En décembre 2008, au cours d’un entretien enregistré en vidéo, Françoise Blondel interroge Thérèse Eudes sur sa vie à l’hôpital dans la période 1935 -1950.
Cet article se concentre sur la période 39-45, où l'infirmière Thérèse Eudes, tout en soulignant le dévouement et la solidarité du personnel, décrit l'hôpital se transformant en zone de guerre.
Dès 1939, les précautions s'installent, suivies en 1940 par l'arrivée massive de blessés. La présence allemande apporte son lot de privations. Le bombardement de 1944 surcharge le personnel avant que la Libération ne ramène la paix.
Dès 1939, l'hôpital de Rouen prend des mesures de précaution face à la « drôle de guerre ». Le personnel doit assurer les nuits, en partie par crainte des gaz, et doit effectuer ses déplacements avec un masque à gaz. La lumière est restreinte par l'obturation des fenêtres. Cette première année est jugée « extrêmement calme ».
La situation s'aggrave brusquement en 1940. Après la chute d'une bombe à l'hôpital Charles Nicolle le 15 avril, le mois de mai apporte une situation catastrophique avec l'arrivée des blessés du train de réfugiés belges percuté en gare de Morgny la Pommeraye. Ces scènes de deuil et d'angoisse constituent un prélude à la médecine de guerre. L'arrivée des Allemands en juin est précédée par le bruit infernal des ponts sautant à Rouen, suivi d'un « silence absolument de mort ». Le défilé des chars allemands procure un effet "angoissant" et "inquiétant". Alors que l'Hospice Général n’est pas réquisitionné, l'Hôtel Dieu est investi, les blessés allemands étant installés au Pavillon Derocque.
L'organisation hospitalière subit un choc. Une grande partie du personnel est partie en éxode. Le 15 juin, l'hôpital reçoit un gros apport de blessés : des soldats français vaincus et blessés. La chirurgie de guerre devient la norme. Des salles comme la salle Pouché accueillent immédiatement 50 blessés. Le bloc opératoire fonctionne alors « jour et nuit, sans arrêt » face aux arrivées massives.
L'occupation impose des restrictions sévères. Les médicaments sont rares et restent insuffisants jusqu'après la guerre. Pour traiter les plaies de guerre, on utilise intensivement le désinfectant Dakin en irrigations continues. Les pénuries touchent également l'alimentation et le linge. Pour pallier le manque de nourriture, l'hôpital cultive son potager pour les légumes et utilise la ferme des Cateliers pour la viande. L'approvisionnement en lait est toutefois assuré en permanence par un laitier dévoué.
Le personnel, souvent relogé dans des pavillons moins confortables durant le conflit, puise dans son patriotisme. Malgré la vétusté des locaux et les moyens limités, un sentiment d'enthousiasme et de solidarité domine. Les soignants ont le sentiment d'avoir « servi la France ».
Les bombardements sont une source d'angoisse permanente. La nuit du 19 avril est particulièrement violente, le ciel étant « littéralement embrasé ». Ces frappes provoquent une hécatombe de bombes et l'arrivée de nombreux blessés civils. Les scènes sont tragiques, avec des familles dispersées. Finalement, la Libération de Rouen, le 30 août 1944, est accueillie par la joie et des cris de victoire dans l'enceinte de l'hôpital.