Texte de Pierre Louis Moreau de Maupertuis

Pierre Louis Moreau de Maupertuis est un mathématicien, philosophe, astronome, physicien et naturaliste français. Il est né à Saint Malo le 17 Juillet 1698 et il est mort à Bâle le 27 Juillet 1759.

Officier, géomètre , astronome il fut reçu à l'académie des sciences en 1723 à l'âge de 25 ans. Il fut nommé président de l'académie de Berlin en 1740. En 1741 , il fut prisonnier de guerre en Allemagne.

Il remplaça l'abbé de Saint-Pierre à l'Académie française le 8 juin 1743 et fut reçu le 27 juin 1743 par Moncrif.

Voici ses écrits les plus importants :

  • Discours sur la figure des astres (Paris, 1732).
  • La Figure de la Terre, déterminée par les Observations de Messieurs Maupertuis, Clairaut, Camus, Le Monnier & de M. l’Abbé Outhier, accompagnés de M. Celsius. (Paris, 1738).
  • Réflexions philosophiques sur l'origine des langues et la signification des mots, (1740.
  • Discours sur la parallaxe de la Lune, pour perfectionner la Théorie de la Lune et celle de la Terre. (Paris, 1741).
  • Éléments de la géographie (Paris, 1742). Méthode et résultats démontrant la sphéricité et aplatissement du globe aux pôles, rejoignant les théories de Newton.
  • Lettre sur la comète de 1742 (Paris, 1742).
  • Astronomie nautique ou élémens d’Astronomie, tant pour un observatoire fixe, que pour un observatoire mobile. (Paris, 1743, 1745 et 1746).
  • Ouvrages divers… Elemens de Géographie. Discours sur les différentes figures des Corps Célestes. Discours sur le Parallaxe de la Lune et Lettre sur la Comète (Amsterdam, 1744).
  • Vénus physique (Paris, 1745).
  • Essai de Philosophie morale. (Berlin, 1749. Leyde, 1751 ; réédité par Jean-Max Liandier, L'Harmattan, Paris, 2010). Il est, avec celui intitulé Essai de Cosmologie, le principal texte philosophique de Maupertuis.
  • Essai de Cosmologie (Amsterdam, 1750. Leyde, 1751).
  • Dissertatio inauguralis metaphysica, de universali naturæ systemate, pro gradu doctoris habita (Erlangen, 1751). Publiée sous le faux nom de « Doctor Baumann ».
  • Essai sur la formation de corps organisés (Paris - Berlin, 1754). Traduction de la Dissertatio, aussi publiée dans les œuvres complètes sous le titre Système de la nature.
  • Les Œuvres de Mr. de Maupertuis, (Dresde, 1752), 1 vol. in-4°. (édition incomplète).
  • Œuvres de Maupertuis, (Lyon, 1756), 4 voll. in-8°.
  • Œuvres de Maupertuis, (Lyon, 1768), 2e ed., 4 voll. in-8°.

Tuer les animaux de sang froid, sans aucune nécessité,

& par une espece de plaisir, cela est-il permis?

Après ce que je viens de dire des bêtes, on ne me demandera pas, je pense, si je crois qu'il soit permis de les tourmenter : mais on s'étonnera peut-être de voir tant de gens les tourmenter sans nécessité & sans scrupule.

Dans l'Asie l'on trouve dès hôpitaux fondés pour elles. Des nations entieres ne vivent que de fruits, pour ne pas tuer d'animaux : on n'ose, marcher sans prendre les plus grandes précautions, de crainte d'écraser le moindre insecte. Dans notre Europe on ne voit que meurtres ; les enfans s'exercent à tuer des mouches ; dans un âge plus avancé l'on creve un cheval pour mettre un cerf aux abois.

Les hommes peuvent tuer les animaux, puisque Dieu leur a permis expressément de s'en nourrir : mais cette permission même prouve que dans l'état naturel ils ne le devroient pas faire ; & la même révélation dans plusieurs autres endroits impose certains devoirs envers les bêtes, qui font voir que Dieu ne les a pas abandonnées au caprice & à la cruauté des hommes. Je ne parle pas ici des animaux nuisibles : le droit que nous avons sur eux n'est pas douteux, nous pouvons les traiter comme des assassins & des voleurs. Mais tuer les animaux de sang froid , sans aucune nécessité, & par une espece de plaisir, cela est-il permis ?

Des Auteurs célebres , qui ont écrit de gros commentaires sur le droit naturel & sur la morale, ont traité cette question : c'est une chose plaisante de voir comment ils l'ont envisagée ; & l'adresse avec laquelle il semble qu'ils ayent évité tout ce qu'il y avoit de raisonnable à dire.

Les Pythagoriciens & quelques Philosophes de l'antiquité, qui paroissent avoir mieux raisonné sur cette matiere, ne semblent cependant s'être fait un scrupule de tuer les bêtes qu'à cause de l'opinion où ils étoient sur la métempsycose : l'ame de leur pere ou de leur fils se trouvoit peut-être actuellement dans le corps de la bête qu'ils auroient égorgée. Seneque, cet homme si raisonnable & si subtil , nous apprend qu'il avoit été longtemps attaché à cette opinion , sans vouloir se nourrir de la chair des animaux. Il ajoute sur cela un dilemme singulier, qu'un grand homme de nos jours a transporté à une matiere beaucoup plus importante. Dans le doute, dit-il , où l'on est, le plus sûr est toujours de s'abstenir de cette nourriture : si la métempsycose a lieu, c'est devoir ; si elle ne l'a pas, c'est sobriété.

Mais il me semble qu'on a une raison plus décisive pour ne point croire permis de tuer ou de tourmenter les bêtes : il suffit de croire , comme on ne peut guere s'en empêcher, qu'elles sont capables de sentiment. Faut-il qu'une ame soit précisément celle de tel ou tel homme , ou celle d'un homme en général , pour qu'il ne failles pas l'affliger d'un sentiment douloureux ? Ceux qui raisonneroient de la sorte ne pourroient-ils pas par degrés aller jusqu'à tuer ou tourmenter sans scrupule tout ce qui ne seroit pas de leurs parens ou de leurs amis ?

Si les bêtes étoient de pures machines, les tuer seroit un acte moralement indifférent, mais ridicule : ce seroit briser une montre.

Si elles ont , je ne dis pas une ame fort raisonnable, capable d'un grand nombre d'idées, mais le moindre sentiment ; leur causer sans nécessité de la douleur, est une cruauté & une injustice. C'est peut-être l'exemple le plus fort de ce que peuvent sur nous l'habitude & la coutume, que, dans la plupart des hommes elles ayent sur cela étouffé tout remords.

Lettre VI, "Du droit sur les bêtes",

Oeuvres de Mr de Maupertuis

Lyon, 1756, Tome II