Une petite histoire des fonctions

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Une petite histoire des fonctions


Dans la langue française, le mot fonction désigne, entre autres, une relation de dépendance. On peut dire, par exemple, que les risques d'accidents de la route augmentent en fonction des mauvaises conditions climatiques ou encore que les résultats d'un élève seront fonction du sérieux de son travail. Cette définition découle du sens mathématique du mot fonction. De nos jours, celui-ci désigne une relation, un lien, qu'il peut y avoir entre des éléments de deux ensembles quelconques. En particulier, si chacun de ces deux ensembles désigne un ensemble de nombres, on parle de fonctions numériques, et ce sont celles qui sont principalement étudiées dans l'enseignement secondaire.

Prenons l'exemple suivant : à tout réel x, on lui associe son carré x² : c'est la fonction qu'on appelle fonction carré. Elle met en relation l'ensemble des nombres réels ℝ avec l'ensemble des nombres réels positifs ℝ+. Si on appelle f cette fonction, on la note alors : 

f : ℝ → ℝ+

xx².

x² est alors appelé l'image de x par la fonction f et on le note aussi f(x).

Mais pour pouvoir bénéficier de l'appellation fonction, cette relation doit vérifier un critère important : à chaque élément du premier ensemble, on ne peut pas lui associer plus d'un élément du second.


Vous connaissez également des exemples de fonctions non numériques. On peut prendre le cas des statistiques. On part d'un ensemble qui est constitué d'une population, et à chaque individu de cette population, on peut lui associer un critère qualitatif (on peut s'intéresser aux formes de ces éléments, à leur couleur, etc…) ou même un critère quantitatif (à leur taille, à leur poids …).

Un des exemples de fonctions les plus intéressants est certainement celui lié à la géométrie. Dans ce cas, on parle plutôt d'application que de fonction, mais le principe reste le même : à tout élément d'un ensemble (de points, de droites, etc…) on peut associer au plus un élément d'un autre ensemble (de points, de droites, de réels positifs, etc…). La réalisation d'une carte, par exemple, est une application : à tout point x d'une région d'un monde X (une montagne, un pays, une planète, un monde étrange, …), on lui associe un point y d'un support plan (ou non) Y (en papier, informatique, …).

 Y devient alors l'image du monde X par cette carte ou encore le graphe de cette carte (voir l'article "Une Histoire des Cartes et des Mathématiques" rédigé à l'occasion de la semaine des mathématiques 2023 que vous pouvez retrouver à l'adresse : https://sites.google.com/view/maths-ita/histoire-des-maths/une-histoire-des-cartes-et-des-math%C3%A9matiques). 

Les symétries, les rotations, les translations, les projections, les homothéties … sont d'autres exemples d'applications en géométrie.

Ci-contre, le point B' est l'image du point B par la rotation de centre A, d'angle 45° en tournant dans le sens inverse des aiguilles d'une montre. Ci-dessous, le cube C2 est l'image du cube C1 par l'homothétie de centre O et de rapport 3. La première application met en relation les points du plan avec d'autres points du plan, la deuxième, les points de l'espace avec d'autres points de l'espace, non pas en suivant des principes calculatoires, mais des principes géométriques.

Ces définitions et exemples sont ceux que nous utilisons de nos jours : après en avoir fait évoluer et défini clairement ces concepts puis étudié leurs propriétés au cours des siècles, ils permettent aux mathématiciens d'obtenir un arsenal important d'outils pour répondre aux questions qui leur sont posées. Cependant, de tout temps, l'Être Humain a été amené à utiliser des outils mathématiques que l'on peut reconduire de nos jours à des fonctions, sans pour autant avoir clairement identifié le concept même de fonction. Cet outil était clairement moins sophistiqué et dans les lignes qui suivent, nous allons en voir quelques exemples, non exhaustifs, afin de clarifier un peu plus cette évolution de la notion de fonction. 

L'Antiquité


Les mésopotamiens ont été les premiers utilisateurs de mathématiques. Il est clair que certains de leurs outils mathématiques avaient des liens avec ce qu'on pourrait appeler des fonctions. Rappelons également que les mésopotamiens ont constitué les premières civilisations : les premiers à cultiver leurs légumes, fruits et céréales et à élever du bétail. Fini la chasse et la cueillette ! Mais pour pouvoir le faire, il faut savoir mesurer le temps : pour savoir quand planter, semer, élaguer, stocker, faire germer, ... Et pour mesurer le temps, il n'y a pas d'autres choix que de se tourner vers le ciel, le soleil, la lune et les étoiles.

Notre système de mesure du temps nous vient tout droit des civilisations mésopotamiennes : mesure de la durée d'une année en 365 jours et plus ou moins 6 heures, division du jour en 24h, division d'une heure en 60 minutes. (Pour faire leurs calculs, l'année était en fait divisée en 12 mois de 30 jours, ce qui est une approximation acceptable.) Ces mêmes subdivisions ont d'ailleurs donné naissance à l'unité de mesure des angles, le degré. Une rotation complète de la Terre autour du soleil est d'une année, soit environ 360 jours. Chaque jour, la Terre se déplace d'un degré. Après 90 jours, elle forme un angle de 90° entre sa position de départ et le soleil, le sommet de l'angle. C'est ce qu'on appelle un angle droit.

Le système de numération mésopotamien était un système très pragmatique sexadécimal : 60 chiffres pour écrire tous les nombres. Pour les calculs astronomiques, on ne peut pas trouver mieux du coup. Pour rapidement expliquer ce système, prenons l'exemple suivant : lorsque nous écrivons 83, nous comprenons qu'il s'agit en fait de 8 dizaines et de 3 unités. Lorsque les mésopotamiens écrivent 83, ils entendent en fait 8 soixantaines et 3 unités, soit notre nombre 483. Bien sûr, ils n'utilisaient pas notre numération arabe, mais la leur, cunéiforme. Pour eux, 483, soit 8 soixantaines et 3 unités s'écrivait : 𒐜𒐗.

