Emmanuel Louis Blanche (1824-1908) Bicentenaire de sa naissance
Par Karl Feltgen
Par Karl Feltgen
Dernier représentant d’une dynastie de médecins rouennais illustres, Emmanuel Blanche avait pour grand-père Antoine-Louis Blanche (1752-1813), chirurgien en chef de l’hôpital militaire de Rouen et premier propagateur de la vaccine en Seine-inférieure, et pour père, le célèbre Dr Antoine Emmanuel Pascal Blanche (1785-1849), chirurgien en chef de la maison de détention et de correction de Bicêtre, chirurgien en chef de l’Hôpital Général de Rouen, membre correspondant de l’Académie Royale de Médecine, Professeur à l’école secondaire de médecine de Rouen, chirurgien-major de la Garde nationale, membre de l’Académie de Rouen, de la Société de Médecine et du Comité central de vaccine de Rouen, décoré de la Légion d’honneur.
Emmanuel Louis Blanche est le dernier des fils de Antoine Emmanuel Pascal Blanche, fruit de son deuxième mariage, en mai 1820, avec Marguerite Anne Félicité Rohée. Il nait à Rouen le 10 mai 1824, dans une maison appartenant aux Hospices de la ville, logement de fonction de son père, sis au n°2 de la rue Bourgerue. Cette maison, située juste en face de l'Hospice-Général permettait au docteur Blanche de se rendre à chaque instant du jour et de la nuit, en cas d'urgence, auprès des malades de cet établissement. Ainsi le destin était tracé, ce dernier fils, est le seul des enfants du Dr Blanche à s’orienter vers la carrière médicale, ses trois demi-frères issus d’un premier lit, s’illustrant avec succès dans la magistrature, tous chargés de hautes fonctions.
En 1843, Emmanuel Blanche annonce à l’administration des hospices de Rouen qu’il destine son fils, âgé de 19 ans, à l’étude de la médecine et demande l’autorisation qu’il puisse provisoirement l’accompagner dans son service de l’Hospice-Général. Après avoir poursuivi ses études dans la capitale, Emmanuel Blanche est reçu, le 6 mars 1849, au grade de docteur à la Faculté de médecine de Paris avec une thèse consacrée aux eaux ferrugineuses de la Seine-Inférieure.
Malheureusement son père n’a pas le loisir de voir son fils coiffer le bonnet doctoral. En effet, en pleine séance du conseil municipal de Rouen, le 24 janvier 1849, Antoine Emmanuel Pascal Blanche, âgé de 63 ans, s’effondre au milieu de ses collègues, frappé d’apoplexie foudroyante. Ses obsèques sont célébrées en grande pompe, aux frais de la commune.
Le 6 février 1849, Madame veuve Blanche, écrit à l’Administration des hospices de Rouen pour la remercier des témoignages de profonde considération donnés à son mari, tout en la priant de la reporter « sur celui de ses fils qui suit la carrière médicale » Elle sera entendue : le 14 mars 1849 Emmanuel Blanche est nommé, à l’âge de 25 ans, chirurgien-adjoint à l’Hospice-Général, dans le service du Jules Hélot (1814-1873).
A peine plus d’un an après la disparition de son père, Blanche déplore la perte de sa mère, décédée à Rouen le 25 mars 1850. Événement plus heureux, le 18 décembre 1851, il se marie à St Martin de Boscherville avec Alphonsine Emma Vingtrinier (1829-1878), fille de Artus Barthélemy Vingtrinier (1796-1872) qui fut l’élève puis l’adjoint du père Blanche pendant quinze ans au service médical des prisons.
Suivant les traces de son grand-père et de son père, Emmanuel Blanche entre en 1851 au comité central de vaccine, créé par arrêté préfectoral du 28 juillet 1826. En 1865, lorsqu’une commission permanente de vaccine est instituée au sein du Conseil central d’hygiène publique et de salubrité de la Seine-Inférieure, Blanche reste membre honoraire du comité de vaccine. En 1884, il devient vice-président de cette commission permanente, présidée par le Préfet. Jusqu’à un âge avancé, il ne manque aucune des séances qui se tiennent chaque lundi à l’hôtel-de-ville de Rouen.
En avril 1853, suite à la démission du Dr Hellis la Commission administrative des hospices de Rouen entend pourvoir à une nouvelle organisation des services de médecine de l’Hôtel-Dieu, en créant une troisième division médicale. Aussi, le 26 avril 1853, Emmanuel Blanche est nommé adjoint au service de la 3e division de médecine de l’Hôtel-Dieu, dirigée par le Charles Edouard Caneaux (1810-1889), fonctions qui lui sont confiées pour 5 ans renouvelables. Tout en secondant Charles Caneaux, il passera successivement à la 2e puis à la 1ère division médicale de l’Hôtel-Dieu où il continuera à exercer comme adjoint de 1855 à 1867.
