Chronique de la 'redécouverte' du 'fémur de Toumaï' (Sahelanthropus tchadensis)

Le 19 juillet 2001, tôt le matin du dernier jour d’une mission dans la zone fossilifère dite de Toros Ménalla, une équipe de quatre hommes, trois Tchadiens (Mahamat Adoum, Ahounta Djimdoumalbaye, Fanoné Gongdibé) et un Français (Alain Beauvilain, qui dirigeait la mission) mettent au jour la tête complète (crâne plus mandibule) d’un hominidé qui, un an plus tard, sera l’holotype de Sahelanthropus tchadensis, alias Toumaï.

Ils sont fiers de cette découverte dont ils comprennent immédiatement l'importance étant donnée la présence de fossiles de mammifères anciens (Anancus et anthracothères) à proximité. Ces quatre hommes décident alors de consacrer la matinée à collecter les pièces déterminables les plus significatives parmi les milliers de fossiles répartis sur un périmètre de plusieurs hectares. Passant et repassant à distance de leur fièreté, dont ils ont disposé le crâne en position verticale afin qu'elle puisse les regarder travailler, ils sont convaincus d'avoir collecté l'un des plus vieux hominidés mis au jour et, qui plus est, une tête complète particulièrement bien conservée. Le catalogage et l’emballage de ces pièces est réalisé à l’ombre de l’un des véhicules en début d’après-midi. La fin de la journée est réservée à la collecte, au catalogage et à l’emballage de la totalité des fossiles se trouvant à proximité de la tête. Les conditions climatiques sont extrêmes, chaleur, humidité relative élevée, absence de vent (voir Alain Beauvilain, Toumaï l’aventure humaine, éditeur ‘La Table ronde’).

Le contexte précis de l'emplacement de la tête de l’hominidé leur pose beaucoup de questions tant les fossiles sont rassemblés et disposés de manière très particulière. Parmi les fossiles présents dans l’environnement immédiat de la tête, les os longs sont nombreux. Pour une fois, les os de ce type sont systématiquement collectés et catalogués tant les quatre hommes sont convaincus d’avoir aussi trouvé des os longs des membres de cet hominidé. Ils sont enthousiastes de laisser aux paléontologues l’opportunité de les analyser et la chance exceptionnelle d'avoir en un même emplacement la tête et des os de membres.

Alors que la tête est cataloguée TM266-01-60 (plus 1 pour le crâne et 2 pour la mandibule), les os suivants sont 61 ‘fémur distal’, 62 ‘os long’, 63 ‘os long’, 64 ‘fémur distal’, 65 ‘fragment humérus’, 66 ‘fragment fémur’, 67 ‘scapula’, 68 ‘scapula’, 69 ‘os long avec traces’,70 ‘os long’, 71 ‘tibia distal’,72 ‘tibia plusieurs morceaux’, … jusqu’à 141 (37 os qualifiés d’’os long’, 'fémur', 'tibia' ainsi que 8 astragales, 5 phalanges,3 calcanéums ainsi que des chevilles osseuses, des hémi-mandibules et un crâne de bovidés). Par leurs dimensions et leurs formes ces fossiles appartiennent donc à diverses espèces de mammifères mais il n'appartient pas à ces quatre hommes, dont aucun n'est paléontologue, de définir sur le terrain les espèces collectées lorsqu'il peut y avoir doute. C'est pourquoi, en raison de leur grande expérience du terrain, ils totalisent alors 70 missions, ils se contentent de porter la mention 'os long' tout en gardant un œil averti sur ce fossile de 25 centimètres de long.

Le fémur gauche de Sahelanthropus tchadensis (photographies Aude Bergeret).

C’est ce « 63 ‘os long’ » qui s’avérera en 2004 être un fémur d’hominidé dont nous allons décrire l’histoire de sa ‘redécouverte’. 

La présence d’un fémur d’hominidé, aussi près d’une tête d’hominidé, est fondamentale pour juger du mode de locomotion de celui-ci et donc de la priorité à donner à sa description. Tout retard dans celle-ci pose d’inévitables questions.

