquer au commandement des troupes alliées, basé à Londres. Ces « services » permettront la prise de décisions très importantes pour passer à l'action sur le terrain, d'où le nom des Services de Renseignement et d'Action.

C'est un travail continu, opiniâtre, précis et secret. Chaque action est périlleuse mais l'engagement citoyen repousse les limites. A côté du Réseau Zéro et de Beagle, il y avait des noms comme Clarence, Luc, Marc, Comète, Socrate, Tempo, Bayard, ... qui couvrent tout le pays et les pays proches.

Ce sont 129 Réseaux qui regroupent 18.716 Agents reconnus légalement sur plus de 45.000 demandes : Jean est « UN » de ces Agents, qui œuvraient telles les taupes creusant patiemment leurs galeries sous les pieds de l'occupant.

Tous les Agents reconnus ont eu une activité militaire réelle et continuelle en territoire occupé. Ils ont reçu après la guerre la reconnaissance légale de leurs mérites par l'attribution du titre d'Agent de Renseignement et d'Action (ARA).

Les résultats obtenus ont été exceptionnels au point que certains Agents reconnus l'ont été avec des grades militaires. Même des femmes se sont vues attribuer des grades d'officiers, comme celui de capitaine, pour ne citer que celui-là, mais à une époque où il n'y avait pas de femme à l'armée si ce n'était au service social ... c'est assez exceptionnel de le souligner. Jean a été reconnu au grade de lieutenant ARA.

Le titre d'ARA porté par Jean n'atteste donc pas de l'appartenance à un groupement déterminé, mais reflète la qualité exceptionnelle des services qu'il a rendus. Il fallait que son activité clandestine réponde aux critères sévères du statut des Services de Renseignement et d'Action.

Tiens ? Saviez-vous que le Réseau Beagle où Jean œuvrait a permis le débarquement des troupes alliées le 6 juin à l'aube ? Oui, l'engagement citoyen de «petits citoyens belges» est à la base de la fixation du jour et de l’heure du débarquement en Normandie ... tout comme un autre petit citoyen belge avait informé les alliés des détails des fortifications du Mur de l'Atlantique en leur envoyant plus de 300 plans. Roger Morsa, capitaine ARA était né à Ben Ahin près de Huy pas loin d'ici et travaillait au cadastre à Bruges où venait s'effectuer le tirage des plans du Bureau d'Etudes de l'ennemi « Todt » tout proche.

POTIUS MORI QUAM FOEDARI ... plutôt la mort que l'esclavage, telle est la devise de ces Hommes de l'Ombre dont on ne parle que très rarement. Il est vrai que de leur discrétion dépendait leur vie. Ce ne sont pas moins de 1.817 Agents qui ont payé de leur vie leur engagement durant la guerre.

Et pourtant quand nos parents entendaient sur les ondes de la BBC des phrases comme ... Le jambon est salé ; — Le canard sauvage n'oublie pas ses amis ; — Roland, vous parlez beaucoup ; — 20 loups sont dans la bergerie ... Ce sont des messages codés qui n'auraient jamais existé sans le travail des Agents des Services de Renseignement et d'Action dont Jean faisait partie. Et enfin, lorsque ce message est lu sur les ondes de la BBC, c'est la mobilisation générale de tous les Résistants Les sanglots longs des violons de l'automne blessent mon cœur d'une lenteur monotone car ce message annonce le débarquement.

La reconnaissance unanime des Commandements Alliés ira aux Agents de l'Armée de Renseignement et d'Action, la 5e colonne comme elle sera appelée souvent après la guerre.

Le 8 mai 1945, l'ennemi capitule à Berlin, mais Jean attend l'arrivée des Américains. Il avait été arrêté fortuitement à Bruxelles à la sortie d'un café ! Pour ne pas s'être présenté au Service du Travail Obligatoire deux ans plus tôt, il avait été envoyé dans un camp en Allemagne près de Schwäbisch-Hall au sud de Frankfurt, à 60 km de Stuttgart dans le Bade Wurtemberg d'où il réussit à s'échapper une 1e fois. Il venait de réussir sa deuxième évasion. Mais la guerre est finie. La page est tournée : il est libre. Un autre engagement citoyen l'attend. Il revient à la météo, puis s'engage à l'armée où il termine sa carrière avec le grade de lieutenant-colonel du Génie.

VIVRE, c'est aimer, donner et se donner !

Qui mieux que Jean l'a prouvé dans toutes ses très nombreuses activités toujours au service du bien être de sa famille et des autres, pour son Pays, pour « sa » Belgique.

Vous aussi, ici présents, vous êtes invités à agir et ne pas attendre que d'autres agissent pour vous. Allez vers l'autre, recherchez le compromis et ne craignez surtout pas de payer de votre personne. A nous de suivre cet exemple dans notre vie de tous les jours aujourd'hui : voilà le message que nous laisse Jean.

Merci Jean de nous avoir montré le chemin du Devoir et de nous avoir tant donné sans jamais rien revendiquer. Que du Paradis des Héros, tu puisses guider, à chaque instant, nos pensées et nos actions vers plus de citoyenneté.

Ce titre d'Agent de Renseignement et d'Action n'a été accordé qu'après examen sévère des mérites de guerre de l'intéressé qui devait justifier d'une participation active et continue aux opérations clandestines, car la simple "affiliation" ne suffisait pas pour obtenir cette reconnaissance.

Un citoyen parmi les autres me direz-vous, mais quel citoyen et quel exemple pour nous tous ici présents ! Jean avait pris conscience que c'est lui qui devait faire quelques chose pour que cela change. Il ne devait pas attendre que d'autres le fassent pour lui.

A la fin de cet office, quand résonnera la Brabançonne, sentons en nous tout l'Amour de Jean pour son Pays, son Roi et son Drapeau.