Furetière

   Furetière (1619-1688) était l'ennemi non seulement de Quinault, mais d'une grande partie des membres de l'Académie Française. Il loue des Académiciens comme Pellisson, Huet, Racine, Boileau, et surtout Colbert, mais s'acharne contre la "partie basse" de l'Académie, qui travaillait sur le dictionnaire : Tallemant, Boyer, Le Clerc, Quinault et plusieurs autres. Furetière publiérait son propre dictionnaire en 1690.

    Il publia ses Factums en 1688, après avoir été exclu de l'Académie en 1685.

« Le sieur Quinaut a quelque merite personnel ; c'est la meilleure pâte d'homme que Dieu ait jamais faite (2).  Il oublie genereusement les outrages qu'il a souffert [sic] de ses ennemis, et il ne lui en reste aucun levain sur le cœur ; il ne s'ensuit pas pour cela qu'il ait grande autorité dans la litterature. Il a eu quatre ou cinq cents mots de la Langue pour son partage, qu'il blutte, qu'ils [sic] ressasse, et qu'il paîtrit du mieux qu'il peut. Il en fait des Opera qui sont fort agréables quand ils sont mis en Musique ; de même que le droguet est éclatant quand il est couvert de broderie.  Il a l'industrie de les diversifier et de les renouveller, comme ceux qui vont à la Monnoie et chez les Orfevres pour changer leur argent et leur vaisselle.  Mais pour conserver sa reputation, il ne faut pas qu'il sorte de sa sphere : car lors qu'il veut parler des cataractes du Nil, et qu'il soutient que ce sont ses embouchures (ainsi qu'il l'a imprimé dans son Opera d'Isis), il se fait une affaire avec le jeune Abbé Tallemant, qui soutient que ce nom appartient aux sources de ce fleuve, et ils disputent longtemps sans se douter que ce sont les sauts et les cascades qu'il fait dans sa course. Que Mr Quinaut ne croye pas que je lui reproche cela en haine de la grande querelle que j'eus avec lui à l'Académie sur le mot contract ; lorsque je soutenois avec tous les Jurisconsultes, que c'étoit un Acte qui portoit une obligation reciproque, et qui naissoit du consentement de deux ou de plusieurs parties, tandis qu'il soutenoit, au contraire, qu'il n'y avoit point de contract qui ne fût en parchemin et qui ne fût fait pour un mariage, ou pour une constitution de rente. Je lui ai pardonné les emportemens qu'il eut là dessus contre moi, et depuis j'ai vêcu avec lui avec tant de discretion, que je ne l'ai point combattu quand il a dit que la cire n'étoit pas une matière combustible, et qu'espalmer une Galère était l'orner de palmes.  Je me suis contenté d'en rire, sous cape ».

NOTE, p. 173

(2) Allusion à la profession du père de Quinaut qui était boulanger. On remarquera plus loin les mots de levain, blutte, pétrit, etc.

Factum II, dans Factums, éd. Asselineau I, p. 173-174

   

« Mr Doujat a été haranguer Mr le Duc de Richelieu à la tête de six Deputés, pour le remercier d’avoir donné à l’Academie un petit Portrait de Mr le Cardinal, son oncle. Mr Quinault l’a aussi harangúe, avec la même ceremonie, sur la mort de Madame sa femme. (Note de Furetière.) »

Factum II, dans Factums, éd. Asselineau I, 194, n. 2

« Il n’y a eu personne exempt de grosses paroles, sur tout quand il a été directeur ; et j’admirai un jour la patience de Mr Quinault en cette place, qui souffrit en bon chrétien l’insulte que lui fit Mr Charpentier, en lui disant qu’on devoit s’étonner qu’avec si peu de merite et une si basse naissance il eût fait une si grande fortune. »

Factum II, dans Factums, éd. Asselineau I, p. 196

« Ainsi quand il [Colbert] s’est rapporté à un commis du choix des persnnes qu’il vouloit retrancher de l’Academie pour en faire une favorite destinée à travailler aux Devises et Inscriptions, son attente a été bien trompée lors que le sieur Perrault ne lui a presenté que ce qu’il y avoit de plus foible dans la littérature : un Cassagne, un Charpentier, un jeune Tallemant et un Quinaut, tous ses amis et ses semblables. »