Fin juillet 2001, vu l'importance des fossiles ramenés à N'Djaména par l'équipe du Centre National d'Appui à la Recherche (CNAR), les plus hautes autorités tchadiennes demandent au Professeur Michel Brunet de venir lui-même chercher la tête et de choisir dans l'assemblage des fossiles ceux qu'il juge prioritaires pour l'étude afin de les exporter sous son entière responsabilité.

Parmi ces premiers fossiles exportés se trouve le fossile très dégradé d'un fragment de mandibule d'un hominidé (TM 247-01-02 : fragment de corps mandibulaire droit portant les racines P/3-M/3) qui sera publié comme appartenant également à Sahelanthropus tchadensis.

Dans la longue suite de fossiles collectés à proximité immédiate de la tête, seuls les fossiles 60 (1 et 2), 69, 89 (fémur proximal), 127 et 128 (chevilles osseuses), 129 (fragment crâne et massacre) , 131, 133, 134 et 136 (hémi-mandibules),140 (métapode distal) sont les premiers exportés fin août 2001 par le Professeur Brunet ainsi que 15 fossiles trouvés dans un périmètre plus large. Dans le choix qui est fait, les fossiles de Bovidae sont les plus nombreux, 15 sur 28 fossiles. D’autres os longs, dont l'étude de certains paraissaient pourtant prioritaires aux membres de l’équipe, ne seront exportés qu'ultérieurement, dont le '63'. 

Cette diaphyse d'os long, d'un aspect encore jamais trouvé dans le projet et le fossile le plus grand et le mieux conservé de ceux présents dans la 'tombe' de Toumaï, à l'exception du crâne lui-même, mais aussi le plus proche de la tête, ne fait pas partie des fossiles exportés en priorité malgré les incitations répétées de Fanoné Gongdibé et d'Alain Beauvilain pour qu'il le soit sans délai.

En effet, au vu de sa taille, cette diaphyse correspond à un mammifère de plusieurs dizaines de kilogrammes. Dans tous les cas, c'est donc un élément déterminant de l'analyse scientifique à venir car cet os post-crânien soit complète la tête de l'hominidé trouvée, soit il appartient à un animal inconnu de la faune au milieu de laquelle cet hominidé vivait.

Très surpris qu’aucun os long trouvé à proximité de la tête ne relève de l’appartenance au même individu que celle-ci, Alain Beauvilain s’en étonne dans le volume 100, septembre/octobre 2004 du South African Journal of Science : ‘Considérant l’excellent état de conservation du crâne de Toumaï, un examen approfondi de ces os pourrait apporter d’intéressantes informations car nous estimons probable que des fossiles post-crâniens d’un grand primate soient présents sur le site, quoique rien n’ait été rapporté jusqu’à présent à ce sujet’.

Il ne sait pas alors qu’un fémur d’hominidé a été révélé fortuitement en février 2004 au laboratoire de paléontologie de l'Université de Poitiers par une étudiante préparant un mémoire de Master 2eme année sur la taphonomie, Madame Aude Bergeret, assistée par enseignant - le paléoanthropologue Professeur Roberto Macchiarelli - tous deux extérieurs à l’équipe de la Mission Paléontologique franco-tchadienne, équipe alors présente au Tchad pour des prises de vue reconstituant la découverte de Toumaï (la découverte ayant été faite en juillet dans un contexte climatique qui n'a rien à voir avec celui de saison sèche et froide).

Il faudra attendre cinq années pour que peu à peu le fémur d’un hominidé trouvé à proximité immédiate de la tête de Toumaï apparaisse au grand jour au travers de deux mêmes articles, l'un en français, l'autre en anglais et sept années de plus pour que le Professeur Brunet en reconnaisse publiquement l’existence.

Chronique de cette ‘redécouverte’.

