Toumaï montre ses dents
IV Nouvelle correspondance concernant

Sahelanthropus tchadensis

South African Journal of Science

101, March/April 2005

Alain Beauvilain et Yves Le Guellec

Monsieur - Les lecteurs suivant le débat au sujet de Sahelanthropus tchadensis dans cette revue scientifique doivent savoir que l’argument principal de la réplique de M. Brunet et al. à notre article est fondé sur une série de CT scans et de photographies numériques qui révèlent des contradictions entre la figure et sa légende (1). Dans notre réplique à cette réponse (2), nous n’avons pas mentionné ces contradictions parce que nous avons considéré qu’il était peu probable que ces documents soient publiés tel que soumis. Cependant, il est clair que :
1) Il y a une erreur dans les échelles puisque des dents d’hominidé de quelques millimètres de long, ainsi qu’il est proposé par la légende, sont inconnues. L’erreur est de 1 à 10.
2) Il y a une erreur dans l’orientation des CT scans A dont la légende est : « sections sagittales, face mésiale à droite…».
La racine de la M3, qui s’incline vers la droite, prouve que ce n’est pas la face mésiale qui est à droite mais la face distale. En effet, pour la troisième molaire, la racine mésiale est verticale et la racine distale est inclinée vers l’arrière de la mandibule où ne se trouve plus de dent pour entraver son enracinement. Ce point de vue est parfaitement confirmé par la photographie G figurant sur cette même planche. De plus, sur les deux images centrales, la facette interstitielle plate, caractéristique de la surface mésiale, se trouve bien à gauche, et la surface interstitielle bombée, caractéristique de la surface distale, à droite.
L’examen de la section sagittale « réalisée à 3,33 mm du bord vestibulaire de la dent » (la coupe la plus à droite des CT scans) et des photographies E et G, et particulièrement les lignes de fracture et les marques d’usure qu’elles présentent, montre que les sections sagittales ont été en réalité réalisées à partir du bord lingual de la dent.
3) une erreur de positionnement latéral des CT scans B dont la légende « sections transversales, face linguale à droite ­ de droite à gauche, les CT scans ont été respectivement réalisés à 2,67 mm, 3,69 mm, 4,11 mm, et 9,36 mm du bord mésial de la dent ».
Si la face linguale est à droite, la photographie présente une dent de gauche. Auquel cas son commentaire devient incompréhensible par rapport aux CT scans. Par ailleurs, les mécanismes de mastication des hominoïdes admettent des exceptions. L’inclinaison du plan occlusal est dépendante de la préparation des vestiges de racines encore présentes sur la face cervicale de la couronne et des racines solidaires du corps mandibulaire, préalablement au collage. T.D. White expose bien les difficultés de tout collage (2). D’une manière générale, retrouver les contacts parfaits entre la couronne et les racines d’une dent, indépendantes depuis des millions d’années, encroûtées séparément dans un ciment très dur avant d’être soumise récemment à une intense abrasion éolienne et à des écarts de température qui ont fait éclater de nombreux morceaux de dents, demeure très  hypothétique.
La comparaison avec la photographie E montre que, de droite à gauche, ces sections transversales ont été en fait réalisées à partir du bord distal de la dent.
4) une erreur de positionnement latéral des CT scans C dont la légende est « sections parallèles à la surface occlusale, au niveau du collet et en dessous, face mésiale vers le haut ­ de droite à gauche, les CT scans ont été respectivement réalisés à 6,93 mm, 7,14 mm, 7,44 mm, et 7,80 mm de la face occlusale de la dent. Mésialement, les racines mésio-vestibulaire et mésio-linguale restées dans le corps mandibulaire sont en rouge clair et montre une correspondance parfaite avec la couronne de la M3 (en bleu) ».
Selon la légende, la photo de droite est donc réalisée le plus près de la surface occlusale de la dent et la photo de gauche réalisée le plus près du corps mandibulaire. Or les racines et le corps mandibulaire apparaissent bien sur la photographie de droite, la plus proche de la face occlusale de la dent, et disparaissent pratiquement de la photographie de gauche indiquée comme ayant été prise au plus près du corps mandibulaire.

Regrettons qu’aucun scan, ni aucune photographie ne montre la face latérale de la m/3 et ce petit cuspide que nous avons appelé métaconulide (1 sur les photographies), élément particulièrement original de cette dent. Incidemment, notons que sur la vue occlusale ce cuspide accessoire semble porter une marque (traînée transversale blanche sur l’image de gauche) qui n’existait pas lors de sa découverte (image de droite).
Par ailleurs, la présence supposée d’une facette de contact entre la m/2 et la m/3 ne peut être utilisée pour démontrer que les deux dents appartiennent à un même individu pour la simple raison que les deux tiers de la face distale de la m/2, qui forme normalement cette facette, sont manquants ayant été éclatés par les agents atmosphériques. Le tiers restant de la surface distale a subi l’abrasion éolienne (figure, image de gauche). Il n’existe donc aucune preuve du contact entre ces deux dents (2 sur la photographie). Il n’est donc pas possible d’affirmer, comme il en est fait mention dans la réponse de la MPFT, la ‘correspondance de la facette de contact préservée sur la surface mésiale de la dent et celle de la seconde molaire restée en position sur la mandibule’.
La conservation des deux fossiles est très différente, m/1 et m/2 en place dans la mandibule ont été très dégradées par les aléas atmosphériques alors que la m//3 est pratiquement intacte. De plus, si la m/3 appartient à la mandibule, le gradient d’usure due à la mastication doit diminuer de la m/1 à la m/3. Dans ce cas précis, la m/3 apparaît comme étant la dent la plus usée, montrant de plus grandes surfaces de dentine que la m/2.