Mais laissons tomber leur numération et revenons à notre article : la notion de fonction. Pour effectuer des divisions, les mésopotamiens utilisaient un principe algébrique que nous connaissons bien : diviser par un nombre revient à multiplier par son inverse. Pour effectuer la division de a par b, cela revient à multiplier a par 1/b. Et faire une multiplication est plus simple que de faire une division, non ? Mais pour que ce concept soit simple à appliquer, il faut quand même connaître les inverses de ces nombres. Quelqu'un peut s'en charger une fois pour toute et inscrire les résultats sur une tablette d'argile. 

C'est ce qu'on a retrouvé sur la tablette ci-dessus, conservée au musée du Louvre, qui date de la fin du 1er millénaire av. J.-C. et qui est une copie d'une tablette bien plus ancienne. Chaque ligne de cette tablette donne un nombre suivi de son inverse.

On trouve par exemple que l'inverse de 2 est 30. C'est-à-dire que 1/2, l'inverse de 2, est 30. Au premier abord, c'est très surprenant. Cependant, le symbole 𒐖 utilisé seul pouvait aussi bien signifier 2 que 2x60 soit 120, voire même 2x60x60 soit 7200 etc... De même, le symbole 𒐕 (1) utilisé seul pouvait signifier 1 mais aussi 1x60 soit 60, etc… Si on effectue l'opération 2x30, on obtient bien 60 qui se note bien 𒐕. Donc, l'inverse de 2 est bien 30.
On trouve également que l'inverse de 16 est 3:45, nombre qui est à interpréter comme 3 soixantaines et 45 unités, soit 3x60 + 45 = 225. Or 16x225 = 3600 = 60x60 et qui se note aussi 𒐕.

Transcrit avec nos notations, le début de cette tablette est le suivant : 

2    30           16    3:45          45    1:20

3    20           18    3:20          48    1:15

4    15           20    3               50    1:12

5    12           24    2:30          54    1: 6:40

Ce n'est ni plus ni moins qu'un tableau de valeurs de la fonction inverse. Chaque chiffre est associé à un nombre : son inverse.

Les mésopotamiens utilisaient également de la même façon les tableaux de valeurs des fonctions carré, cube, racine carrée, de trigonométrie (tables de cordes), etc… 

Ci-contre, Table de carrés (Nippur ca 1800 av. J.-C.) - Penn Museum, Philadelphia, Pennsylvania, USA


Ils ont aussi rédigé de nombreuses éphémérides, tables astronomiques qui déterminent des grandeurs pour des corps célestes, comme la durée du jour, la position des planètes, les éclipses solaires ou lunaires. A chaque mois, on peut lui associer la position particulière de Vénus. A chaque jour d'un mois, on peut lui associer la durée de l'ensoleillement. Les éphémérides sont donc bien des exemples de fonctions.

La tablette ci-contre fait partie de la série Mul Apin et s'intitule Etoile de la Charrue (British Museum). Pour chaque mois du calendrier, on y trouve la longueur moyenne du jour. Il est par exemple, écrit que :
- le 15 du mois 1, 3 mines est la durée du jour et 3 mines est la durée de la nuit;
- le 15 du mois 4, 4 mines est la durée du jour et 2 mines est la durée de la nuit;

        - le 15 du mois 7, 3 mines est la durée du jour et 3 mines est la durée de la nuit;

        - le 15 du mois 4, 2 mines est la durée du jour et 4 mines est la durée de la nuit.
(Les traductions sont celles données par le site hist-math.fr)

Même si on ne connaît pas la durée d'une mine, on comprend que le premier mois était celui qui correspondait à l'équinoxe de printemps, que le 4e mois celui du solstice d'été, etc… Donc, on peut en déduire que 3 mines  = 12 heures donc 1 mine = 4 heures.

A certains jours de certains mois est associée leur durée du jour. 

Les grecs ont apporté beaucoup de changements dans la façon de concevoir les mathématiques, en les fondant sur le raisonnement hypothético-déductif, basé sur des axiomes et des postulats qui engendrent des démonstrations et des théorèmes, et de nouvelles démonstrations. Ils ont réussi à améliorer ces tables mésopotamiennes, en leur donnant bien plus de précision lorsque c'était possible, comme pour les éphémérides ou les tables de cordes. 

Extrait ci-contre d'une copie de l'Almageste de Ptolémée (2e siècle, une référence astronomique pendant près de 2 millénaires!), table de cordes, équivalente de nos jours à une table de valeurs de la fonction sinus. Edition Heiberg en libre accès sur la Library of Congress. 

 

  Mais attention : tableaux de valeurs, certes, mais il est évident que les mésopotamiens ou les grecs ne pouvaient pas concevoir la notion de fonction, le lien qui leur permet de passer d'un nombre à son image, d'un jour du mois à la durée du jour, d'un entier à son inverse, juste avec de telles tables. 

Le Moyen Âge, Aristote, le mouvement et la continuité du temps


Dans l'Antiquité, les mathématiciens étaient clairement occupés à résoudre des problèmes que leur posaient leurs contemporains : lecture du ciel, problèmes de partages, mesure de la Terre, construction d'outils plus performants, etc… Pour commencer à entrevoir le concept de fonction, il va falloir que la philosophie s'en mêle. Dans le livre X des Lois, Platon expose un premier point de vue sur le mouvement (des âmes et des planètes) : "nous comprenons que dans cette révolution circulaire le mouvement qui fait tourner à la fois le plus grand et le plus petit cercle se distribue proportionnellement au plus grand et au plus petit, étant lui même plus grand ou plus faible dans la même proportion". 

