Une histoire des cartes et des mathématiques

Des premières cartes aux mesures de l'Antiquité


Des traces dessinées, gravées ou écrites que l'on a retrouvées, on peut constater que l'Homme a de tout temps cherché à représenter le monde qui l'entoure.

Une fois n'est pas coutume, une tablette mésopotamienne en argile de 3000 av. J.-C. est considérée comme la plus ancienne des cartes : il s'agit de la carte de Ga-Sur (Irak).

En Europe, on peut considérer que la dalle de Saint Bélec (Bretagne - environ 2000 av. J.-C.) et une des incisions rupestres laissées par les Camuni (En dessous - Lombardia - environ 1000 av. J.-C.) comptent parmi les deux plus vieilles représentations retrouvées d'une partie du monde effectuées par nos ancêtres. 

Une photo de la dalle de Saint Bélec 

Une photo de la carte d'un village des Camuni 

Dans le Petit Robert (1), on peut trouver deux définitions du mot "carte" qui vont nous intéresser cette semaine. La première est celle du support en général : rectangle de papier, de carton (que l'on peut aussi généraliser au parchemin ou au papyrus, ainsi qu'à tout autre matériau dont on peut se servir pour écrire et dessiner (2)). La seconde est la représentation à échelle réduite de la surface du globe. Dans cette seconde définition, on le verra un peu plus loin, le Petit Robert met de côté une difficulté inhérente à la réalisation d'une carte géographique : comment passer d'une surface sphérique, celle de la terre, à une surface plane et rectangulaire en maintenant des rapports constants de longueur sur chacun des supports.

Pour chercher à répondre à ces difficultés et représenter du mieux possible la terre, l'Homme a inventé deux disciplines scientifiques : la géographie et la géométrie. Étymologiquement, la première désigne la science qui dessine la terre (geo + graphie) et la seconde celle qui mesure la terre (geo + métrie). Dès l'antiquité grecque, il est évident que la Terre est sphérique (les Grecques en donnent même une démonstration). C'est à Anaximandre de Milet (environ 500 av. J.-C.), le successeur de Thalès à la tête de l'école milésienne (et très certainement son élève) que l'on attribue le 1er Écoumène, c'est-à-dire la première représentation du monde habité. 

Quelques siècles plus tard, Eratosthène (environ 200 av. J.-C.) mesure le rayon de la sphère terrestre. Il part d'une constatation : au solstice d'été, le 21 juin à midi, le soleil pénètre jusqu'au fond des puits de sa ville natale Syène (3) qui se situe sur le tropique du cancer. Le 21 juin à midi, les rayons du soleil forment un angle de 7,2° avec les monuments (verticaux) d'Alexandrie. Syène et Alexandrie se situent sur un même méridien (4). Il décide alors de mesurer la distance entre Alexandrie et Syène et obtient 5000 stades (unité de mesure égyptienne de son époque qui correspond à environ 157,5 m). Il a donc tous les éléments pour déterminer la circonférence puis le rayon de la Terre. 

En effet, les rayons de soleil (DB) et (EA) sont parallèles. Donc les angles correspondants DBC et EOB   ont la même mesure. Sur la surface de la Terre, ces 7,2° correspondent à 5000 stades, donc par proportionnalité (un tour de la Terre faisant 360°), la circonférence de la terre est de : 5000 x 360/7,2 = 250000 stades.

La circonférence d'un cercle est donnée par la formule 2πR donc R = 250000/(2π) ce qui donne environ 39789 stades, c'est-à-dire environ 6267 km. Cette mesure est excellente : de nos jours, on retient que le rayon de la Terre vaut environ 6371 km. (Trouver cette valeur n'a pas été si simple que dans ce court paragraphe et je ne peux que vous inciter à lire la très belle histoire romancée du calcul de cette mesure remarquablement racontée dans les Cheveux de Bérénice de Denis Guedj (5)).


(1) Dictionnaire unilingue de la langue française : https://www.lerobert.com/le-petit-robert-de-la-langue-francaise-bienvenue.html

(2) Note de l'auteur

(3) Actuelle ville d'Assouan en Egypte

(4) Lorsqu'on considère que la Terre est une sphère, un méridien est un demi cercle de cette sphère d'extrémités les pôles.