En parallèle de ses activités hospitalières, Emmanuel Blanche suit une carrière d’enseignant. En novembre 1853, il est nommé professeur suppléant d’histoire naturelle médicale à l’école préparatoire de médecine et de pharmacie de Rouen. Le 14 avril 1855, suite à la réorganisation de l'école, il est professeur suppléant pour les chaires de sciences accessoires. Il y enseignera la matière médicale puis la physiologie comme professeur adjoint (1860). Nommé professeur titulaire le 31 octobre 1865, il obtient la chaire d’anatomie et de physiologie puis reprend l’enseignement de l’histoire naturelle médicale en 1879. Le 3 décembre 1856, il est nommé professeur suppléant pour la chaire d’histoire naturelle à l’école préparatoire à l’enseignement supérieur des sciences et des lettres de Rouen, créée par décret du 31 mars 1855. Il en deviendra titulaire le 7 février 1873, suite au décès de Félix Archimède Pouchet, survenu le 6 décembre 1872. Un de ses biographes a écrit : « Au cours de Pouchet on était sous le charme de la parole de l’artiste. Au cours de Blanche on était saisi par l’engrenage des démonstrations d’une méthode impeccable. » Un autre a ainsi témoigné : « par la préparation consciencieuse de ses leçons, par la méthode de son exposition, par la pureté, je dirais presque par l’impeccabilité de sa diction, M. Blanche expliquait les phénomènes les plus complexes et les plus variés. » Il aimait à guider ses élèves dans de fréquentes promenades consacrées à l’herborisation.
Le 1er novembre 1895, Blanche est admis à la retraite et est nommé professeur honoraire de l’école de médecine.
Sur la médecine, il n’a laissé que très peu d’écrits. Les seuls ont été publiés dans le Précis de l’Académie de Rouen, dont une note de 1881 sur les découvertes récentes de Pasteur sur les modes de transmission de la « bactéridie charbonneuse » et sur le rôle joué par les « champs maudits. » dans laquelle il affirme clairement son opposition à l’hétérogénie. Plus qu’en médecine, Blanche s’est surtout illustré dans le domaine des sciences naturelles.
Initié très tôt par son père, qui était un grand amateur de botanique, le jeune Emmanuel Blanche se prend de passion dès l’enfance pour l’étude de la flore locale et, en 1851, après avoir acquis l’herbier de l’abbé Le Turquier de Longchamp (1748-1829), il présente à l’Académie de Rouen un mémoire intitulé : Rectifications et additions à la flore des environs de Rouen, proposant une remise à jour complète de cette flore publiée en 1816. En 1855 il est reçu à l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Rouen, consacrant son discours à la flore départementale. Lorsque le Ministre de l’Instruction publique décide d’entreprendre la description scientifique de la France, Blanche est chargé, pour la Seine-inférieure, de la partie botanique, avec Alexandre Malbranche (1818-1888), de la zoologie et de la zootechnie. Ce travail sur la partie botanique sera présenté à l’Académie de Rouen en séance du 28 juin 1861.
Plus tard, c’est dans son cabinet que, le 1er décembre 1864, Blanche fonde avec seize autres naturalistes, la Société des Amis des Sciences naturelles de Rouen dont il devient le premier président.
En 1867, Emmanuel Blanche est nommé directeur du Jardin des Plantes, ce qui le conduit, le 23 octobre 1867, à démissionner de ses fonctions d'adjoint de la 1ère division médicale de l'Hôtel Dieu, après dix-huit ans de service dans les hôpitaux de Rouen. La Commission administrative accepte sa démission et le nomme médecin honoraire. Emmanuel Blanche devient dans le même temps directeur de l’école municipale de botanique de Trianon, succédant à Félix-Archimède Pouchet, démissionnaire. Entre 1872 et 1874, il est également président de la Société centrale d’agriculture de la Seine-inférieure dont il était membre depuis 1855. On voit qu’après avoir quitté l’hôpital, ses fonctions sont fort nombreuses. Ajoutons à cela que Blanche est également Président de l'Académie de Rouen en 1870-1871.
Veuf depuis 1878, sans enfant, Emmanuel Blanche ne se remarie que le 9 octobre 1884 avec Léontine Vingtrinier (1825-1899), veuve depuis 1876 et sœur ainée de sa première femme. Elle meurt en son domicile le 27 février 1899 au 12 quai du Havre à Rouen. Resté veuf, Emmanuel Blanche part à la retraite en 1896, devient académicien honoraire et vit retiré, dans un isolement renforcé par sa surdité, dans sa propriété de Blosseville-Bonsecours où il s’éteint le 28 mai 1908.
Ses obsèques ont lieu le 1er juin 1908 à Bonsecours en présence de nombreux représentants du corps médical, de nombreux pharmaciens, anciens élèves du Pr Blanche, et de plusieurs membres de la Société des Amis des sciences naturelles. Le deuil est conduit par le Docteur Tony Blanche, son neveu et le cercueil est ensuite accompagné jusqu’au cimetière monumental. Conformément à la volonté du défunt, il n’y a ni discours, ni fleurs, ni couronnes.
Karl Feltgen
Bibliographie :
Henri Gadeau de Kerville, Notice nécrologique sur le Docteur Emmanuel Blanche (1824-1908), Rouen, Imprimerie Lecerf fils, 1909.
Discours de réception de M. Bordeaux, Précis analytique de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Rouen, 1908, p. 159-198.
René Hélot, Le Docteur Emmanuel Blanche. La bibliothèque des Blanche, La Revue Médicale de Normandie, 10 juin 1908, p. 205-208.
Dictionnaire biographique illustré de la Seine-inférieure, 2e édition ; Paris, Flammarion ; p.92-94.