Aristote va plus loin dans son Traité du Ciel. En plus d'y démontrer que la Terre est sphérique, il y développe également l'idée que le mouvement de tout corps céleste est naturellement centripète, autrement dit que ces corps suivent des mouvements circulaires et qu'ils sont en même temps "attirés" par le centre de ce cercle. Il distingue enfin deux types de mouvements possibles : "Tout mouvement dans l’espace, [...] est en ligne droite ou circulaire, ou bien un mélange de ces deux-là. Mais il n’y a que les deux premiers mouvements qui soient simples. Cela tient à ce que, parmi les grandeurs, il n’y a que celles-là seules qui soient simples, la droite et le circulaire." Nous savons que les trajectoires aujourd'hui peuvent être différentes, mais ces principes sous-entendent une notion nouvelle : un corps ne passe pas d'un seul coup d'une position à une autre, mais le mouvement de ce corps, soumis à des forces, se fait de façon continue.

150 ans plus tard, Apollonius définit d'autres courbes qui peuvent décrire le mouvement : les coniques . Et bien que son travail reste remarquable, Apollonius réussissant déjà à décrire ces courbes avec ce qu'on appellerait de nos jours une équation, il ne les conçoit pas comme des courbes représentatives de fonctions.



Ces principes philosophiques font leur réapparition en Europe au Moyen Age. Les textes de l'Antiquité sont redécouverts grâce aux travaux de traducteurs qui reprennent principalement des documents scientifiques arabes, et même si beaucoup de ces textes sont utilisés à des fins religieuses et non scientifiques, certains les utilisent pour étudier le mouvement des mobiles. Ces principes, développés principalement par des traducteurs d'Aristote, sont ceux des mathématiciens que l'on classe maintenant dans les Écoles de Philosophie Naturelle d'Oxford et de Paris du XIVe siècle. Parmi eux, on peut citer principalement Robert Grosseteste (1168-1253), Roger Bacon(1214-1292), Thomas Bradwardine (1295-1342) et Nicole Oresme (1323-1382). 

Des idées sur le mouvement développées par Aristote, rappelons celle-ci : "si les frottements sont supérieurs aux forces qui s'exercent sur un corps, alors ce corps ne se mettra pas en mouvement". On a aussi : "la vitesse d'un corps est proportionnelle aux forces qui agissent sur lui divisée par la résistance". Bradwardine (ci-contre), par exemple, reprend les principes du mouvement décrit par Aristote. Et il va plus loin, en montrant que les mathématiques permettent de corriger certaines erreurs de conception d'Aristote : "si un corps est soumis à une force et une résistance, et que cette résistance double, puis double encore et ainsi de suite, alors à un certain moment, la résistance va dépasser la force et donc le corps ne pourra plus se déplacer". Mais il conclut que "la vitesse de ce corps ne pourra être tout de suite nulle". 

Oresme (ci-contre, extrait de Traité de la sphère; Aristote, de caelo et de mundo, traduction française par Nicole Oresme - BNF) va encore plus loin. Dans son De Latitudinus Formarum de 1482, un des premiers livres imprimés de mathématiques, il explique que : "on se représente toute chose mesurable, à l’exception des nombres, comme une grandeur continue". Oresme reprend ici l'idée des grecs que les nombres sont rationnels, et donc, qu'ils ne peuvent pas désigner quelque chose de continu. Puis il ajoute : "toute intensité qui peut être acquise de façon successive doit donc être représentée par une ligne droite élevée perpendiculairement en un point de l’espace ou du sujet de la chose intensive, par exemple d’une qualité". Il ne parle plus de nombres, mais d'intensité. 

On trouve même, un peu plus loin : "Cette intensité, [. . . ] est divisible d’une seule façon et à l’infini, comme un continuum. On ne peut donc la représenter plus adéquatement que sous la forme du continuum qui est originellement divisible et d’une seule façon, c’est-à-dire par une droite." C'est la géométrie, et plus précisément la droite, qui permet de représenter concrètement cette continuité. 

Extrait de De Latitudinus Formarum, feuille i - Biblioteca Nazionale Centrale di Firenze


Cette volonté d'essayer de caractériser mathématiquement la continuité d'une intensité, d'un mouvement, etc… va permettre au cours des siècles de définir plus clairement et plus précisément ce que l'on conçoit de nos jours comme étant une fonction.

La renaissance… de l'étude du mouvement aux formules algébriques 

L'étude du mouvement va se perfectionner dans le temps. On s'y intéresse non seulement pour l'étude des trajectoires des planètes dans le système solaire, mais aussi et principalement pour la balistique : concrètement parlant, les "mécènes" de l'époque aimeraient avoir une artillerie plus efficace et puissante que celle de leurs ennemis. Niccolo Tartaglia et Leonardo Da Vinci, entre autres, s'y attardent. Après avoir pensé dans un premier temps, de façon très aristotélicienne, que les trajectoires des boulets étaient composées de deux segments réunis par un arc de cercle (voir illustration ci-dessus), Tartaglia réussit ensuite à démontrer que toute trajectoire d'un corps lancé ne peut être en aucun point rectiligne. 

