Eugène Gérusez
Les rigueurs de Boileau contre Quinault, rigueurs que le dix-huitième siècle lui a si durement reprochées, tiennent encore, comme les chicanes contre Corneille, à une répugnance de goût en sens contraire, mais également invincible, et à ses préférences d'ami. Si les excès de la force lui déplaisaient, il n'avait pas moins d'aversion pour la mollesse. Les héros langoureux et doucereux des premières tragédies de Quinault et la morale lubrique de ses opéras offensaient son âme chaste et sévère ; il ne comprenait pas que le théâtre sérieux, qui pouvait tant pour la force des caractères par des tableaux héroïques, et pour l'expérience par la vérité des passions, devînt une école de faiblesse et une amorce de volupté. En outre, ces tragédies qui excitaient la bile de Boileau dans ses premières satires, qui inquiétaient la vieillesse chagrine de Corneille par la vogue qui les accueillait, tenaient en échec la gloire naissante de Racine; on applaudissait l'Astrate plus vivement que l'Alexandre, et même après le triomphe d'Andromaque Quinault disputait encore la prééminence. Tels étaient les griefs de Boileau. Le mérite réel des grands opéras qui suivirent, Armide, Atys et tant d'autres, modifièrent peu son opinion sur le poëte : il se contenta de ménager l'homme qui était digne d'estime, et dont les œuvres charmaient la cour. [...] Malgré Boileau, Quinault conserve un rang élevé immédiatement au-dessous des hommes de génie ; il a ému les cœurs qu'il amollissait, il a enchanté l'imagination qu'il éblouissait, il a caressé les oreilles délicates par des vers qui ont la mélodie de la musique et qui pourraient se passer de sens, tant ils ont d'harmonie ; mais l'effort de Voltaire pour élever Quinault à la hauteur des maîtres n'a pas mieux réussi : c'est un caprice de mondain, un accès de cette fièvre d'enivrement que donnait toujours à Voltaire le souvenir des fêtes galantes et littéraires des premières années de Louis XIV.
Histoire de la littérature française du moyen âge aux temps modernes, Paris, Delalain, 1852.
Dixième édition, Paris, Didot, 1874, t. II, p. 234-235
Un texte remarquable, qui présente de façon succincte le succès de Quinault auprès du public, les reproches de ses rivaux et l'admiration de Voltaire.