Taillefer

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L'article dans le Tableau historique d'Antoine Taillefer, qui se décrit sur la page de titre comme "avocat en parlement", est surtout une collection d'anecdotes. Il ne contient rien de nouveau, mais a l'avantage de rassembler les anecdotes les mieux connues sur Quinault.

Tableau historique de l'esprit et du caractère des littérateurs françois, depuis la renaissance des Lettres jusqu'en 1785, ou Recueil de traits d’esprits, de bons mots & d’anecdotes littéraires. Tome second / par M. T***, Avocat en Parlement, Trésorier de la Guerre, et Subdélégué de l’Intendance de Champagne. Versailles, Poinçot, et Paris, Nyon, 1785. P. 89-96.

Le texte des extraits de Thésée à la fin de l'article n'est pas celui des éditions du dix-septième siècle. On le trouve dans plusieurs livres du dix-huitième et du dix-neuvième siècles. J'ajouterai des détails plus tard. Il s'agit de la scène 7 de l'acte III, vers 647-648, 650-651, 655-658 et 664-670. Les variantes se trouvent aux vers 666-668.

PHILIPPE QUINAULT, né à Paris en 1635, mort en 1688.

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Les Comédiens, depuis leur établissement à Paris, étoient dans l'usage d'acheter des Auteurs, les Pieces de Théatre qu'on leur présentoit ; au moyen de quoi le profit de la recette étoit en entier pour eux. Cet usage avoit son inconvénient ; car il arrivoit assez souvent que la Piece ne faisoit pas fortune : aussi les Comédiens mettoient-ils un prix assez modique à leurs emplettes. Quelquefois la réputation de l'Auteur faisoit acheter plus cher l'ouvrage. Tristan pour rendre service à son éleve Quinault, se chargea de lire aux Comédiens la Piece des Rivales. Elle fut acceptée avec de grands éloges de la part des Acteurs, qui convinrent d'en donner cent écus. Alors Tristan leur apprit que cette Comédie n'étoit point de lui, mais d'un jeune homme appellé Quinault, qui avoit beaucoup de talent. Cet aveu fit rétracter les Comédiens ; ils dirent à Tristan que, la Comédie dont il avoit fait la lecture n'étant point de sa composition, ils ne pouvoient hasarder plus de cinquante écus. Tristan insista en vain pour faire revenir les Comédiens à leur premiere proposition. Enfin, il s'avisa d'un expédient pour concilier les intérêts de ces derniers & de Quinault : il proposa d'accorder à l'Auteur de la Comédie le neuvieme de la recette de chaque représentation, pendant le tems que cette Piece seroit représentée dans sa nouveauté, & qu'ensuite elle appartiendroit aux Comédiens. Ce moyen fut accepté de part & d'autre, & parut si judicieux, que les Comédiens & les Auteurs ont toujours depuis suivi cette regle. Lorsque les Pieces en un acte & en trois se sont dans la suite introduites au Théatre, les Auteurs sont convenus avec les Comédiens d'un dix-huitieme.

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Tristan engagea Quinault à entrer chez un Avocat, qui le chargea un jour de mener une de ses parties, Gentilhomme d'esprit & de mérite, chez son Rapporteur, pour l'instruire de son affaire. Le Rapporteur ne s'étant point trouvé chez lui, & ne devant revenir que fort tard, Quinault proposa au Gentilhomme de le mener à la Comédie, en attendant. A peine furent-ils sur le théatre, que tout ce qu'il y avoit de gens de la plus haute qualité vint embrasser Quinault, & le féliciter sur la beauté de sa Piece (c'étoit l'Amant indiscret) qu'ils venoient de voir représenter, disoient-ils, pour la troisieme ou quatrieme fois. Le Gentilhomme, étonné de ce qu'il entendoit, le fut encore davantage quand on joua la Comédie, qui fut également applaudie par les Loges & par Parterre. Quelque grande que fût sa surprise, elle fut encore toute autre, lorsqu'étant chez son Rapporteur, il entendit Quinault lui expliquer son affaire avec une netteté incroyable, & avec des raisons si solides, qu'il ne douta plus du gain de sa cause.

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J'ai vu Quinault, Clerc d'un Avocat au Conseil, dit Ménage. « Lorsqu'il fit ses premières Pieces, elles étoient si goûtées & si applaudies, que l'on entendoit le brouhaha à deux rues de l'Hôtel de Bourgogne. » Un Marchand, qui aimoit la Comédie, conçut tant d'estime pour lui, qu'il l'obligea de prendre un appartement dans sa maison. Ce Marchand quelque tems après, vint à mourir : Quinault fit les affaires de la famille, & épousa ensuite la veuve de son ami, de laquelle il a eu plus de quarante mille écus.