En 1638, vers la fin de sa vie, Galilée (ci-dessus, image d'Oliviero Pinotti, YouTube) va publier avec bien des difficultés, un livre qui reste encore aujourd'hui un des fondements de la science moderne : Discorsi e dimostrazioni matematiche intorno a due nuove scienze attinenti la meccanica e i movimenti locali. Sous la forme de dialogues entre trois personnages, ce livre présente des propositions, des axiomes, des théorèmes et des démonstrations mathématiques et traite des problèmes de résistance des matériaux et de la mécanique, et en particulier l'approche mathématique de la chute de corps. Pour arriver à ses résultats, Galilée a procédé à de nombreuses expérimentations et calculs. Contrairement à de nombreux livres du passé, celui-ci influencera de beaucoup les travaux des années à venir, non seulement de par ses résultats, mais surtout sur la méthode proposée. 

Rappelons que Galilée expérimente la chute de différents objets dans l'air et de billes sur des plans inclinés, et arrêtons-nous sur quelques étapes de sa démonstration. Théorème II proposition II : "si un mobile partant du repos, tombe avec un mouvement uniformément accéléré, les espaces parcourus par ce mobile en des temps quelconques sont en raison double de ces temps" (à comprendre comme les carrés de ces temps). Dans la figure ci-contre, le mobile part au repos du point H et arrive en I en chute libre, c'est-à-dire en suivant un mouvement uniformément accéléré. [AB] représente la ligne de temps. HL désigne la distance parcourue pendant le temps correspondant à AD et HL celui correspondant à AE. En utilisant deux résultats prouvés précédemment, Galilée montre que :
HM/HL=(1/2)xEPxAE/((1/22)xDOxAD)=EPxAE/(DO/AD),
ce qui, en considérant des espaces de temps égaux donne :
HM/HL=EP² /DO²=AE² /AD².

(Attention, les calculs de Galilée ne sont pas écrits sous cette forme littérale, mais par des phrases…)

Après avoir démontré d'autres propriétés sur le mouvement des solides, et des propriétés qui caractérisent les paraboles, il énonce enfin que : "un projectile entraîné par un mouvement composé d'un mouvement horizontal uniforme et d'un mouvement uniformément accéléré vers le bas, décrit au cours de son déplacement une trajectoire semi-parabolique".

Considérons le mobile qui se déplace d'un mouvement uniforme sur un support horizontal durant le temps ab. Ce support laisse la place au vide à l'instant b. Considérons be le temps qui s'écoule. A la fin du temps bc, le mobile est en i, à la fin du temps bd, il se trouve en f, et à la fin du temps be, il se trouve en h, alors les points i, f et h sont sur une parabole car : hl²/fg²=bl/bg et que fg²/io²=bg/bo…

Vous trouverez ci-dessous un manuscrit illustrant les travaux de Galilée, Biblioteca Nazionale Centrale di Firenze :

Ajoutons deux informations liées à cette période et qui, même sans être en lien direct avec la notion de fonction, participeront également à l'évolution de leur concept.

Bien que François Viète (1540 - 1603) ait introduit les premières règles sur le calcul littéral, ces principes n'ont pas été repris et les relations trouvées par Galilée ne s'expriment toujours pas par des formules telles qu'on pourrait les voir écrites de nos jours. Il faut avouer que les notations de Viète restent encore très éloignées de nos notations simplifiées actuelles. Pour écrire la règle : A/B-Z²/G=(AG-Z²G)/BG il écrit tout de même  :

Cependant, il est difficile pour un lycéen de nos jours d'imaginer une fonction sans une formule littérale. Et l'Histoire lui donne raison. 

Dans la lignée de François Viète ou des algébristes italiens de la renaissance comme Gerolamo Cardano (1501 - 1576), Niccolo Tartaglia (1499 - 1557) , Rafael Bombelli (1526-1572), … qui ont cherché à simplifier les notations pour améliorer les méthodes de résolution des équations, ajoutons le travail de René Descartes (1596 - 1650, ci-contre) qui, dans son livre La Géométrie (partie intégrée au Discours de la Méthode de 1637),  non seulement donne des bases plus simples pour les écritures littérales (écritures très proches de celles que l'on utilise aujourd'hui), mais il réussit également à caractériser les courbes par leur équation, à savoir une relation algébrique qui lie les abscisses et les ordonnées des points de cette courbe. Voici ce qu'il dit : "prenant successivement infinies diverses grandeurs pour la ligne y, on en trouvera aussi infinies pour la ligne x, et ainsi on aura une infinité de divers points, par le moyen desquels on décrit la ligne courbe demandée". 

Extrait de La Géométrie de Descartes, Édition de 1637 (notations algébriques actualisées),

que vous pouvez trouver ici : https://fr.wikisource.org/wiki/La_G%C3%A9om%C3%A9trie_(%C3%A9d._1637) 

Sans parler proprement de fonction, nous pouvons alors concevoir ce qu'exprime Descartes comme des relations fonctionnelles : faire correspondre des longueurs données à d'autres longueurs connues en un nombre fini d'opérations algébriques. En effet, lorsque les longueurs x et y vérifient par exemple l'équation ax²+bx+y+c=0, alors la longueur y est obtenue en calculant -ax²-bx-c, et ce, pour toute valeur de la longueur x. Mais ce processus ne fonctionne pas avec toutes les équations de courbe. A partir par exemple de l'équation x²+y²=1, équation du cercle de rayon 1, on ne peut pas trouver une valeur de y unique qui corresponde à une valeur de x donnée. Il en est de même avec x en fonction de y. Descartes parle donc bien de courbes, et non de fonctions. 