(5) Mathématicien et romancier, décédé en 2010. Il est devenu célèbre du grand public mondial par son livre Le Théorème du Perroquet qui raconte une histoire des mathématiques sous forme romancée autour d'une enquête policière : https://fr.wikipedia.org/wiki/Denis_Guedj

Une carte est une application 

Mathématiquement, représenter un monde, que l'on appelle ici X, sur un support plan (en papier ou autre) que l'on appelle ici Y, c'est réaliser une carte. On peut appeler f cette carte et on la note par exemple f : X → Y. Chaque point x de X est représenté par un point y de Y. On note alors y = f(x) et on dit que f(x) est l'image de x par la carte f. Y résultera alors l'image de X sur Y par la carte f, ou encore tout simplement le graphe de f. f est ce qu'on appelle une application (6). Dans des cas particuliers, on lui donne aussi le nom de fonction, transformation, bijection, isométrie, projection, etc.

On peut constater qu'il est particulièrement intéressant d'avoir des cartes dites "injectives", c'est-à-dire que deux points différents dans X sont bien représentés par deux points différents dans Y (7).

Un des intérêts que l'on peut attribuer aux cartes, c'est que Y soit à une taille telle qu'on puisse l'emporter avec soi et l'utiliser pour se repérer et se déplacer dans X. Dans le cas de la Terre, les distances entre deux points sont telles que la carte doit les réduire. Mais comment ? Prenons deux points x et x sur la Terre et leurs images respectives y et y sur le support Y. Notons dX(x;x) la distance entre x et x (mesurée sur X) et dY(y;y) la distance entre leurs deux images (mesurée sur Y).

On cherche donc à avoir dY(y;y) < dX(x;x).

Dans la deuxième définition citée par le Petit Robert, on a même dY(y;y) = k dX(x;x) où k désigne un coefficient de proportionnalité (réel dans l'intervalle ]0 ; 1[ car c'est une réduction). Avec une carte au cent millième, deux points distants de 1 km sur la terre sont représentés par deux points distants de 1 cm. k = 1/100000. Ce nombre k est appelé l'échelle de la carte.

Cependant, est-il possible de réaliser de telles cartes à l'échelle ? Certains diront que oui car on les trouve dans le commerce. Et pourtant…

Voici un tableau qui donne les distances en km entre 4 villes (mesurées sur la sphère Terre) :

distances Athènes Madrid Paris Oslo

(ces valeurs ont été obtenues à partir du site Movable Type Scripts que vous pouvez trouver à l'adresse : http://www.movable-type.co.uk/scripts/latlong.html

Avec ces informations, peut-on tracer une carte au cent millionième (1 cm pour 1000 km) ?

Plaçons d'abord les images M et A de Madrid et d'Athènes. On a MA = 1,743 cm. O, l'image d'Oslo se trouve à 2,612 cm de A et à 2,224 cm de M. O est donc à l'intersection des cercles respectifs de centre A et de rayon 2,612 et de centre M et de rayon 2,224. Il existe en fait 2 points. Choisissons celui que l'on définit "au nord" (8).

Essayons de placer P l'image de Paris.

On doit avoir OP = 1,351 cm,

MP = 0,9366 cm et 

AP = 2,414 cm. 

On a alors 6 positions possibles pour Paris, dont 3 sont relativement proches (P, P et P). Mais aucune n'est à l'intersection des 3 cercles. On constate donc que, dans ces conditions, il n'est pas possible de placer Paris.

Ce phénomène est dû au fait qu'on ne mesure pas les distances de la même façon dans X et dans Y. X, la Terre, est une sphère. La distance entre deux points x et x est donnée par la longueur du petit arc de cercle de centre le centre de la Terre et d'extrémités x et x

Dans Y, la distance entre deux points y et y est donnée par la longueur du segment d'extrémité y et y. (Pour illustrer le problème, on peut imaginer écraser la pelure d'une mandarine. Celle-ci n'arrive pas à rester plate et se déchire en différents endroits : 

Force est donc de constater que notre coefficient k ne pourra pas être constant pour réaliser la carte de toute ou partie d'un monde X sphérique.

