Du Tchadanthropus uxoris à Sahelanthropus tchadensis
fossiles 'orphelins' et faits étonnants

Alain Beauvilain, CNAR, N'Djaména, 1996.   Alain Beauvilain, CNAR, N'Djaména, 1999.

Tchadanthropus uxoris (la partie os fossile est celle colorée en orange ; photographie d'une copie).

Ce fossile, mis au jour en 1961, a été nommé en 1965 Tchadanthropus uxoris par Yves Coppens 'l'homme du Tchad de l'épouse' car il a été découvert en 1961 par Salé, cuisinier de la Direction des Mines et de la Géologie, qui l'a offert à son épouse Françoise comme étant un caillou 'qui ressemble à un type'. Ce fossile bien mal fossilisé (l'os fossilisé est de couleur orangée, le reste n'est que de la gangue), présenté comme ayant un million d'années, puis 300.000 ans, aurait bien moins de 100.000 ans, selon des fossiles mis au jour au même lieu par notre mission de janvier 2000 et présentant sa même texture très particulière et de part sa position topographique de mise au jour, 'le niveau sableux supérieur de la falaise d'Angamma' (L'Hominien du Tchad, Comptes-rendus de l'Académie des Sciences de Paris, 8 mars 1965, p. 2869 à 2871).

Yves Coppens, 1966, Le Tchadanthropus. L'Anthropologie (Paris) Tome 70, n° 1-2,
de face page 9 ; de profil page 11. 

Yves Coppens, 1982, Titres et travaux d'Yves Coppens. Page 11. Alençon, Imprimerie Alençonnaise, 52 pages.
La partie os fossile est blanche.

Michel Brunet le décrira ainsi 'un fossile un peu difficile dans la mesure où il y a plus de gangue que d'os, pas facile à étudier, mal daté parce que, avec la faune accompagnante, on ne sait pas trop l'âge qu'il a. Il n'est pas très gros et Yves est persuadé qu'il a trouvé un Australopithecus. Alors, si on reprend les cartes et les publications de l'époque, on voit que Yves écrit : "C'est le premier australopithèque à l'ouest de la Rift valley". Et puis ça se passe mal parce que, cet australopithèque, il apparait de plus en plus que ce n'est pas un australopithèque, c'est plutôt un Homo plus récent'.

Maxillaire d'un grand bovidé mis au jour dans le tiers supérieur de la falaise de l'Angamma
(photographie Alain Beauvilain, droits réservés).

Ce fossile présente un maxillaire de bovidé aux dents relativement bien conservées. Il s'agit d'un grand bovidé vivant entre environ 10.000 et 100.000 ans. Des fragments des cornes, très grosses, sont visibles. Elles s'apparentent à celles des actuels bœufs 'kouri' du lac Tchad. Dans tout le Borkou, ce type de fossilisation, où la matière osseuse est associée à une grossière concrétion gréseuse, ne se rencontre que dans un tout petit secteur de la falaise de l'Angamma au nord de la petite palmeraie de Yayo (environ à la base du tiers supérieur de cette falaise). Cette fossilisation est comparable à celle du 'Tchadanthropus uxoris'. Il permet à son tour de confirmer l'âge récent du Tchadanthropus après que Michel Servant ait daté au carbone 14 la base de la falaise à moins de 10.000 ans et ait déclaré dans sa thèse que : 'La présence d’un Hominien archaïque dans des dépôts qui n’ont pas plus de 10.000 ans pose un problème particulier. Problème qui est d’autant plus important que ce fossile est associé à un Eléphant dont l’ancienneté est maintenant abandonnée', serait 'une forme archaïque de l'actuel Loxodonta africana'

Cette découverte survenue peu après l'accession du Tchad à l'indépendance est entrée dans l'Histoire du Tchad. Pourtant très rapidement la réalité scientifique a été connue : Séquences continentales et variations climatiques : évolution du bassin du Tchad au Cénozoïque supérieur. Michel Servant, thèse de doctorat ès Sciences (soutenue en 1973), Travaux et documents de l’ORSTOM, n° 159, 1983, Bondy, 573 pages.