Le calcul infinitésimal et les séries infinies

Un des grands domaines de recherche des mathématiciens a été depuis toujours le calcul de longueurs, d'aires et de volumes. Les Grecs ont développé différentes méthodes pour y arriver, et particulièrement la méthode dite d'exhaustion. Archimède l'a utilisé en particulier pour déterminer l'aire d'un segment de parabole ou le calcul de l'aire et du volume d'une sphère. (Pour en savoir plus sur la méthode et son application au calcul d'aire d'un segment de parabole, vous pouvez lire la partie B de ce lien : https://www.lelivrescolaire.fr/page/16744056 .)  Aujourd'hui, beaucoup considèrent la méthode d'exhaustion comme la première base du calcul intégral. Cette méthode implique une certaine conception de l'infiniment petit, mais ne s'applique pas à des principes fonctionnels. 

Bien qu'on retrouve des traces des principes de la méthode des indivisibles dans les Neufs Chapitres de l'Art des Mathématiques de Liu Hui (IIIe s.) et dans les travaux de Johannes Kepler,  c'est Francesco Bonaventura Cavalieri (1598-1647) qui développe réellement cette méthode qui permet de dépasser les principes de la méthode d'exhaustion. L'amélioration de ses concepts portera à la construction que l'on connaît du calcul différentiel et intégral, ainsi qu'à définir l'infini et l'infiniment petit. Dans son livre Geometria Indivisibilibus (1635, illustrations ci-contre et ci-dessous, Biblioteca Nazionale Centrale di Firenze) il expose ses principes qu'il corrigera dans les éditions successives. Dans le théorème III du livre II, il écrit : "il y a la même proportion entre deux figures planes qu'entre toutes les lignes de ces deux figures déterminées selon une règle quelconque". Il précise un peu plus loin que ce principe peut s'appliquer à des volumes que l'on découpe en tranches. 

Un exemple simple de ses principes est donné dans le théorème XIX du livre II : dans le parallélogramme ACDF, on considère les deux triangles CAF et CDF. Chacun de ses triangles est formé d'une infinité d'indivisibles suivant la parallèle (CD) qui sont les segments [BM] et [HE]. On trouve ces mêmes indivisibles dans CAF que dans CDF, donc les aires de ces triangles sont égales. 

Il me vient l'envie de vous montrer comment on peut prouver la formule de l'aire d'un disque par ce principe des indivisibles. Prenons un disque de rayon R. Sa circonférence est donc 2πR . Considérons les cercles concentriques de même centre que le disque et contenus dans ce disque. Ce sont les indivisibles de Cavalieri. Coupons ce disque suivant un rayon et déplions les cercles pour former des segments que l'on empile les uns sur les autres. On peut montrer assez facilement que l'on peut former un triangle isocèle avec ces indivisibles, dont la longueur de la base est 2πR et la hauteur R. Son aire est donc 2πRxR/2 = πR². La règle considérée (principe à suivre selon Cavalieri) étant la concentricité, les indivisibles du disque sont donc les mêmes que ceux du triangle, donc, d'après le principe de Cavalieri, les deux figures ont la même aire. Donc l'aire du disque de rayon R est πR². 

Francesco Bonaventura Cavalieri vient de décrire le continu comme composé d'un nombre infini de parties indivisibles, et même s'il conviendra par la suite de mieux préciser "la règle" utilisée afin de ne pas obtenir de résultats aberrants, les principes des indivisibles séduisent. 

Plusieurs mathématiciens s'emparent des idées de Cavalieri, cherchent à préciser ce que représentent réellement ces indivisibles et utilisent les méthodes pour des calculs de quadratures, c'est-à-dire d'aires en lien avec des courbes données. Parmi ces mathématiciens, on peut citer John Wallis (1616-1703, ci-contre) et Gilles de Roberval (1602-1675). Dans son Arithmetica Infinitorum, livre qui porte sur des quadratures de courbes (qu'on appellera par la suite calcul intégral), John Wallis utilise la notation ∞ pour l'infini et D/ pour définir une partie infinitésimale (que l'on peut considérer comme infiniment proche de 0 sans être égale à 0) du diamètre d'un cercle de diamètre D. 

C'est la première fois qu'apparaît ce symbole ∞ dans un document mathématique pour représenter l'infini. Cavalieri, Wallis et Roberval démontrent tous les trois de façon indépendante le même résultat sur les quadratures des paraboles dont l'exposant n est plus grand que 2, à savoir qu'en partant de son sommet, l'aire sous la courbe rapportée à un segment de longueur a est a¹/(n+1), ce que l'on note aujourd'hui par la formule : 

(extrait ci-dessus de Arithmetica Infinitorum de John Wallis)

Précisons également que Gilles de Roberval ajoute un nouvel élément à la conception du mouvement d'un mobile : celui de la tangente. Dans son livre Observations sur la composition et le moyen de trouver les tangentes il énonce comme axiome le principe suivant : "la direction du mouvement d'un point qui décrit une ligne courbe est la tangente de cette ligne courbe en chaque position de ce point". Bien que la méthode décrite par Roberval soit géométrique et non algébrique, ce principe permettra de lier une courbe à ses tangentes (figure illustrant la méthode de Roberval). 

Il faudra attendre Isaac Barrow (1630-1677) pour voir apparaître les premières méthodes qui utilisent des quantités infinitésimales, pour déterminer les tangentes aux courbes. Les mathématiciens de l'époque s'intéressent non seulement au moyen de passer d'une courbe à ses tangentes, mais aussi au problème réciproque, à savoir en connaissant ses tangentes, comment pouvoir déterminer la courbe correspondante. Pour les physiciens, ce problème est particulièrement important dans l'étude du mouvement d'un mobile : en connaissant l'accélération soumise à ce mobile, peut-on en connaître sa vitesse, puis sa trajectoire ?


