(Camille Corot - Entrée d'une ferme à Bois-Guillaume)
Camille Corot - Ferme de Bois-Guillaume
Crédit : Norton Simon Museum
Au début du 17e siècle, le cidre fit une entrée remarquée comme nouvelle boisson alimentaire à l'Hôpital et aux Hospices de Rouen, rejoignant les boissons traditionnelles que sont le vin, la cervoise et l'eau de source. Pendant des siècles, il fut considéré comme une boisson potable et hygiénique, servie aussi bien dans les chambres des malades qu'au réfectoire.
Le cidre était même prescrit aux convalescents comme boisson ordinaire pour "rétablir les forces" et agissait sur les "humeurs malsaines", perçu comme une substance "régénérante". Il fallut attendre 1955 pour que l'eau minérale remplace ces boissons fermentées lors des repas, marquant la fin d'une longue tradition.
Les hôpitaux de l'époque aspiraient à l'autonomie, et pour ce faire, possédaient un vaste patrimoine foncier. En Seine-Maritime, ils détenaient 28 fermes et 1430 hectares de biens ruraux, assurant ainsi d'importants revenus et approvisionnements. Parmi ces propriétés stratégiques se trouvaient plusieurs fermes situées à Bois-Guillaume et Bihorel : notamment la Grande et la Petite Madeleine (acquises dès le 16e siècle) et le Manoir du Colombier (depuis le 17e siècle). La ferme de la Grande Madeleine, par exemple, fut cédée aux Hospices de Rouen dès 1269. Le Manoir du Colombier, quant à lui, devint propriété des Hospices de Rouen en 1698.
Pour gérer cet afflux de boissons, l'Hôtel-Dieu et l'Hospice Général disposaient de leurs propres pressoirs, d'une brasserie et d'une cave. Un plan datant de 1624 localise même un abri spécifiquement réservé au "Marchand de cidre". Le pressoir de la ferme de la Petite Madeleine, jadis à Bihorel, témoigne de cette activité intense, bien qu'il soit aujourd'hui démonté.
La culture de la pomme à Bois-Guillaume et Bihorel remonte au 14e siècle, voire plus tôt, sous la tutelle de l'abbaye de Saint-Ouen. Cette localité était, avec d'autres, un centre de production de pommes depuis au moins le 14e siècle, souvent sous l'égide de grandes abbayes. Des pommes de table y étaient plantées dès 1372. Le clergé et les abbayes prélevaient d'ailleurs la dîme sur les pommiers et la boisson de pomme (cidre), preuve de leur valeur. La région s'inscrit pleinement dans l'aire géographique du cidre du Pays de Caux, telle que délimitée par Charles Brioux entre 1909 et 1913.
Aujourd'hui encore, le verger actuel du CHU longeant la rue Girot à Bois-Guillaume est un témoignage vivant de cette longue histoire cidricole. Planté entre le milieu du 19e siècle et 1937, il a connu un déclin avant d'être replanté en grande partie en 2000 grâce à un partenariat avec une association locale. De plus, la Cité de l'Agriculture de Bois-Guillaume s'est installée sur d'anciens vergers, et un verger conservatoire a été créé rue de la Haie, perpétuant ainsi cette tradition.
L'histoire du cidre et de la pomme à Bois-Guillaume est donc bien plus qu'une anecdote locale ; c'est une facette essentielle de l'histoire de l'alimentation et de l'autonomie de nos hôpitaux rouennais, soulignant des liens territoriaux profonds et une résilience remarquable.
D’après les recherches de Pascal Levaillant : Les boissons alimentaires servies dans les Hospices et Hôpitaux de Rouen jusqu'à l'arrivée de l'eau minérale dès 1955