Mais il en faut bien plus pour décourager les mathématiciens! Et durant ces deux derniers millénaires, certains s'attachent à trouver des résultats qui vont intéresser les cartographes.

Citons l'exemple de John Milnor, mathématicien du XXe siècle, qui démontre dans un article de 1969 (A problem in cartography) que parmi toutes les cartes f : X → Y, il en existe au moins une dont la précision est la meilleure possible.

Cela ne veut pas dire que l'échelle k est constante, mais qu'on peut trouver des méthodes pour avoir tous les rapports k utilisés pour une même carte les plus faibles possibles. John Milnor a reçu la médaille Fields en 1962 et le prix Abel en 2011 pour l'ensemble de ses travaux. Ce sont les plus prestigieuses récompenses qu'un mathématicien peut recevoir. On retrouvera plus tard la carte mise au point par Milnor pour obtenir le moins de déformation possible.


(6) Une application est un processus qui permet de faire correspondre les éléments d'un ensemble à un élément d'un autre ensemble.

(7) Attention : beaucoup de projections mathématiques ne sont pas injectives. Dans notre exemple, cela dépend principalement de X.
(8) Le nord est traditionnellement placé vers le haut d'une carte, le sud vers le bas. 

Et même si les cartes ne respectent pas les longueurs… 

Hipparque (environ 150 av. J.-C.) et Ptolémée (2e siècle) (9) ont été les premiers à se poser la question de la représentation la plus précise possible de la surface de la Terre sur un plan et à donner une approche scientifique à la cartographie. Ils ont pu constater l'impossibilité de conserver les longueurs de X sur Y. La carte utilisée par Ptolémée pour réaliser son Écoumène est un exemple de projection conique équidistante (projection de la sphère X sur un cône) : 

Mais si on ne peut pas conserver les rapports de longueurs sur X en passant à Y, est-il possible de conserver d'autres caractéristiques du monde X que l'on souhaite cartographier ? Les mathématiciens ont montré que oui. Dans le cas des cartes d'une sphère X sur un plan Y, il en existe trois. 

Il y a les cartes qui conservent les angles (on parle de projections conformes). Elles conservent localement sur Y les formes qui peuvent exister localement sur X. 

Exemple de la projection en quinconce de Peirce 

Il existe aussi les cartes qui conservent les aires (on parle de projections équivalentes). 

Exemple de la projection de Eckert 

Il y a enfin le cas des cartes qui ne conservent ni les aires ni les angles (on parle alors de projections aphylactiques), mais qui peuvent conserver les distances dans des cas particuliers comme sur les méridiens (10) (projections équidistantes). 

Exemple d'une projection équirectangulaire 

Une carte ne peut pas à la fois être conforme et équivalente. Le choix d'une carte dépend donc de l'utilisation qu'on veut en faire. Les projections équivalentes sont très utilisées pour les atlas, en géographie physique ou politique, car elles respectent les aires relatives des différents pays. Les projections conformes sont utilisées pour les cartes marines ou topographiques (cartes qui représentent des reliefs) car elles permettent aux navigateurs ou aux randonneurs de suivre un cap, les angles étant les mêmes sur la sphère X que sur le support utilisé Y. Certaines cartes ne respectent même aucun de ces critères de conservation : on parle alors de compromis. 

Exemple, la projection de Giovan Battista Nicolosi (XVIIe siècle) 

ou les photographies de la Terre prises par des satellites qui, à l'exception de cas particuliers liés aux objectifs et à la position de l'appareil, donnent des cartes ni conformes ni équivalentes. Elles correspondent à une projection azimutale orthographique 

ou encore, la projection de Spilhaus (XXe siècle), déroutante, qui présente les océans comme une seule immense mer intérieure : 

(9) Claude Ptolémée a rédigé principalement deux ouvrages scientifiques, L'Almageste (sur l'astronomie) et La Géographie qui ont servi de référence et influencé le monde autour de la Méditerranée pendant plus d'un millénaire. https://fr.wikipedia.org/wiki/Claude_Ptol%C3%A9m%C3%A9e

(10) Lorsqu'on considère que la Terre est une sphère, un méridien est un demi cercle de cette sphère d'extrémités les pôles. 