Bien avant, au XIVe s., au Kerala, une région du sud de l'Inde, des mathématiciens comme Madhava (1350–1425) ou Nilakhanta Somayaji, développent des techniques de calcul qui ont également un lien avec l'infini, les développements en séries : pour déterminer une quantité recherchée, on peut l'exprimer comme une somme (ou un produit) où le nombre de termes (ou de facteurs) est infini. Par exemple, ils montrent que π/4=1-1/3+1/5-1/7+... Il semblerait que les techniques développées par ces mathématiciens ne se soient pas diffusées en dehors de l'Inde.
Lorsqu'on commence à calculer avec l'infinitésimal en Europe, on commence alors également à utiliser les développements en série de certaines quantités. On retrouve John Wallis qui démontre que 4/π=(3x3x5x5x7x7x9x...)/(2x4x4x6x6x8x8x...), mais aussi William Brouncker (1620-1684) qui après avoir calculé la longueur d'un arc de parabole, montre que 4/π=1+1²/(2+3²/(2+5²/(2+...))) , ou encore Nicolaus Mercator (1620-1687) qui dans son livre Logarithmotechnia de 1668 utilise la série x-(1/2)x²+(1/3)x³ -(1/4)x+... pour calculer le logarithme naturel du nombre 1+x. (Il est à noter que depuis John Napier et Henri Briggs, les logarithmes étaient des tables de nombres qui permettaient de simplifier les calculs en transformant des multiplications en additions et les puissances en multiplications et n'avaient rien à voir avec les fonctions).

C'est Nicolaus Mercator qui le premier donna le nom de logarithme naturel au logarithme de base e). Citons enfin James Gregory (1638–1675) qui donne le premier (en Europe) le développement en séries des sinus et cosinus d'un angle z en fonction de cet angle z

Extraits  ci-dessus de Commercium epistolicum J. Collins, Correspondance de J. Collins et d'autres savants célèbres du XVIIe siècle, relative à l'analyse supérieure, réimprimée sur l'édition originale de 1712 avec l'indication des variantes de l'édition de 1722


Avec James Gregory, on est alors très proche de la notion de fonction et ses travaux sur les tentatives de montrer la transcendance des nombres e et π permettent de donner une définition de ce qu'on appellera très bientôt une fonction, "lorsqu'une quantité est obtenue à partir d'autres quantités par une succession d'opérations algébriques ou par n'importe quelle opération imaginable." Parmi les opérations algébriques, il considère alors les quatre opérations (addition, soustraction, multiplication et division) ainsi que les racines et le passage à la limite (séries). A noter enfin que c'est Taylor Brook (1685–1731) qui, dans son livre Methodus Incrementorum Directa et Inversa (1715), donnera une méthode systématique pour développer en séries les fonctions usuelles. 

Newton et Leibniz, l'avènement du calcul différentiel 

Nous voici donc à la fin du XVIIe siècle : on manipule de mieux en mieux les calculs avec les infinitésimaux, les développements en séries, la détermination de tangentes à de courbes, et la méthode inverse des tangentes. On comprend mieux le continu et le passage à l'infini. Indépendamment l'un de l'autre, les travaux de Newton (1642-1727, à gauche) et Leibniz (1646-1716, à droite) vont alors jeter les bases du calcul différentiel qui sera exploitable dans de très nombreux domaines. Les travaux de Newton et de Leibniz sont sensiblement similaires. Il s'agit de déterminer une valeur approchée de la longueur de l'arc de courbe entre M et M′ en utilisant le triangle MAB rectangle en A, où (MB) est la tangente à la courbe en M. 

Newton, célèbre pour sa théorie de la gravitation universelle, publie tardivement ses travaux sur le sujet en 1671 dans Tractatus de Methodis Serierum et Fluxionum. L'influence de la physique y est omniprésente. Il considère un objet se déplaçant du point M au point M′ en un temps infinitésimal qu'il note o. Les vitesses horizontale et verticale de cet objet théorique sont respectivement notées x˙ et y˙​. Il peut alors écrire, dans le triangle ci-dessus, a = x˙o et b = y˙o. Il effectue ses calculs en considérant que certaines valeurs peuvent être négligées puisque le temps o est infinitésimal. Cette démarche lui permet d'aboutir à une approximation valide de la longueur d'arc recherchée. 

Extrait ci-dessus de Tractatus de Methodis Serierum et Fluxionum de Newton.

Leibniz ne connaît pas les travaux de Newton mais trouve que les méthodes de ses contemporains sont trop compliquées et cherche à les simplifier. En 1684, il écrit un mémoire où il introduit ses idées : Nova Methodus pro Maximis et Minimis, itemque Tangentibus..., & Singulare pro illis Calculi Genus. Il note a = dx, b = dy et c = ds les longueurs du triangle MAB précédent qu'il appelle triangle caractéristique infinitésimal. Il utilise le théorème de Pythagore et simplifie ses calculs en expliquant lui aussi que certaines valeurs peuvent être considérées comme négligeables.

Ci-dessus, Nova Methodus pro Maximis et Minimis de Leibniz.

Même s'il reste beaucoup de points encore à préciser, Newton et Leibniz viennent de jeter les bases du calcul différentiel.


C'est dans un livre de Leibniz, La Méthode inverse des tangentes ou à propos des fonctions de 1673, que l'on trouve pour la première fois les mots “fonction” et “variable”. Il y écrit qu'il "appelle fonctions toutes les portions des lignes droites qu'on fait en menant des droites indéfinies qui répondent au point fixe et aux points de la courbe; comme sont les abscisse, ordonnée, corde, tangente, perpendiculaire, sous-tangente … et une infinité d'autres d'une construction plus composée, qu'on ne peut figurer".

A noter que Leibniz introduit également la notation ∫ pour l'intégration et généralise l'utilisation du "." pour la multiplication et du symbole "÷" pour la division. C'est grâce à lui et à Newton que se généralise l'utilisation du symbole "=".

