PUBLICATION DU 19 NOVEMBRE 2023

La transition énergétique chinoise, de grands bonds en avant qui n’avancent pas

8 minutes

Comme tous les pays, la Chine doit faire face au changement climatique et à la limitation des ressources énergétiques. Les politiques industrielles menées par le pays au cours des dernières décennies ont été à l'origine d'une dégradation soudaine et massive de l'environnement, et en particulier de la biodiversité vivante dans les zones côtières. Ces zones sont désormais devenues des pôles politiques et économiques importants abritant les plus grandes métropoles du monde. Depuis 1970, la production industrielle a augmenté de 380 % en termes de quantité. Cette explosion en a fait la première puissance industrielle du monde, une usine du monde qui dynamise son économie avec de l'argent et de la main d'œuvre bon marché.  Or, toute usine a besoin d'énergie pour produire, et Pékin a un grand besoin d'énergie, tant pour sa production industrielle que pour ses biens de consommation. Avec une démographie titanesque, une croissance massive de la population et surtout une augmentation sans précédent du niveau de vie en 50 ans, la Chine doit aussi prendre en compte 1,5 milliard de citoyens vivant dans des foyers électrifiés. Les hivers froids et les étés chauds entraînent un besoin énorme de chauffage et de climatisation, deux secteurs particulièrement gourmands. En 2021, le pays était le premier consommateur et producteur d'électricité au monde, d’un autre côté la production nucléaire chinoise est passée du 9e rang mondial en 2012 au 3e en 2016 et au 2e en 2021. L'évolution rapide des politiques énergétiques chinoises interroge sur l'urgence d'une transition énergétique, d'autant que le pays est déjà le premier pollueur mondial et que son environnement se dégrade violemment d'année en année.


La production énergétique chinoise actuelle


La production massive d'énergie à base de charbon est assurée par une multitude de centrales électriques situées dans la région du Shanxi. La Chine possède les deuxièmes plus grandes réserves de charbon au monde. La consommation de charbon de l’empire du milieu représentera 50,4 % de la production mondiale d'ici 2024, au total, le pays compte environ 12 000 mines et le charbon représentait 69 % de la consommation totale d'énergie en 2011. En conséquence, en 2012 la Chine a consommé 3,6 milliards de tonnes de charbon, soit près de la moitié de la consommation mondiale et plus du double de sa consommation en 2000. Il est à noter que la moitié de ce charbon est utilisée pour la production d'électricité, et 45 % pour l'industrie (fer et acier, ciment).


La Chine est également un grand consommateur de pétrole, le pays se place ainsi au 6e rang international, avec 4,7 % de la production mondiale. Face à une production immense mais insuffisante, le pays de Mao est devenu le 1er importateur de pétrole et de produits pétroliers avec 12,72 Mb/j (production journalière de baril). Il se situe au 2ème rang mondial avec 16,99 Mb/j et se place au 2e rang de la consommation avec 16,6%, juste derrière les Etats-Unis (19,2%). Au total sa production ne couvre que 25,9% de sa consommation. Dans son 10e plan quinquennal (2000-2005), la Chine a décidé de créer une réserve stratégique de pétrole brut de 500 millions de barils d'ici 2020, en 3 phases, l’objectif est clair : sécuriser sa politique énergétique. Le charbon et le pétrole représentent près de 80 % de la production énergétique du pays en 2020, avec 72 % pour le charbon et 8 % pour le pétrole. De son côté, le gaz naturel ne représente que 5 %. Les énergies renouvelables sont encore très marginales dans le système énergétique chinois, mais le pays entreprend des changements profonds pour le renforcer.



La transition énergétique pour une énergie verte 


Face à cette consommation de masse et surtout à l'explosion des émissions de gaz à effet de serre, le gouvernement a pris différentes mesures pour modifier le mix énergétique chinois. En décembre 2014, le gouvernement chinois s'est engagé à atteindre le pic d'émissions d'ici 2030, et en septembre 2020, le président Xi Jinping s'est engagé sur un objectif de neutralité carbone d'ici 2060. La Chine investit massivement dans la production d'énergies renouvelables : elle est de loin le premier producteur mondial d'hydroélectricité (30,4 % du total mondial en 2021), de surface de capteurs solaires thermiques (73 % du total mondial fin 2021), d'énergie éolienne (35,2 % de la production mondiale en 2021), de solaire photovoltaïque (31,7 % du total mondial en 2021) et d'électricité issue de la biomasse (23,2 % du total mondial en 2020). Ainsi, en 2021 les énergies renouvelables ont fourni 28,7 % de l'électricité chinoise.