Différentes projections 

En pratique, pour réaliser une carte, on envisage une application géométrique où les distances sur X et celles de Y sont le plus proches possibles. Ensuite, on va réduire à l'échelle le résultat obtenu sur Y et on aura ainsi la carte souhaitée. Expliquons sur quoi se basent les projections pour passer de X à Y.

a) La projection cylindrique

Lorsque Y est un cylindre de révolution, qu'on le découpe le long d'une de ses génératrices (11) et qu'on le met à plat, on obtient alors un rectangle (si cher à la définition du Petit Robert). 

Plaçons la terre à l'intérieur de ce cylindre, en la prenant par exemple tangente à l'équateur. On peut alors projeter deux points x et x de X sur Y de différentes façons. Une est de tracer des droites perpendiculaires à l'axe des pôles et passant chacune par x et x. L'intersection de ces droites avec le cylindre Y donne alors y et y. Cette projection est appelée la projection cylindrique équivalente de Lambert, du nom du mathématicien qui l'a utilisée au XVIe siècle. 

Il y a 2200 ans, dans son livre exceptionnel De la Sphère et du Cylindre, Archimède démontre qu'une sphère a la même aire que son cylindre tangent (sans ses disques de base) dont la hauteur est égale au diamètre de la sphère. L'aire du cylindre est donnée par celle du rectangle obtenu en le découpant. Dans notre cas, soit r le rayon de la sphère. La hauteur du cylindre est donc de 2r. L'autre dimension du rectangle est celle de la circonférence de la sphère, soit 2r. L'aire du cylindre est donc égale à 2r x 2r = 4r² . Donc l'aire de la sphère de rayon r vaut aussi 4r² . Dans son livre, en faisant cette démonstration, Archimède montre ainsi que toute surface de la sphère X se projette en une surface de même aire sur le cylindre Y, donc, que c'est une projection équivalente. (C'est-à-dire que l'aire du "carré" bleu ci-contre est égale à celle du "rectangle" rouge). Archimède aurait souhaité faire gravé sur sa tombe une sphère tangente à un disque.

Il y a également d'autres moyens d'obtenir y et y avec des projections cylindriques. Nous en reparlerons. 

b) La projection conique

Lorsque Y est un cône, qu'on le découpe selon une des ses génératrices (12) et qu'on le met à plat, on obtient un secteur circulaire (que l'on peut intégrer dans un rectangle au besoin). 

On place la Terre à l'intérieur de ce cône . En général, on fait en sorte que le sommet du cône se situe sur l'axe des pôles et que le cône soit tangent à la sphère le long d'un parallèle. On peut alors projeter deux points x1 et x2 de X sur Y de différentes façons. Une est de tracer les demi-droites d'extrémité le centre de la Terre et passant chacune par x et x. L'intersection de ces demi-droites avec le cône Y donne alors y et y

c) La projection azimutale :

Y est un plan qui est tangent à la Terre en un point (appelons le S). Dans le cas d'une d'une projection stéréographique (cas particulier d'une projection azimutale), on prend également le point diamétralement opposé à S (appelons le N). On peut alors projeter deux points x et x de X sur Y de la façon suivante : on trace les demi-droites d'extrémité N et passant chacune par x et x. L'intersection de ces demi-droites avec le plan Y donne alors y et y. Cette projection est conforme, c'est-à-dire que les angles mesurés sur X sont les mêmes que ceux mesurés sur Y. Ici, on peut constater que, en tant que mesure d'angles, on a : xxx = y₂yy  . On attribue à Hipparque la première démonstration historique de cette propriété. 

Voyons le cas de la projection azimutale équidistante : Y est tangent à la Terre en N. On considère les méridiens qui passent par x et x. On trace les droites tangentes à ces méridiens passant par N. Sur ces méridiens, on place alors les points y et y de telle sorte que les longueurs Ny et Ny soient les mêmes que celles des arcs de cercle de méridien Nx et Nx.  Cette projection a été utilisée pour la première fois par le grand mathématicien Al Biruni au début du XIe siècle. 