Les frères Jacques (1654-1705) et Jean Bernoulli (1667-1748, ci-contre) sont immédiatement séduits par les calculs de Leibniz. Ils les reprennent et les utilisent abondamment pour obtenir bon nombre de nouveaux résultats mathématiques. Cette utilisation des méthodes de Leibniz assure une rapide diffusion du calcul infinitésimal et des notations différentielles. En 1718, Jean Bernoulli propose la définition suivante : "on appelle fonction d'une grandeur variable une quantité composée, de quelque manière que ce soit, de cette grandeur variable et de constante" et propose la notation Φx pour une fonction dont la variable est x.

Plus tard, reprenant les notations de Leibniz, la dérivée d'une fonction f par rapport à sa variable x sera notée  df/dx. 

De la fonction exponentielle à la classification des fonctions par Leonhard Euler


On sait depuis longtemps calculer des puissances entières comme 3⁴=3×3×3×3. Mais quelle signification pourrait-on donner à des puissances irrationnelles comme par exemple 3^√ 2 La réponse rigoureuse à ce besoin n'a pu se faire qu'avec le développement du calcul différentiel, la formalisation de la notion de fonction et la construction de la fonction logarithme. Nous voici donc à nouveau entre la fin du XVIIe siècle et le début du XVIIIe.

Dans une lettre de 1690 de Leibniz à Christiaan Huygens (1629-1695), on trouve la première définition de la base naturelle des logarithmes, nombre qui sera plus tard noté e. En 1690, Jacques Bernoulli étudie le problème des taux d'intérêt composés continus et, en 1694, les échanges entre Jean Bernoulli et Leibniz permettent de mieux définir la fonction exponentielle. Dans son Principia Calculi Exponentialium seu Percurrentium publié en 1697, Jean Bernoulli étudie complètement la fonction exponentielle. C'est à Leonhard Euler (1707-1783, voir ci-contre) que l'on doit la première utilisation de la lettre e comme notation pour la base du logarithme naturel (1728) et comme notation pour l'exponentielle. En 1778, il démontre que e est un nombre irrationnel et il en donne une valeur approchée à 23 décimales. Il faudra enfin attendre 1874 et les travaux de Charles Hermite (1822-1901) pour prouver que le nombre e est transcendant, c'est-à-dire qu'il ne peut pas être solution d'une équation algébrique. 

En 1748, Euler publie son formidable Introductio Analysin Infinitorum. Dans l'introduction de ce livre, il donne les définitions de ce qu'est une constante, une variable et une fonction : 

Et juste après, il en donne une classification : 

Par opérations transcendantes, Euler entend des fonctions obtenues par répétitions d'opérations à l'infini, comme un développement en série. On y trouve donc les fonctions trigonométriques, les intégrales, les puissances irrationnelles ainsi que les fonctions logarithmes et  exponentielle.

Euler précise enfin différentes catégories de fonctions algébriques : 

(Extraits ci-dessus de la traduction du latin en français de Introductio Analysin Infinitorum de Leonhard Euler par J. B. Labey éditée en 1796)

Outre les nombreux résultats démontrés par Euler (il a rédigé plus de 800 articles qui tiennent sur 74 volumes), on lui doit aussi les notations e, l’imaginaire i, sin, cos, tan,... la systématisation de l’utilisation du symbole π (utilisé par John Wallis), et les termes “dérivée” et “primitive”. 

Les fonctions ont enfin une existence en tant que telles. L'étude des fonctions va devenir un nouveau domaine des mathématiques : l'analyse. Ce domaine va permettre de mieux définir ce qu'est une limite, une intégrale, une dérivée, la continuité et la convexité des fonctions. Notons par exemple que l'on doit à Jean-Baptiste D'alembert (1717-1783)  la définition de la dérivée comme limite lorsque y tend vers x du quotient (f(y)-f(x))/(y-x), qui est celle que l’on apprend actuellement au lycée, ou à Joseph Louis Lagrange (1736-1813, ci-contre) que l'on doit les notations f' , f'', etc pour les dérivées successives d'une fonction f

Et enfin, sur les fonctions numériques et sur la géométrie 

L'analyse moderne apporte des nouvelles solutions pour étudier et comprendre les fonctions, résoudre des équations de plus en plus sophistiquées, répondre à des problèmes qui permettent de développer la technologie. Prenons l'exemple d'Augustin Cauchy ( 1789-1857) dont le cours d’analyse de l’Ecole Polytechnique devient une référence durant tout le XIXe siècle, mettant en avant la rigueur qu’il manquait encore aux mathématiciens (on y trouve, entre autres, les définitions rigoureuses de limites et de continuité). Ou l'exemple du physicien et mathématicien Jean Baptiste Joseph Fourier (1768-1830, ci-contre) qui  travaille, entre autres, sur la théorie de la chaleur. Pour élaborer ses résultats, il développe des méthodes de calculs basées sur les séries trigonométriques et des transformations qui portent son nom. Ses méthodes sont toujours utilisées aujourd’hui dans la compression numérique des sons, des images et des communications téléphoniques. 

Comme nous venons de le voir, pendant des siècles, l'Homme a cherché à intégrer la notion de continu à la définition de fonction. Le très rigoureux mathématicien Gustav Dirichlet (1805-1859, ci-contre) démontre des conjectures levées par Fourier et met en évidence des erreurs commises par Cauchy. Il propose également une fonction très particulière (dite de Dirichlet) : f(x) = 0 si x est rationnel et f(x) = 1 sinon. Cette fonction n'est en tout point ni continue, ni dérivable et n’est pas non plus intégrable sur quelqu'intervalle. Il propose alors une définition plus simple pour une fonction numérique : un lien (quelconque) qui à tout x fait correspondre un seul y fini. 