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Quinault, se voyant riche, voulut occuper une charge, & il en acheta une d'Auditeur des Comptes. Lorsqu'il croyoit s'en mettre en possession, on fit quelques difficultés de le recevoir. Messieurs de la Chambre disoient qu'il n'étoit pas de l'honneur d'une Compagnie aussi grave que la leur, de recevoir dans leur Corps un homme qui avoit fait des Tragédies & des Comédies : cet incident fut cause qu'un anonyme fit les vers suivans :

Quinault, le plus grand des Auteurs,

Dans votre Corps, Messieurs, a dessein de paroître.

Puisqu'il a fait tant d'Auditeurs,

Pourquoi l'empêchez-vous de l'être ?

Cette opposition ne dura pas long-tems, & Quinault fut reçu.

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Selon le jugement de M. Remond de Saint-Mard, jamais Quinault ne s'est mépris, jamais il n'a mis un sentiment à la place d'un autre : bien plus, le sentiment n'a jamais parlé un langage qui fût si vrai, qui fût si bien à lui ; & c'est ce qui lui fait le plus d'honneur, parce que le langage du sentiment est peut-être plus difficile à attraper que le sentiment même.

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Il est certain que Quinault a poussé trop loin, dans ses Prologues, les louanges qu'il donnoit au Roi. Après la bataille d'Hoschstet, un Prince Allemand dit malignement à un prisonnier François : Monsieur, fait-on maintenant des Prologues d'Opéra en France ?

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Despréaux étant à la salle de l'Opéra de Versailles, dit en plaisantant à l'Officier qui plaçoit : « Mettez-moi dans un endroit où je n'entende pas les paroles. J'estime fort la musique de Lully; mais je méprise souverainement les vers de Quinault. »

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Quinault rechercha l'amitié de Despréaux & l'alloit ensuite voir souvent ; mais ce n'étoit que pour avoir occasion de lui faire voir ses ouvrages. Il n'a voulu se raccommoder avec moi, disoit Despréaux, que pour me parler de ses vers; & il ne me parle jamais des miens.

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Quinault, s'appercevant qu'une de ses Tragédies étoit mal reçue, dit à un Courtisan que la scene étoit à Cappadoce, qu'il falloit se transporter dans ce pays-là, & entrer dans le génie de la Nation. Vous avez raison, répondit le Courtisan ; franchement je crois qu'elle n'est bonne qu'à être jouée sur les lieux.

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Quinault, quoique très à son aise, s'est plaint de la médiocrité de sa fortune dans ces jolis vers; mais c'est une plainte de Poëte :

C'est, avec peu de bien, un terrible devoir,

De se sentir pressé d'être cinq fois beau-pere.

Quoi ! cinq actes devant Notaire,

Pour cinq filles qu'il faut pourvoir !

O ciel, peut-on jamais avoir

Opéra plus facheux à faire ?

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Quinault composa pour lui-même cette épitaphe, remarquable par sa simplicité :

Passant, arrête ici, pour prier un moment :

C'est ce que des vivans les morts peuvent attendre.

Quand tu seras au monument,

On aura soin de te le rendre.

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Le reproche de mollesse fait à la versification de Quinault peut s'excuser en faveur des traits forts, naturels, harmonieux & sublimes dont ses Opéra sont parsemés; nous citerons pour exemple celui de Médée :

Sortez, ombres, sortez de la nuit éternelle,

Voyez le jour pour le troubler;

Que l'affreux désespoir, que la rage cruelle,

Prennent soin de vous rassembler.

Avançez, malheureux coupables

Soyez aujourd'hui déchaînés;

Goûtez l'unique bien des cœurs infortunés;

Ne soyez pas seuls misérables.

Ma rivale m'expose à des maux effroyables;

Qu'elle ait part aux tourmens qui vous sont destinés :

Non, les enfers impitoyables

Ne pourront inventer des horreurs comparables

Aux tourmens qu'elle m'a donnés.

Goûtons l'unique bien des cœurs infortunés;

Ne soyons pas seuls misérables.

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« Quinault étoit fort jeune, & mọi aussi, dit "Boileau, lorsque j'écrivois contre lui ; il » n'avoit pas fait alors beaucoup d'ouvrages, qui lui ont acquis dans la suite une juste réputation. » Préface des Œuvres de Boileau, édit. de 1687 & 1694.

Sur la fin de sa vie, Quinault se repentit d'avoir fait des Opéra ; &, pour expiation, fit un Poëme sur l'extinction de la Religion réformée dans le Royaume, qui commence ainsi :

Je n'ai que trop chanté les jeux & les amours :

Sur un ton plus sublime il faut me faire entendre.

Je vous dis adieu, Muse tendre;

Je vous dis adieu pour toujours, &c.