Vous vous souvenez qu'un peu plus haut dans l'article, on avait indiqué qu'on ne pouvait pas avoir les longueurs conservées partout ? Et bien dans son article de 1969, John Milnor considère le cas d'une zone de la Terre contenue dans une calotte sphérique. Il démontre que la projection azimutale équidistante est la seule carte d’une calotte sphérique qui possède la meilleure précision, c'est-à-dire celle où les écarts entre les rapports de longueurs sur X et Y sont les plus petits possibles. C'est cette projection que les Nations Unies ont retenu pour réaliser leur emblème : 

(11) Un cylindre est un solide obtenu par le déplacement d'une droite, qui garde la même direction, le long d'une courbe fermée. Cette droite est alors appelée la génératrice du cylindre et la courbe sa directrice. Lorsque la droite est perpendiculaire à sa directrice, on parle de cylindre droit. Lorsque la directrice est un cercle, on parle de cylindre circulaire. Enfin, lorsque que le cylindre est à la fois droit et circulaire, on parle de cylindre de révolution. C'est celui qui est étudié en collège.

(12) Un cône est un solide obtenu par la déplacement d'une droite qui passe par un point fixe S le long d'une courbe fermée. Cette droite est alors appelée la génératrice du cône et la courbe sa directrice. Lorsque la directrice est un cercle dont le centre et S définissent une droite perpendiculaire au disque de circonférence la directrice, on parle de cône de révolution. C'est celui qui est étudié au collège. 

D'autres distances pour une carte 

Mais certains diront OK, tout ceci reste théorique, et que la Terre n'est pas une sphère… parfaite. En effet, elle est non seulement écrasée en ses pôles, mais sa surface n'est pas non plus lisse. Bref, sa forme fait plutôt partie de la famille des "patatoïdes". Que peut-on bien en faire de ces projections conçues pour un monde sphérique X ? Et bien, au début du XIXe siècle, la géométrie avance à grands pas vers de nouveaux univers qui ne sont plus liés à leurs définitions grecques. Un des plus grands mathématiciens de l'Histoire, Carl Friedrich Gauss, se voit confier la cartographie du royaume de Hanovre. Il en profite au passage pour démontrer le résultat suivant : il est toujours possible de faire la carte d'un pays de façon conforme, même s'il est sur une surface X de forme "patatoïde". C'est le théorème de représentation conforme locale.

Il démontre ce résultat en utilisant des nombres dits complexes sous leur forme algébrique dont il est le créateur (G = a + ib, où a et b sont deux nombres réels et i vérifie i² = -1). En cherchant également à caractériser une surface par ce qu'on appelle sa courbure (les terminales, pensez au vecteur normal d'un plan), Gauss est le premier à montrer qu'il n'existe pas de cartes qui préservent à la fois les angles et les longueurs.

Pour les plus forts d'entre vous, pour en savoir plus sur le sujet des courbures (avec beaucoup d'autres liens) : https://lipsum.dev/2020-08-1-gauss-open-street-map-surfaces/ ,

ou cet autre article pour visualiser une courbure : https://images.math.cnrs.fr/Visualiser-la-courbure?lang=fr

Depuis la fin du XIXe siècle, la géométrie prend un tout autre aspect que par le passé, et s'intéresse dorénavant à ce qu'on appelle les géométries non euclidiennes (13). Ce sont ces géométries qui nous permettent aujourd'hui d'innover et de progresser en cartographie. Et pas seulement…


Jusqu'à présent, nous avons considéré qu'il y a équivalence entre distance et longueur. Mathématiquement, une longueur est bien une distance, mais il existe d'autres mesures que l'on peut considérer comme des distances et qui ne sont pas des longueurs. Une distance mathématique est elle aussi une application, qu'on peut appeler d, d'un ensemble quelconque, qui à deux points de cet ensemble, que l'on peut appeler x et x, associe un nombre réel positif que l'on peut noter d(x;x) et qui doit vérifier 3 propriétés :

i) d(x;x) = d(x;x); ii) d(x;x) = 0 si et seulement si x = x;

iii) pour tout point x , on a d(x;x) ≤ d(x;x) + d(x;x). C'est la fameuse inégalité triangulaire.

A ce titre, vous pouvez vérifier que le temps est également une distance. 

Mathématiquement, il devient donc possible de réaliser des cartes qui ne soient pas associées à des longueurs, mais à des temps.