La Recherche n° 432 juillet 2009
PALEOANTHROPOLOGIE

« Le fémur de Toumaï

Huit ans après la découverte du crâne du plus vieil hominidé connu, une photo inédite indique qu'un fémur de la même espèce aurait été trouvé simultanément. Pourquoi n'a-t-il pas été publié ?
Le crâne de Toumaï est considéré par de nombreux paléontologues comme celui du plus ancien hominidé connu, Sahelanthropus tchadensis. La position du trou où s'encastrait sa colonne vertébrale indique qu'il était probablement bipède (1). Mais pour savoir comment il marchait, il faudrait un os de sa jambe. Malheureusement, aucun n'a été trouvé sur le site, comme le précisait en 2002 le CNRS (2). Or, une photographie du jour de la découverte vient d'être publiée dans une revue normande confidentielle (ci-dessus) (3). Elle montre le crâne posé sur le sable à côté d'un os, désigné comme un fémur d'hominidé. Ce que de nombreux paléontologues confiaient en privé depuis plusieurs années est désormais sur la place publique (4). Pourquoi cette annonce n'a-t-elle pas suivi les voies normales de la publication ?
Tout d'abord, c'est Alain Beauvilain qui a publié cette photographie. Ce géographe français était responsable de la logistique pour la mission paléoanthropologique franco-tchadienne, lancée et dirigée par Michel Brunet, aujourd'hui au Collège de France. Le premier a été licencié sur demande du second pour avoir annoncé la découverte à la presse avant la publication scientifique. Depuis, plusieurs différends les ont opposés.
Alain Beauvilain affirme qu'il a pris cette photo juste après la découverte du crâne, à 7 h 30, le 19 juillet 2001. Celui qui a fait la découverte, Ahounta Djimdoumalbaye, conteste cette version : « Cette photographie n'a pu être prise qu'à partir de 11 heures, quand Alain Beauvilain, qui travaillait sur une autre partie du site, nous a rejoints, mon collègue Fanoné Gongdibé (décédé en 2007) et moi. Elle montre les ossements que nous avions trouvés dans la matinée et rassemblés sur le sable. Le crâne n'a pas été découvert comme cela, mais bloqué dans des concrétions ».
Quoi qu'il en soit, l'os de la photo est-il bien un fémur d'hominidé ? Et pourquoi n'a-t-il pas été publié avec le crâne ? Selon Aude Bergeret, aujourd'hui directrice du musée de la Haute-Auvergne, à Saint-Flour, qui a effectué un stage de recherche dans le laboratoire de Michel Brunet à Poitiers en 2004. A l'époque, alors qu'elle étudiait la fossilisation des os d'animaux trouvés sur le site de Toumaï, elle a sollicité l'avis de l'un de ses professeurs sur ce sujet, qu'il avait abordé en cours : « Durant la conversation, il a constaté que l'un des os, dont l'espèce n'avait pas encore été déterminée, n'était pas le fémur d'un animal ordinaire, mais celui d'un hominidé. Puis il a prévenu une chercheuse du laboratoire. Cet os, que j'ai eu plusieurs mois entre les mains, est bien celui qui figure sur la photographie ».
Quant à Michel Brunet, interrogé sur la présence d'un fémur d'hominidé sur le site, il laisse la porte ouverte : « Au Tchad, nous avons mis au jour des milliers d'ossements, qui sont en cours d'étude. Peut-être s'y trouve-t-il des os d'hominidés, mais je ne commente que ce qui a été publié dans une revue scientifique.

Nicolas Constans

1) 'Tout sur Toumaï, l'ancêtre humains', La Recherche, juin 2005, page 25.
2) http://tinyurl.com/ore9oa. Cette page n'existe plus.
3) A. Beauvilain et J.-P. Watté, Bull. Soc. géol. Normandie amis Mus. Havre, 96, 1, 19, 2009
4) john hawks, 19 mai 2009. 'Did somebody bury the bones of Toumaï ?'

La Recherche n° 434 octobre 2009
COURRIER

" Un os dans la photo

Nous voudrions signaler plusieurs points sur l'article "Le fémur de Toumaï" (La Recherche n° 432; p. 18). Tout d'abord une photo de cet os est publiée en ligne aux Etats-Unis. Son existence ne peut plus être niée. Ensuite, le crâne n'était pas à sa place originelle puisqu'il était érodé sur deux côtés. Il gisait parmi divers fossiles orientés sur deux lignes, à proximité d'autres datés de 5 à 10 millions d'années. Notre hypothèse est qu'un musulman a réuni des ossements pour donner une sépulture à ce mort.
Enfin Ahounta Djimdoumalbaye dit que les clichés ont été pris à 11 heures, lui laissant le temps d'aligner les fossiles. L'ombre longue bien visible sur les photographies démontre que les photos ont été prises tôt le matin.
Dernière précision, Alain Beauvilain, docteur d'État en géographie tropicale, était en 2001 coordonnateur des activités paléontologiques en République du Tchad.