La géométrie sera également bouleversée par les fonctions au XIXe siècle. Pendant des millénaires, on a étudié la géométrie pour déterminer des longueurs, des aires, des volumes, pour étudier des propriétés à certaines figures et apporter des bases à des démonstrations algébriques. Pendant près de deux millénaires, la géométrie s'est fondée sur les Eléments d'Euclide et ses 5 postulats. 

Ci-desus, problème géométrique, extrait du papyrus de Rhind, 2000 av. J.-C., British Museum


A la Renaissance, les mathématiques sont venues en aide aux artistes en leur offrant une géométrie différente avec les règles de la perspective : ce sont les premiers pas d'une géométrie projective qui remet en question le 5e postulat d'Euclide, celui sur les droites parallèles, que l'on peut exprimer comme "par un point extérieur à une droite, il passe toujours une parallèle à cette droite et une seule". En effet, en perspective, des droites parallèles qui s'éloignent de nous sont représentées par des droites sécantes…

Ci-dessus, Piero della Francesca - La città Ideale - Galleria Nazionale delle Marche - Urbino

Au début XVIIe siècle les mathématiques se développent sur l'idée d'une analyse algébrique appliquée aux problèmes géométriques et mécaniques (Descartes, Newton et leurs successeurs). Leibniz songe à généraliser cette idée, non sur un repérage permettant d'associer des équations aux grandeurs, mais sur un calcul algébrique directement appliqué aux grandeurs géométriques ou mécaniques. 

Des scientifiques comme Galilée puis Newton se sont aussi appuyés sur la géométrie pour chercher à expliquer la cinématique et les forces en introduisant de nouvelles notions comme celles sur les vecteurs. Mais c'est au XIXe siècle que Giusto Bellavitis (1803-1880, calcul sur les équipollences, 1835), William Hamilton (1805-1865, théorie des quaternions, 1843) ou Hermann Grassman (1809-1877, Die Lineale Ausdehnungslehre ou « théorie de l'extension », 1844, à droite) réaliseront ce programme en introduisant un calcul vectoriel proche du nôtre. 

Avec l'apparition, entre autres, des fonctions, de l'algèbre et du calcul différentiel, la géométrie s'éloigne de plus en plus de celle proposée dans les Éléments d'Euclide. Nikolaï Ivanovitch Lobatchevski (1792-1856, à gauche) remet définitivement en cause le 5e postulat d’Euclide sur les droites parallèles et publie trois livres sur le sujet en présentant ces nouvelles géométries. 

Bernhard Riemann (1826-1866) fut l'élève de Gauss et de Dirichlet. Même s’il a peu publié, ses travaux révolutionnent profondément tous les domaines mathématiques qu’il aborde. Il élabore une nouvelle théorie de l’intégrale (intégrale de Riemann). Il apporte une nouvelle vision de la géométrie en jetant les bases de la géométrie différentielle, ce qui ouvre la voie au développement des géométries non euclidiennes et à la théorie de la relativité générale. 

 Figure illustrant qu'en géométrie hyperbolique, par un point M extérieur à une droite D donnée, on peut construire une infinité de droites parallèles à D.


Felix Klein (1849-1925) se lie d’amitié avec Sophus Lie (1842-1899) et travaillent ensemble sur la théorie des groupes. Leurs résultats influencent fortement sa vision de la géométrie. En 1871 il publie deux articles qui unifient les géométries euclidiennes et non euclidiennes. L’année suivante, il crée le programme d’Erlangen qui classe les géométries en fonction de leur groupe de transformations (en particulier, les invariants d'un ensemble géométrique par certaines fonctions qui agissent sur cet ensemble). Ce travail reste encore la base de la géométrie de nos jours.

L'orthogonalité sur la surface de gauche est respectée dans sa représentation sur la carte de droite 

Concluons cet article en parlant d'Henri Poincaré (1854-1912), un des derniers savants universels, qui définit les mathématiques, dont la géométrie, non pas comme l’étude d’objets mais comme l’étude des relations entre ces objets, c'est-à-dire des liens fonctionnels entre ces objets. Etienne Ghys dira de lui “qu’il a libéré notre pensée”. 

A propos de

Article publié dans Un Petit Livret Autour de la Vie des Mathématiques au Lycée Stendhal de Milan - Edition 2024, par Dominique De Luca, professeur de mathématiques au lycée Stendhal de Milan, auteur pour la maison d'édition Lelivrescolaire. 

Bibliographie : 

- Mathématiques à travers les siècles, tome 2, Michel Garcia, Calvage et Mounet, Orizzonti
- Faire des mathématiques avec l'histoire au lycée, Evelyne Barbin, Ellipses
- Trente livres de mathématiques qui ont changé le monde, Jean Claude Boudenot et Jean jacques Samueli, Ellipses poche

- Dictionnaire des mathématiques élémentaires, Stella Baruk, Seuil

Sitographie :
- Maths.Ita, https://sites.google.com/view/maths-ita/Home
- Histoires de Mathématiques, https://www.hist-math.fr/

- Mac Tutor, https://mathshistory.st-andrews.ac.uk/

- Math93.com, https://www.math93.com/

- Internet Archive, https://archive.org/

- Gallica, Bibliothèque Nationale de France, https://gallica.bnf.fr/accueil/fr?
- Cuneiform Digital Library Initiative, https://cdli.mpiwg-berlin.mpg.de/

- Le Livre Scolaire, https://www.lelivrescolaire.fr/matiere/mathematiques

- Un grand merci à Géogébra et à Wikipedia 

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