p. 351 :
LA FALAISE D’ANGAMMA
La falaise d'Angamma, dont le sommet se situe à 330 m d'altitude, coïncide avec une anomalie géophysique qui évoque l'existence en profondeur d'un accident cassant et la présence probable d'intrusions volcaniques (LOUIS, 1969). Des cinérites et des tufs volcaniques ont d'ailleurs été observés au pied de la falaise dans les grès tertiaires.
    La couverture quaternaire comprend en particulier une formation sableuse ou limoneuse de 30 à 40 m de puissance qui fut successivement datée du Tertiaire (Wacrenier et al., 1957)) du Villafranchien (Coppens, 1961) et enfin du Quaternaire récent (Servant et al., 1969). Cette formation a livré, entre autres fossiles, un fragment crânio-facial, attribué à un Hominien : Tchadanthropus uxoris (Coppens, 1965) ; nous y avons découvert en 1968 (1), au Sud Est de la falaise, un élément de calotte crânienne humaine.  
(1) Cette calotte crânienne a été confiée pour étude à Mr Y. Coppens en 1969. Elle est actuellement conservée au Laboratoire de Paléontologie des Vertébrés de l'Université Pierre et Marie Curie (Paris).

Page 462 :
Les grands Mammifères.
Ils ont fait l'objet de plusieurs publications de Coppens. L'Hippopotame de l'Angamma se révèle plus petit que la forme actuelle. L'Éléphant, d'abord attribué à l'espèce Loxodonta africanavus du Villafranchien (Coppens, 1961) fut ensuite rapproché sans lui être assimilé complètement à L. atlantica du Quaternaire moyen (Coppens, 1965) et enfin considéré comme une forme archaïque de l'actuel L. africana (M. Servant et al., 1969).

Page 463-464 :   
  Enfin aux fossiles précédents s'ajoute Tchadanthropus uxoris signalé plus haut et découvert au Nord-Est de l'Angamma (Yayo) .

5°) L'âge de la formation d'Angamma.

  Les études de P. Ergenzinger ont montré que cette formation pouvait être l'équivalent latéral vers l'aval de la terrasse moyenne limoneuse des oueds du Tibesti, terrasse qui a été datée récemment de la fin du Pléistocène et de 1'Holocène ancien (JakelL et Schulz, 1972 ;  Jakel, 1969). Par ailleurs, nous avons remarqué que les diatomites des Pays-Bas datées à la base de 9.500 ans B.P. environ, deviennent de plus en plus détritiques au fur et à mesure que l'on se rapproche de la falaise jusqu'à devenir identiques aux limons à diatomées qui constituent la partie inférieure de la série d'Angamma, de telle sorte que le passage latéral des faciès biochimiques aux dépôts deltaïques doit être envisagé.    
    Les datations par le 14C apportent un argument décisif en faveur de ce passage latéral. La base de la formation d'Angamma se révèle en effet contemporaine de la transgression lacustre attribuée dans les Pays-Bas à l'Holocène ancien : elle a fourni deux âges radiométriques concordants de 9260 +/- 140 ans B.P. et de 10.160 +/- 160 ans B.P. ; le premier ayant été obtenu sur des coquilles non recristallisées de Valvulata et de Pisidium (K.10), le second sur le calcaire limoneux à Ostracodes qui souligne le mur de la série deltaïque (K.77) ; les échantillons ont été prélevés à 30 km à l'Est de Kichi-Kichi. Par ailleurs, un nodule calcaréo-gréseux à débris végétaux situé à la base du tiers supérieur de la formation d’Angamma, a été daté de 6050 +/- 150 ans B.P., mais ce résultat demeure d’interprétation plus délicate dans la mesure où l’on ne connaît pas les conditions de cristallisation du ciment calcitique et il ne donne au mieux que l'âge limite supérieur des dépôts où le nodule s'est individualisé.

  Les données paléontologiques n'apportent aucune indication chronologique précise, si ce n'est que l'attribution de la formation d'Angamma au Tertiaire et au Quaternaire ancien doit être définitivement abandonnée. Les caractères archaïques de l’ Éléphant ne s'opposent pas formellement et dans l'état actuel des recherches à un âge Holocène ancien. Les quelques structures ligneuses qui, d'après J.C. Kœniguer, pourraient dater du Continental Terminal, peuvent être remaniées si elles proviennent de la formation d'Angamma. Reste évidemment que la présence d'un Hominien archaïque dans des dépôts qui n'ont pas plus de 10.000 ans pose un problème particulier. Problème qui est d'autant plus important que ce fossile est associé à un Éléphant dont l'ancienneté est maintenant abandonnée.