Voici par exemple une carte de la France vue par les TGV de la SNCF en 2015 (en rose) : 

Cette carte a été réalisée en prenant les temps de parcours à partir de Paris. On appelle ça une carte isochrone : c'est en fait une projection azimutale équidistante de la France qui utilise les temps de parcours des trains comme distance et où le plan de projection est tangent en la ville de Paris. 

On peut aller encore plus loin. Intéressons-nous maintenant à une mesure sur notre monde X. En mathématiques, une mesure est moins contraignante qu'une longueur. Le nombre d'habitants d'un pays peut être considéré comme une mesure sur ce pays. Essayons par exemple de représenter le monde par la population de ses pays P par une carte f du monde X sur Y. Cela se note f : X→ Y et on souhaite que l'aire de P corresponde à la population de P, soit aire(P) = pop(P).  La construction mathématique d'une telle carte n'a rien d'évident, et il a fallu attendre un double théorème, celui de Oxtoby-Ulam et Moser à la fin du XXe, début du XXIe siècle pour démontrer leur existence. Au départ, ce double théorème n'avait aucun rapport avec la cartographie et ce n'est qu'à partir de 2004 qu'il y a été appliquée. En substance, le théorème dit ceci : prenons dans chaque partie P de X  une certaine mesure m(P) qui, dans notre exemple, est le nombre d’habitants dans P. Alors, il existe (au moins) une carte f : X → Y telle que m(P) = aire(f(P)).

Par la suite, m peut se rapporter à ce que l'on souhaite : la population mais aussi le nombre d'ordinateurs, de voitures, la richesse, l'empreinte carbone etc…

Voici trois exemples de ce que cela donne :

Population mondiale en 2022 

Empreinte carbone par habitant en 2019

ou cette très belle représentation de l'anthropocène (impact de l'être humain sur la planète) 

Vous trouverez d'autres exemples sur le site https://worldmapper.org/ 

(13) La géométrie euclidienne est celle développée dans Les Eléments d'Euclide (mathématicien, environ 300  av. J.-C.), l'encyclopédie des mathématiques durant près de deux millénaires. C'est la géométrie qu'on apprend au collège. Elle se base sur 5 postulats, le 5e étant équivalent à : "par un point extérieur à une droite, il passe toujours une parallèle à cette droite, et une seule". Les géométries non euclidiennes sont celles qui n'acceptent pas ce postulat. Les géométries riemanniennes, projectives (pensez à la perspective par exemple), hyperboliques ou elliptiques sont des exemples de géométries non euclidiennes. Par exemple, en géométrie elliptique, les cercles passant par les pôles d'un ellipsoïde (ou d'une sphère) sont considérés comme des droites parallèles, même s'ils sont tous sécants aux pôles. Cette propriété ne respecte donc pas le 5e postulat d'Euclide.

De nos jours, une géométrie ne se définit plus par rapport à des postulats mais par la donnée d'un espace E et d'un ensemble G de transformations des éléments de E. Étudier la géométrie revient à étudier les propriétés invariantes par les transformations de G, … et la géométrie euclidienne ne s'oppose plus aux autres géométries. 

Mercator 

Note de l'auteur : cet article a été publié lors de la semaine des mathématiques 2023, en parallèle à un concours où il fallait, entre autres, deviner le nom d'un mathématicien en lien avec le thème de la semaine. 

Le mathématicien qu'il fallait deviner cette semaine était Mercator, de son vrai nom Gérard de Kremer. Il est né le 5 mars 1512 à Rupelmonde et mort le 2 décembre 1594 à Duisbourg. Il a étudié dans sa ville natale puis à Bois le Duc et à Louvain. A 31 ans, il connaît des démêlés avec les autorités ecclésiastiques qui le soupçonne d'hérésie. En 1544, il est emprisonné au château de Rupelmonde, mais en l'absence de preuves, il sera libéré 7 mois plus tard. Toujours sous l'effet du choc de son incarcération, à 40 ans, il décide de s'installer à Duisbourg où il exerce le métier de cartographe. C'est là qu'il va élaborer la projection qui porte son nom. Cette projection est conforme et permettra aux marins de tracer et suivre leur route sur les cartes telles que sur la mer. L'utilisation de ses cartes aura une grande influence sur le contrôle et l'expansion de routes commerciales par les Pays Bas. 