Les investissements dans les énergies renouvelables sont en plein essor et le dernier plan quinquennal alloue un budget encore plus important à la construction de grands projets énergétiques. Le gouvernement affirme que la puissance d'un pays dépend de son autosuffisance énergétique, et les tensions mondiales autour des énergies fossiles incitent les autorités à trouver des alternatives. C’est en conséquence que sept entreprises chinoises figurent dans le classement mondial 2019 des dix plus grands fabricants de modules photovoltaïques. Dans tous les domaines des énergies renouvelables, la Chine est la première et devance de très loin toutes les puissances du monde. Ses efforts dans la production verte son dantesques, s’appuyant sur des barrages immenses, des milliers d’éoliennes et des champs photovoltaïques à pertes de vues dans le désert. 


La Chine investit également beaucoup dans l'énergie nucléaire. Le 12 mai 2021, l’empire du milieu comptait 50 réacteurs nucléaires opérationnels répartis sur 15 sites de production d'énergie nucléaire, ainsi que 14 réacteurs nucléaires en construction. Cela place la Chine au troisième rang pour le nombre de réacteurs en service et en capacité de production, elle est ainsi au premier rang pour le nombre de réacteurs en construction. Pékin reste confronté à la difficulté d'approvisionnement en uranium massivement importé d'Australie et du Kazakhstan. Pour y remédier, le pays a investi massivement dans la recherche sur la fusion nucléaire et construit des centrales nucléaires de dernière génération avec l'aide d'ingénieurs français. Enfin, le pays dispose de 6 réacteurs expérimentaux. L'un d'entre eux, le tokamak supraconducteur expérimental avancé surnommé East, a battu un record en maintenant un plasma chauffé à plusieurs dizaines de millions de degrés pendant plus de dix-sept minutes, ouvrant la voie à une esquisse de fusion nucléaire. Un rapport publié en avril 2015 par un groupe de réflexion du gouvernement chinois, l'Energy Center of the National Renewable Energy Research Institute, qui appartient à la National Development and Reform Commission, conclut que la Chine pourrait obtenir 60 % de son énergie totale et 85 % de son électricité à partir d'énergies renouvelables d'ici 2050 tout en maintenant la stabilité du réseau.



Conclusion 


Malgré de belles promesses, de grandes croyances et de véritables efforts, les énergies renouvelables demeurent pour le moment insuffisantes pour remplacer le charbon. L’aspect le plus impressionnant est que, en dépit du fait que la Chine produit plus d’énergie par des sources renouvelables que tout le pays du monde, l’énergie demeure produite majoritairement par le charbon. L’exemple chinois montre que des millions de structures de production énergétique verte restent incapables de se substituer aux sources énergétiques fossiles. Les chiffres des Think Tank aux mains de la Chine apparaissent surréalistes, néanmoins le doute profite au gouvernement qui espère réaliser ce miracle. Entre greenwashing et efforts mal coordonnés, le pays semble déjà avoir poussé à bout certaines énergies renouvelables. En effet, comment augmenter l’hydro-électricité quand tous les fleuves ont plusieurs barrages qui nuisent énormément à l’environnement ? Mais pour le moment, le succès de ce miracle reste encore bien loin, le fait d’avoir investi depuis quelques années dans le nucléaire montre la nécessité des puissances de l’utiliser pour obtenir un palliatif temporaire moins polluant au charbon. Les investissements chinois dans l’amélioration du procédé, et peut-être dans la fusion, révèlent la volonté de possiblement maintenir ce mode de production sur le long terme. Se dessine un rôle central à l’énergie solaire et éolienne dont la disposition spatiale peut-être optimisée avec de belles perspectives, cependant l’incapacité de ces technologies de produire sur demande inquiète le pouvoir sur sa viabilité générale, d’où l’idée d’un système à deux moteurs avec le soutien du nucléaire. Les chinois développent donc une politique alternative au modèle européen allemand, les allemands veulent l’énergie verte en quittant le nucléaire et en gardant le charbon, les chinois veulent l’énergie verte en quittant le charbon et en gardant le nucléaire. Cocasse choix compte tenu de la pollution générée par l’un des deux, excédant drastiquement les limites acceptables. 