    Factum II, dans Factums, éd. Asselineau I, p. 213-214

« On ne devra pas trouver étrange qu’après avoir dépeint la vertu et l’habileté de tant de personnes celebres, je donne dans la même histoire un train de pinceau à leurs antipodes ; que j’oppose à la profonde doctrine de Mr Huet l’incapacité d’une demi-douzaine d’ignorans outrés, comme celle de Quinaut, de La Fontaine, des deux Tallemant, de Regnier et de Benserade, afin de faire voir combien il y a d’étages et de degrés dans la littérature, et le vaste espace qui est entre les esprits rampans et sublimes […]. »

Factum II, dans Factums, éd. Asselineau I, p. 215

Si j'ai dit quelque chose qui deplaise à Monsieur Quinaut, on en doit faire compensation avec les éloges que j'ai donnés à son honnêteté et au succés de ses Opera ; s'il y a quelque difficulté sur le partage de la gloire qui lui en revient, c'est un different qu'il doit vuider avec Monsieur de Lully, et je laisse à discuter au public si le droguet de l'un vaut mieux que la broderie de l'autre. Je l'excuse de n'avoir pas connu les cataractes du Nil, puis qu'il n'a jamais lû, ni voyagé : ce mot n'est pas un des cinq cents de son partage, et il s'est intrus malheureusement dans un Opera qui s'en pouvoit bien passer. Mais ce qui lui tient au cœur, à ce que j'ai déja appris, c'est que quelques envieux ont pris occasion de certains termes ambigus que j'ai employés, de croire qu'il étoit fils d'un boulanger. J'avoue qu'un reproche d'illegitime est une injure, mais je soûtiens que celui d'une obscure naissance ne l'est point, sur tout quand on s'est élevé au dessus d'elle. Agatocle, roi de Sicile, faisoit vanité d'être fils de potier, et de peur de l'oublier, il se faisoit servir dans de la vaisselle de terre. Je ne crois pas que Monsieur Quinaut, pour effacer la qualité de sa naissance, veuille bannir le pain de la table. Je n'aurois pas eu garde d'omettre, si je l'eusse sçu alors, la modification dont il se servit quand il fut reçû à sa charge d'Auditeur des Comptes ; car ainsi que m'a assuré Monsieur ***, il disoit aux Juges qu'il sollicitoit, quand ils lui faisoient cette difficulté, que de vrai il étoit fils d'un boulanger, mais que c'étoit un boulanger de petit pain. Voilà une difference notable qui change l'espece, puisqu'il y a eu des boulangers de petit pain qui sont devenus illustres ; témoin ce Jean Pain-Molet qui a donné son nom à une des rues de Paris, et qui a eu cela de commun avec Mr de Guenegaud, et Mrs les Cardinaux Mazarin et de Richelieu. S'il me vouloit croire il encheriroit sur Agatocle, et imiteroit le Cardinal Baronius, qui selon le témoignage de Scaliger, faisoit manger tous ses valets à sa table, à cause qu'il avoit été lui-même valet. Car ce n'est pas un petit honneur pour Monsieur Quinaut d'avoir servi l'illustre Monsieur Tristan (1), chez qui il a fait son apprentissage de poete. Cela lui attira un jour la cajolerie d'un grand Prince (2), qui à la fin d'une de ses comedies l'en félicita, par la comparaison qu'il fit de son maître, et de lui, à Elie et à Elisée. Il sembloit, disoit-il, que comme Elie étant élevé aux cieux avoit laissé le don de prophétie à Elisée son disciple en lui donnant son manteau, que Tristan à sa mort avoit transmis à Quinaut son génie poétique. Le sieur Bourdelot, qui étoit present, trouva seulement que la comparaison clochoit en ce point que Tristan n'avoit point de manteau ; ce qui donna lieu à cette Epigramme, âgée de quarante ans, qu'on fit alors pour conserver la mémoire de ce parallele:

Elie, ainsi qu'il est écrit,

De son manteau comme de son esprit

Doua son serviteur fidèle:

Tristan eût suivi ce modèle ;

Mais Tristan qu'on mit au tombeau

Plus pauvre que n'est un prophete

En laissant à Quinaut son esprit de poëte

Ne luy put laisser un manteau (1).