La projection de Mercator :

Y est un cylindre, qu'on découpe le long d'une de ses directrices et que l'on met à plat, on obtient alors un rectangle (comme pour toutes les projections cylindriques). Plaçons la terre à l'intérieur de ce cylindre, en la prenant tangente à l'équateur. Soient deux points x et x de X. Les demi-droites d'origine le centre de la terre et passant respectivement par x et x coupent Y en y et y. C'est une projection conforme. 

La distance la plus courte entre deux points de la surface de la Terre est représentée par le petit des deux arcs de cercle qui passent par ces deux points et dont le centre est le centre de la Terre (arc rouge). On l'appelle une orthodromie. Sur la mer, les marins préfèrent suivre des routes à cap constant. Cette trajectoire s'appelle une loxodromie (arc jaune). Ce n'est pas le chemin le plus court entre deux points de la Terre, mais c'est le plus facile à suivre. Sur une projection de Mercator, les loxodromies sont représentées par des droites : pour un marin, tracer une droite sur cette carte passant par sa destination et le point où il est lui donne le cap à suivre pour y arriver. 

(figure réalisée sur le site https://phyanim.sciences.univ-nantes.fr//Meca/RefTerre/Orthodromie1.php)


Pour vous donner une idée, voici une copie d'époque de cette carte de Mercator :

A propos de 

Article réalisé pour la semaine des mathématiques 2023 par Dominique De Luca, professeur de mathématiques au lycée Stendhal de Milan, auteur pour la maison d'édition Lelivrescolaire, librement inspiré d'un article d'Etienne Ghys publié dans Images des mathématiques du CNRS dont une partie a été exposée lors de sa conférence sur les boules au lycée Stendhal en septembre 2016 : https://images.math.cnrs.fr/Representer-les-mondes?lang=fr


Vous pouvez télécharger l'article en version .pdf tel qu'il a été publié lors de la semaine des maths 2023 en suivant ce lien : https://drive.google.com/file/d/1M0qAr9j1vcLVXsCrvvy-6PAetUbjILqO/view?usp=sharing 


Vous êtes intéressés par des sites de cartographie qui parlent aussi d'histoire et de mathématiques ? Je vous conseille d'aller voir

La partie du site de l'IGN dédiée aux 30 cartes qui ont fait l'histoire : https://www.ign.fr/reperes/30-cartes-qui-racontent-lhistoire-de-la-cartographie

La partie du site brèves de maths dédiée à la cartographie : http://www.breves-de-maths.fr/category/toutes-les-breves/cartes-reseaux/cartographie/

La partie du site de Yann Ollivier dédiée aux projections cartographiques : http://www.yann-ollivier.org/carto/carto.php

Un éditeur de cartes isochrones sur le web : https://commutetimemap.com/map

Ce très beau blog sur la cartographie : https://le-cartographe.net/

Ce très bel article avec des animations qui donne des explications sur les courbures : https://lipsum.dev/2020-08-1-gauss-open-street-map-surfaces/

Une vidéo des dessous des cartes, "Les cartes de Cassini, une épopée cartographique" qui raconte comment a été réalisée la carte de France sous Louis XIV (à voir ci-dessous) : https://www.youtube.com/watch?v=M0RHJSMpPGI  

Un texte de G. Bigourdan sur la cartographie de la France éditée à la fin du XIXe siècle, en libre accès : https://www.persee.fr/doc/geo_0003-4010_1899_num_8_42_6155

Vous pouvez également trouver une image en couleur de la superbe Tabula Peutingeriana (carte des étapes à suivre sur les routes de l'empire romain, entête de cet article) à l'adresse : http://luciodp.altervista.org/scuola/storia/mappe/peutingeriana.html

Site de l'université des sciences de Nantes pour visualiser et animer des concepts physiques  : https://phyanim.sciences.univ-nantes.fr//Meca/

Le site Maths.ita pour sa frise des mathématiques : https://sites.google.com/view/maths-ita/histoire-des-maths/une-frise-des-mathematiques-pour-le-lycee-et-le-college

Un grand merci à Géogébra et à Wikipedia