Alain Beauvilain et Jean-Pierre Watté.

Réponse de Nicolas Constans
L'objet de l'article était d'informer nos lecteurs de l'existence de ce fossile, jamais rendue publique jusqu'ici. Il ne nous appartient pas de trancher entre les versions d'Alain Beauvilain et d'Ahounta Djimdoumalbaye quant aux conditions de la découverte. »

Ces points méritaient d'être soulignés car l'information que porte Ahounta Djimdoumalbaye à Nicolas Constans est faite, non pas depuis le Tchad, mais Ahounta étant venu à Poitiers, elle est faite par téléphone depuis le bureau du Professeur Brunet, qui initie la conversation, et en sa présence. Contexte de communication téléphonique révélée à Alain Beauvilain par Nicolas Constant dix années plus tard.

À la découverte de Toumaï au musée national du Tchad, avec Ahounta Djimdoumalbaye

Heureusement, quinze années après la mise au jour de Toumaï, interrogé depuis le nouveau Musée national du Tchad, Ahounta se souvient mieux des conditions exactes de la mise au jour du crâne.






Extrait en date du 25 janvier 2016 :
« En 2001, seulement 3 ans après mon entrée dans le programme, lors d’une mission très minimaliste (nous étions seulement quatre chercheurs, avec deux 4X4 : Fanoné Gongdibé, Mahamat Adoum, Alain Beauvilain et moi-même). Et c’est seulement le dernier jour de la mission, à 7h du matin, que nous avons trouvé le crâne de Toumaï. »

La page est maintenant supprimée, le site www.reseau-espaces-volontariats .org étant devenu www.france-volontaires.org, seule la page 'Musée national du Tchad' sur Wikipedia en porte la trace. Jusqu'à quand ?

Entretemps, en 2011, John Reader, dans 'Missing links. In search of human origins'. (Oxford University Press, Oxford, Great Britain, 538 pages), son importante synthèse richement illustrée sur les fossiles d'hominidés qui ont marqué l'histoire de l'origine de l'homme et les conditions de leur découverte, écrit à la page 372 :




'Que Beauvilain et Watté aient proposé un scénario valide de l'enterrement récent de Toumaï ou pas, les photographies sont suggestives, notamment parce que parmi les ossements identifiés et catalogués en figurent plusieurs qui auraient pu appartenir à Toumaï lui-même, y compris un fémur.

Cette révélation fut une surprise pour la plupart de ceux qui suivent la saga de Sahelanthropus. Pourquoi la photographie n'avait-elle pas été publiée plus tôt? Si des restes post-crâniens ont été trouvés près du crâne, et pouvant éventuellement appartenir au même individu, ne seraient-ils pas une preuve importante du statut d'hominidé de l'échantillon? Et un fémur - n'est-ce pas précisément ce qui est demandé pour résoudre la question de savoir si Toumaï était bipède et donc le plus ancien des hominidés ?'

Les nombreux débats scientifiques autour du fémur d'Orrorin démontrent à l'évidence l'intérêt de décrire le 'fémur de Toumaï'.

La ‘redécouverte du ‘fémur de Toumaï’.

C’est le professeur Roberto Maccharelli qui ‘redécouvre’ le fémur de Toumaï en février 2004 (Colloque Prospectives du CNRS –INEE 2017) Ce lien n'existe plus ! .

"Le 'fémur de Toumaï' a été collecté il y a plus de 15,5 ans, le 19 juillet 2001 [5,6], contextuellement aux restes attribués un an plus tard au nouveau taxon Sahelanthropus, dont le crâne TM 266-01-060 en est l'holotype [7]. Labellisé 'TM 266-01-063 Indet. os long' dans l'inventaire de la MPFT [8] et, à l'époque, non reconnu ni anatomiquement ni taxonomiquement, ce spécimen n'a été identifié qu'en février 2004, à l'Univ. de Poitiers (par une étudiante en DEA et par moi-même), au cours d'une prospection taphonomique d'un lot de restes sélectionnés pour être sectionnés le lendemain pour des analyses minéralogiques (certains détails de cette 'histoire banale' [au moins dans le domaine de la paléontologie], mais devenue une 'affaire', ont été rapportés par 9-13).