Cet Elève a eu bien de l'avantage par dessus son Maître, car si d'un côté il n'a pas sçû faire des vers aussi bien que lui, de l'autre il a sçu mieux faire sa fortune. Ses manières doucereuses lui ont procuré de beaux etablissemens et de belles charges. J'ai eu tort de lui reprocher qu'il ne connoît point d'autre contrat que ceux de mariage et de constitution de rente, puis qu'il a été assez heureux pour n'en point faire d'une autre nature ; et le Sieur Charpantier a eu tort pareillement de lui reprocher, en sa place de Directeur, qu'on s'étonnoit qu'avec si peu de mérite, et une si basse naissance, il eût fait une si grande fortune ; parce que cela tourne plutôt à sa gloire qu'à sa honte. S'il eût eu l'esprit prompt et vindicatif, il lui pouvoit repliquer hardiment, qu'en faisant comparaison de leur merite à peine auroit-il été digne d'être son mitron, et qu'à l'égard de sa naissance, leurs familles pourroient bien s'unir sans se mésallier, à cause de l'ancienne alliance qu'il y a entre le pain et le vin. La meilleure reparation que je leur puisse faire est de leur envoyer un Genealogiste, qui les fera descendre de quelque maison illustre, telle qu'ils voudront choisir, et selon l'argent qu'ils y voudront mettre.

NOTES, p. 294

(1) Tristan l'Hermite, de l'Académie Française, mort en 1655.

(2) Le Duc de Guise, petit-fils de Balafré. Voyez Tallemant. Historiettes Tome V, édition Paulin, Paris.

NOTE, p. 295

(1) L'anecdote est semblablement racontée par Tallemant et par Ménage ; je la retrouve dans la Correspondance de Boileau et de Brossette, publiée récemment par M. Laverdet. (Paris, Techener, 1858, in-8°. ) « Sur ce vers :

Passe l'été sans linge et l'hiver sans manteau (Satire lre)

M. Despréaux, dit Brossette, m'a conseillé de mettre en prose le bon mot qui fut dit au sujet de Tristan et de Quinault par M. Bourdelot. Après la mort de Tristan quelqu'un dit qu'il avoit fait à Quinault comme Elie fit à Elisée. » Appendice, p 538.

Factum III, dans Factums, éd. Asselineau I, 293-295

Monsieur Quinaut a composé dez le commencement sans avoir lu. On lui demandoit un jour s’il avoit lu Natalis Comes sur la Mithologie, parceque celà pourroit lui etre utile pour ses Opera. Il repondit que non, mais qu’il avoit lu Noel le Comte ; ce qui fait voir son peu de lecture et de science

Furetierana, Bruxelles, Foppens, 1696, p. 94

Ces Vers furent faits en meme tems que ceux que l’on fit de la meme manière contre Monsieur Quinault, lors qu’il se loua à Lully pour faire des Opera.

Furetierana, Bruxelles, Foppens, 1696, p. 211

    Furetière vient de citer : « Que Cesar autrefois ait subjugé la France, / Par sa sage conduite & sa rare vaillance, / Je le croy bien : / Mais qu'il eût entrepris d'en faire la Conquête / S'il avoit eu Loüis en tête, / Je n'en croit [sic] rien. ». Ces vers sont probablement de François Régnier-Desmarais (1632-1713, secrétaire perpétuel de l'Académie Française). Dans le Recueil de vers choisis de Bouhours (1696), c'est une des neuf strophes du Caprice de Régnier « Sur ce qu'on doit croire, & ce qu'on ne doit pas croire ».

   Les même vers sont attribués à Charleval (Jean-Louis Faucon de Ris, seigneur de, 1612-1693) par La Borde dans son Essai sur la musique ancienne et moderne, t. IV, p. 76.

   On trouve une autre strophe dans les Menagiana, où on suggère que Quinault doit une partie de son succès aux conseils de Mlle Serment.

   Je n'ai pas encore trouvé le poème contre Quinault dont parle Furetière, à moins qu'il ne s'agisse de la strophe citée dans les Menagiana.