Légende de la figure : Les deux molaires, m/2 et m/3, après préparation (à gauche) et m/3 au moment de sa découverte :
1) la petite cuspide que nous appelons métaconulide ;
2) ici n’apparaît pas l’évidence d’un contact physique entre les deux dents.

Deux photographies de la m/3 agrandie pour se faire son opinion.
(photographies Alain Beauvilain, droits réservés).

Dans ces conditions, il est étonnant qu’aucun des 28 co-signataires, regroupés sous le sigle MPFT, ne se soit aperçu des multiples problèmes posés par leur réponse. Comment aussi comprendre que 28 autres signataires incluant de nombreux éminents paléoanthropologues, après avoir "examiné en détail les photographies et images digitales de la couronne d’une troisième molaire fossilisée provenant du Miocène supérieur du Tchad" puissent co-signer une lettre internationale de soutien à la MPFT, lettre dépourvue de tout contenu scientifique (4).
Outre que l’histoire des sciences n’apporte aucun précédent à ce type de lettre, l’un de ces co-signataires a récemment proposé une liste de recommandations déontologiques (5). Pour ce cas précis nous ne retiendrons que les recommandations suivantes parmi un riche échantillon de ce qui est un article essentiellement méthodologique : "ne pas publier sans avoir d’abord examiner l’original", "ne pas juger de la qualité d’une communication par ses auteurs", "lire de manière critique toute communication scientifique", "ne pas rejeter les communications ou accorder des applications pour des raisons personnelles ou politiques", ainsi que l’observation que "… les micro et les macro-tomographies informatisées, le microscope à balayage électronique, les coupes laser,… , les images 3D, et l’analyse précise ne sont que des outils. Ils n’ont pas de qualités magiques."
Nous souscrivons pleinement à cet excellent conseil et nous recommandons qu’il soit pris au sérieux afin de réduire la possibilité d’une méprise érudite en ce domaine.

Alain Beauvilain, Université de Paris X Nanterre, 200 avenue de la République, 92000 Nanterre Cedex, France.
Yves Le Guellec, Rue du Manoir, 76190 Yvetot, France.

1. Brunet M. et al. (2004). Sahelanthropus tchadensis : the facts. S. Afr. J. Sci. 100, 443­-445.
2. Beauvilain A. and Le Guellec Y. (2004). ponse de Beauvilain et Le Guellec. S. Afr. J. Sci. 100, 445-­446.
3. White T.D. (2000). Jaws and teeth of Australopithecus afarensis from Maka, Middle Awash, Ethiopia. Am. J. Phys. Anthropol. 111, 45­-68.
4. Howell F.C. et al. (2004). S. Afr. J. Sci. 100, 446.
5. White T.D. (2000). A view on the science : physical anthropology at the millenium. Am. J. Phys. Anthropol. 113, 287-­292.

South African Journal of Science

 101, March/April 2005

Note de M. Brunet et al.

Nous remercions le Docteur Beauvilain pour avoir indiqué les erreurs de la légende de notre planche illustrée mais souhaitons indiquer que l'erreur typographique de l'échelle et l'inversion accidentelle des informations concernant la latéralité de notre légende n'affectent pas les données anatomiques et l'interprétation que nous avons données pour le matériel présenté. La légende correcte doit être lue comme suit :

Fig. 1. Hémi-mandibule droite TM266-02-154-1 de Sahelanthropus tchadensis. A, B, and C: CT scans (the University Museum, Université de Tokyo, Japon) au niveau de la m/3. Le corps mandibulaire et les racines en place de la m/3 sont en rouge clair. La couronne de la troisième molaire trouvée séparément et prétendument du côté gauche est en bleu. Une correspondance exacte entre la couronne de la m/3 et les racines correspondantes dans l’hémi-mandibule est observée. L’espace interstitiel entre la m/3 et ses racines correspond à l’épaisseur de la colle utilisée pour fixer la dent sur ses racines.
A: sections sagittales, face mésiale à gauche ­ de gauche à droite, les CT scans ont été respectivement réalisés à 3,33 mm, 4,41 mm, 7,83 mm, et 8,70 mm du bord vestibulaire de la dent ;
B : sections transversales, face linguale à gauche ­ de gauche à droite, les CT scans ont été respectivement réalisés à 2,67 mm, 3,69 mm, 4,11 mm, et 9,36 mm du bord mésial de la dent ;
C : sections parallèles à la surface occlusale, au niveau du collet et en dessous, face mésiale vers le haut ­ de gauche à droite, les CT scans ont été respectivement réalisés à 6,93 mm, 7,14 mm, 7,44 mm, et 7,80 mm de la face occlusale de la dent. Mésialement, les racines mésio-vestibulaire et mésio -linguale restées dans  le corps mandibulaire (voir F) sont en rouge clair et montre une correspondance parfaite avec la couronne de la m/3 (en bleu).
D : vue occlusale du spécimen complet avec sa m/3.
E : vue occlusale de la m/3.
F : vue occlusale des racines de la m/3.
G : vue disto-linguale du contact (flèche blanche) entre la m/3 et sa racine distale.

Toutes les barres d’échelle représentent 0,5 cm.