Suite à cette 'redécouverte', l'existence du fémur a été initialement niée par les responsables scientifiques de la MPFT (e.g.: "L'absence de restes osseux des membres ne permet pas de dire si Toumaï était bipède" [14]), puis ignorée dans les publications successives [e.g., 15-17]. Par contre, la contribution potentielle de ce spécimen au débat sur la définition du 'label' hominine et sur l'origine de la bipédie n'est pas passée inaperçue [9,11-13,18]. 'Huit ans après la découverte du crâne du plus vieil hominidé connu, une photo inédite indique qu'un fémur de la même espèce aurait été trouvé simultanément. Pourquoi n'a-t-il pas été publié?', s'interrogeait, il y a sept ans désormais, un journaliste de La Recherche [9]; 'If postcranial remains had been found close to the skull, possibly belonging to it, wouldn't they be an important test of the specimen's hominid status? And a femur wasn't that precisely what had been called for to settle the question of whether or not Toumaï was bipedal and therefore the earliest known hominid-oldest man?', lui faisait écho deux ans plus tard J. Reader dans son célèbre ouvrage sur l'histoire des recherches paléoanthropologiques [13].

Finalement, bien que tardivement, au moins l'admission de l'existence du 'fémur de Toumaï' nous est parvenue via radio en 2016 [19]".

Le texte complet : Roberto Macchiarelli, 2017: Premiers hominidés, premiers humains : des problèmes, plusieurs questions, des prospectives. Atelier 19 - L'origine et l'évolution de l'homme.

[5] Beauvilain A, Watté J-P, 2009. Toumaï (Sahelanthropus tchadensis) a-t-il- été inhumé?  Bull. Soc Géol. Normandie Amis Muséum Havre 96.
[6] Beauvilain A, Watté J-P, 2009. Was Toumaï (Sahelanthropus tchadensis) buried? Anthropologie. 47.
[7] Brunet M et al., 2002. A new hominid from the Upper Miocene of Chad, Central Africa. Nature 418.
[8] Mission Paléoanthropologique Franco-Tchadienne.
[9] Constans N, 2009. Le fémur de Toumaï. La Recherche, juillet 2009.
[10] Hawks J, 2009. Sahelanthropus :did camelherders bury Toumaï facing Mecca? John Hawks Weblog May 2009, cete page a été renommée.
[11] Hawks J, 2009. Sahelanthropus: "The femur of Toumaï?". John Hawks Weblog July 2009. Cette page a été supprimée.
[12] Pickford M, 2010. Marketing Palaeoanthropology: the rise of yellow science. In (San Martin J-P et al., Eds.): Le Patrimoine Paléontologique. Des Trésors du Fond des Temps. Institut National de Géologie et Géoécologie Marines.
[13] Reader J, 2011. Missing Links. In search of Human Origins. Oxford University Press.
[14] Brunet M et al., 2004. "Toumaï", Miocène supérieur du Tchad, le nouveau doyen du rameau humain. C.R. Palevol 3.
[15] Brunet M et al., 2005. New material of the earliest hominid from the Upper Miocene of Chad. Nature 434.
[16] Guy F et al., 2005. Morphological affinities of the Sahelanthropus tchadensis (Late Miocene hominid from Chad) cranium. PNAS 102.
[17] Zollikofer CPE et al., 2005. Virtual cranial reconstruction of Sahelanthropus tchadensis. Nature 434.
[18] Wikipédia, 2016. Toumaï.
[19] France Culture, 2016. L'Humanité des origines. Le Salon Noir. Interview de V. Charpentier à M. Brunet (16 avril 2016).

En effet, sur France Culture, Michel Brunet annonce l’existence de ce fémur dans ‘Le Salon noir’ de Vincent Charpentier le 16 avril 2016 de 19h 30 à 20 h (à 21 minutes 49 secondes du début de l’émission) : « Toumaï est bipède d’après la base de son crâne, d’après son cerveau aussi, mais c’est pas encore publié, mais aussi d’après son fémur qui n’est pas encore publié non plus mais c’est bien un bipède… ».

Le fémur gauche de Sahelanthropus tchadensis à l'instant de sa découverte le 19 juillet 2001
(photographie Alain Beauvilain, droits réservés).