Pour conclure, la présentation en 2014 par le laboratoire TRACES de l'université Toulouse Jean-Jaurès d'un projet de recherches est plus précise 'les gisements de la région de Yayo, connus suite à la découverte d’un crâne humain extrêmement altéré ; identifié initialement, sans doute dans un excès d’enthousiasme, comme un australopithèque puis décrit sous le nom de Tchadanthropus uxoris (Coppens 1961, 1966), il semblerait s’agir d’un fossile d’humain anatomiquement moderne sculpté par l’érosion' (Archéologie des régions lacustres du Tchad).  

Australopithecus barhelghazali ('Abel'), mis au jour à KT 12 par Mamelbaye Tomalta le 23 janvier 1995 (montage de photographies de l'original prises le 26 janvier 1995 par Alain Beauvilain), est daté à environ 3,5 millions d'années. (pour en savoir plus). (photographies Alain Beauvilain, droits réservés).

Mandibule de Kolpochoerus afarensis ('cochon') mise au jour à KT12 le 22 janvier 1995
(photographie Alain Beauvilain, droits réservés).

Molaire de Kolpochoerus afarensis mise au jour à KT1 en janvier 1994 (KT1 et KT12 sont distants de quelques centaines de mètres) (photographie Alain Beauvilain, droits réservés).

Sahelanthropus tchadensis, la tête de Toumaï

Le 19 juillet 2001, pratiquement à la verticale du maxillaire du crâne baptisé Toumaï, se trouvait une symphyse mandibulaire. Ce n'est donc pas un crâne que nous avons trouvé mais une tête. Cette symphyse est un fossile 'orphelin' (photographie Alain Beauvilain, droits réservés).

Maxillaire d'un Anancus découvert en surface à 107 mètres de la tête de Toumaï
(photographie Alain Beauvilain, droits réservés).

Ce maxillaire d'Anancus est le seul fossile en place ('in situ') découvert le 19 juillet 2001 sur le site de TM 266. Ce fossile, situé légèrement plus bas et à une centaine de mètres au sud de Toumaï, avec des fossiles d'anthracothères, nous a permis de comprendre immédiatement l'importance de cette découverte sur le plan de l'ancienneté de la tête découverte.

Le 'fémur de Toumaï', fémur d'hominidé découvert en surface le 19 juillet 2001 parmi les fossiles jouxtant la tête de Toumaï

Fossile orphelin jusqu'à son adoption le 10 septembre 2020 par le Laboratoire de l'université de Poitiers bien que sa photographie ait été publié dès 2009 par Alain Beauvilain (photographie Aude Bergeret).

Pour en savoir plus : - La Recherche : le fémur de Toumaï ;
- John Hawks : Did somebody bury the bones of Toumaï? (page supprimée depuis).
- Roberto Macchiarelli : 'Premiers hominines, premiers humains : des problèmes, plusieurs questions, des prospectives' lien supprimé mais le retrouver au milieu de celle-ci.

Demi maxillaire gauche d'un hominidé découvert en surface à KT 13 le 16 janvier 1996 par Mahamat Kasser. Dénommé Australopithecus bahrelghazali en décembre 2012 dans un article consacré au régime alimentaire de ces australopithèques (photographie Alain Beauvilain, droits réservés). (pour en savoir plus).

La mandibule de KT 40 découverte en surface le 18 juillet 2000 par Fanoné Gongdibé, fossile 'orphelin' toujours pas adopté = décrit ni simplement signalé en 2023 (photographie Alain Beauvilain, droits réservés). (pour en savoir plus).

Faits étonnants !

Michel Brunet au colloque du CEGET à Aix-en-Provence du 12 au 14 juin 2006  'Lucy 30 ans après'. Visiblement l'ensemble de la communication, retransmise en direct sur internet, n'était pas destinée à un public hors les murs. Copie écran.

Yves Coppens, couverture de 'Le présent du passé', 2009, 288 pages, Éditions Odile Jacob.

La légende de cette page de couverture se lit page 30 : 'Tchadanthropus uxoris, figuré en couverture de ce fascicule face à Toumaï...'. Étonnant puisqu'aucun de ces deux fossiles n'est présent sur la photographie. En effet, dans la main gauche se trouve Paranthropus boisei (KNM-WT 17400) et sur la table Paranthropus aethiopicus (dit le 'Black Skull) KNM-WT 17000).