Le fossile présente à la fois un encroûtement par un ciment blanc sur lequel localement se trouve surimposé un encroûtement grisâtre ferruginisé. C'est le plus grand et le mieux conservé des fossiles présents dans la 'tombe' de Toumaï, à l'exception du crâne lui-même.
Des traces de prédation par un carnivore (série de stries parallèles dues peut-être à un Hystrix – porc épic) sont bien visibles sur ce fossile (deux flèches rouges à titre d’exemple).

Comment est-on arrivé à cette situation où un fossile important est laissé de côté? Pire, qu’il ait failli disparaître.

Au moins jusqu’au début de l’année 2004, TM266-01-063 est resté ‘indet’ (= indéterminé) dans la base de gestion des fossiles. Cette base est pourtant continuellement mise à jour par la détermination anatomique des fossiles pris en main et étudiés par les spécialistes des différents groupes. Les publications successives des recherches entreprises donnent une bonne idée de l’avancée importante des connaissances, des fossiles les plus petits, les rongeurs, aux plus gros, anthracothères, hippopotames, éléphants et autres giraffidés.

Pour la rentrée universitaire 2003-2004, une étudiante de l’université de Poitiers, Aude Bergeret, est admise en master deuxième année. Son mémoire va porter sur la taphonomie (de taphos – sépulture ; nomos – loi, règle, = compréhension des processus d’enfouissement, de fossilisation et d’érosion) des fossiles de la zone de Toros-Ménalla (TM) qui sont mis à sa disposition dans le bureau de Patrick Vignaud où sont rassemblés les fossiles de la Mission Paléoanthropologique Franco-Tchadienne (MPFT) issus de TM.

Les études taphonomiques peuvent aboutir à la destruction des fossiles. Dans cette perspective extrême sont bien entendus seuls utilisés des fossiles mineurs dont les chercheurs ont bien compris qu’ils sont non déterminés parce que non déterminables. La photographie ci-dessus en montre deux, jouxtant TM266-01-63. Ce ne sont que de simples cylindres sans extrémité. Ce type de fossile n’apporte rien à la connaissance et peut donc être sacrifié. Les spécimens plus complexes doivent à l’évidence être préservés. Ce devrait être le cas du fossile TM266-01-63 qui a alors déjà été examiné par un spécialiste des carnivores qui l’a reconnu comme étant une diaphyse de fémur presque entière d’un mammifère d’une quarantaine de kg qui n’est pas celui d’un carnivore.

En ce début d’année 2004, avant de partir pour le Tchad où doivent être tournées les scènes de terrain d’un film sur la découverte de Toumaï, Michel Brunet et Patrick Vignaud autorisent expressément Aude Bergeret à couper en deux le fossile TM266-01-63 afin de mener des recherches sur sa structure interne, la minéralogie des argiles et faire entreprendre des études de chimie isotopique qui pourraient permettre de savoir, par exemple, combien de temps ce fossile est resté en milieu marécageux ou limoneux.

Le chef du Département de Géosciences de l’Université de Poitiers est alors un paléoanthropologue, qui mène des recherches innovantes à forte composante méthodologique (micro-tomographie à rayonnement X) visant à étudier l'humanité fossile, et spécialiste de paléo-écologie, le professeur Roberto Macchiarelli. Il a été recruté en 2001 notamment pour étudier les fossiles post-crâniens que la MPFT pourrait mettre au jour. Il a d’ailleurs travaillé sur Toumaï, raison pour laquelle il est remercié dans l’article de Nature annonçant Sahelanthropus tchadensis. En tant qu’enseignant-chercheur, il a enseigné à Aude Bergeret durant plusieurs années.

En février 2004, Aude Bergeret se prépare donc à couper en deux et à détruire au moins partiellement une diaphyse d’un os long de mammifère, qualifié de fémur indéterminé au niveau générique et spécifique par un chercheur expérimenté, fossile qui fait partie de la diversité locale de la zone fossilifère de Toros-Ménalla et qui, pour elle, a dû être trouvé à proximité d’un crâne d’hominidé puisque son numéro d’inventaire (TM266-01-63) est tout voisin de ce crâne numéroté TM266-01-60.

Toutefois, rencontrant à l’improviste son ancien professeur et chef de département, elle l’invite a venir voir, dans le bureau de Patrick Vignaud où elle travaille, les fossiles sur lesquels elle s’apprête à procéder à des enquêtes plus invasives et potentiellement destructrices. Le professeur Roberto Macchiarelli n’a aucune raison de ne pas accepter une proposition somme toute anodine. C’est alors que, avant même de savoir d’où provient le fossile TM266-01-63, le Professeur, qui a travaillé sur des centaines de fémurs d’hominidés,reconnaît immédiatement un fossile d’hominidé et différent de celui d’Orrorin. Il est alors surpris d’apprendre que ce fossile a été trouvé sur le site même de Toumaï car à aucun moment il ne pouvait imaginer qu’une telle diaphyse d’os long trouvé à proximité du crâne de Toumaï n’était toujours pas identifiée près de 30 mois après sa mise au jour.

Á défaut d’être identifiable par les chercheurs qui l’avaient en charge, ceux-ci auraient dû lancer des questionnements auprès de leurs collègues spécialistes des différents mammifères, eux-mêmes ayant d’abord étudié les bovidés ou les crocodiles. L’ignorance est légitime, c’est un fait. Pour travailler sur les hominidés, il faut en avoir trouvés. Il y a un début à tout, c’est pourquoi il faut avoir la modestie d’interroger la communauté des chercheurs spécialistes des hominidés pour un fossile déterminable trouvé si près d’un crâne d’hominidé. L’histoire de ce fémur est à mettre en rapport avec deux attitudes : je ne connais pas, je détruis ; je ne connais pas, je consulte. Dans ce cas précis, la consultation s’est faite par hasard.

En fait, cette diaphyse de 25 cm de long aurait dû être emportée du Tchad prioritairement dès août 2001 comme le demandaient ses découvreurs au simple principe qu’un fossile d’une espèce inconnue jamais observé sur les milliers de fossiles mis au jour depuis le début du projet en 1994 et trouvé si près d’un hominidé devait être prioritairement déterminé.

Ses découvreurs ont donc été étonnés d’apprendre que 30 mois après sa découverte ce fossile n’était toujours pas déterminé et que l’autorisation avait été donnée après un dernier examen pour procéder à sa destruction au moins partielle alors même qu’il était catalogué dans les collections de la République du Tchad au titre de Patrimoine national. Cette analyse ‘invasive’ devait être réalisée par une étudiante pendant l’absence des responsables du projet scientifique...

Cette mésaventure du fémur rejoint celle de la non conservation des sédiments que portait le crâne de Toumaï que signale par Hervé Morin dans Le Monde du 5 septembre 2008. Ces sédiments auraient pu permettre de lever les doutes sur la datation absolue du crâne par la méthode béryllium 10...

Dix-sept ans après sa mise au jour, treize ans après sa redécouverte, neuf ans après que ses photographies aient été publiées pour la première fois, près de deux ans après son acceptation par les chercheurs qui le détiennent, l'analyse de ce fémur n'est toujours pas publiée.
Pourquoi ?

La communauté des chercheurs attend un traitement scientifique des restes mis au jour à proximité de Toumaï afin d’éclairer le débat sur l’origine de l’homme et des grands singes et pour que Toumaï puisse enfin trouver une place incontestée dans l’histoire des Hominidae.

Une recherche de qualité dans un décor naturel exceptionnel, des fossiles magnifiques, une bien triste fin :

Nature, Ewen Callaway : Femur findings remain a secret. Fresh take on human ancestry struggles to be accepted.

Dans les pas des archéologues : Nicolas Constans, L'histoire du fémur de Toumaï. Seize ans après la découverte du crâne du plus ancien hominidé, pourquoi son fémur n'a-t-il jamais été publié ?

Le Figaro du 26 janvier 2018 page 14 : Jean-Luc Nothias, Toumaï : bataille autour d'un fémur (et ci-dessous).

Le Monde du 31 janvier 2018, Cahier Science et médecine, page 2 : Nicolas Constans, L'histoire trouble du fémur de Toumaï (et ci-dessous).

'La tête au carré', France Inter du 2 février 2018 à 14h 04'

Dinoblog, Professeur Jean-Louis Hartenberger : Toumaï aïe aïe aîe : triste fin d'un fémur indigne.