Sources


https://ourworldindata.org/energy/country/china

https://www.iea.org/countries/china

https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/07/05/la-chine-championne-des-energies-renouvelables-et-accro-au-charbon_6180555_3234.html

https://www.cairn.info/revue-green-2021-1-page-86.htm

https://www.lesechos.fr/monde/chine/climat-la-chine-veut-limiter-a-moins-de-20-lusage-des-energies-fossiles-dici-2060-1357905

https://www.novethic.fr/actualite/environnement/climat/isr-rse/voici-comment-la-chine-pourrait-bel-et-bien-atteindre-la-neutralite-carbone-en-2060-149113.html

PUBLICATION DU 15 OCTOBRE 2023

Réinventer la paix avec "Women Wage Peace"

8 minutes

Depuis ce samedi 7 octobre, les récits sordides des milliers de morts en Israël et dans la bande de Gaza hantent l’actualité mondiale. Tandis que les médias surenchérissent dans l’horreur à coup de reportages sanglants, les politiques se déchirent pour savoir qui incarnera le mieux la décence et qui sera le traître. Au milieu des amalgames, une chose est sûre, des civils meurent et la haine enfle. C’est dans ce triste contexte qu’une question naïve subsiste : comment imaginer la paix ? Comment imaginer qu’après les horreurs des derniers jours, des dernières décennies, des familles que tout oppose puissent envisager de construire un futur ensemble. Se poser la question ne signifie pas nier ou oublier la complexité de la situation géopolitique actuelle, cependant, n’oublions pas que, si minces soient-ils, les signes d’espoirs subsistent. 


« We must end this madness »1 

Après la guerre des 50 jours à Gaza en 2014, naît le mouvement « Women wage peace »2. Le mouvement, bien que d’origine israélienne, n’est pas partisan et ne soutient aucune résolution spécifique du conflit à part celle de la paix et de la sécurité pour tous. Il souhaite parvenir à terme à un accord bilatéral qui satisferait les deux parties. La particularité du mouvement est de réunir et de s’appuyer sur les femmes, « qu’elles soient de la gauche, du centre et de la droite, des femmes plus jeunes et plus âgées, celles du centre du pays et de sa périphérie, religieuses et laïques, juives, arabes, druzes et bédouines »3. Pourquoi ? «Les femmes ont tendance à avoir une vision plus globale de la sécurité, qui englobe non seulement la souveraineté politique et la force militaire, mais aussi la sécurité économique, l’éducation et la sécurité personnelle.» selon l’activiste et professeur à Harvard Swanee Hunt qui milite pour inclure à travers le monde les femmes dans les négociations diplomatiques. 


« Les guerrières de la paix »

Si leur projet peut sembler utopiste et leur sérieux un peu naïf, leur travail est impressionnant. C’est le 8 octobre 2017 que le monde devient témoin de la puissance de leur appel. « La marche de l’espoir » réunit 30 000 personnes dont 3 000 femmes palestiniennes malgré les tensions et les menaces. Alors que les Israéliens ne peuvent pas se rendre en territoire palestinien et que les Palestiniens doivent attendre des mois dans l’espoir d’obtenir l’autorisation d’entrer en Israël, des milliers de personnes se réunissent dans le désert, près de Jéricho, pour marcher ensembles et imaginer le temps d’une journée une paix où tous seraient invités à la table des négociations. La documentariste Hanna Assouline a rencontré ces femmes pour son documentaire Les Guerrières de la Paix et a assisté à cette journée hors du temps. C’est la première fois de l’histoire du conflit qu’autant d’israéliens et palestiniens se retrouvent de manière pacifique. Huda est palestinienne, c’est elle qui a organisé le rassemblement du côté palestinien, elle réaffirme ce jour-là la position de Women Wage Peace : « Le combat pour la paix et la justice est impitoyable. Nous savons que c’est beaucoup plus difficile que de faire la guerre. […] Alors crions le plus fort que le bruit des armes. Ensemble, la paix est possible. »4 Ce rassemblement donne également la parole aux jeunes qui s’indignent d’un côté comme de l’autre de subir l’oppression d’un héritage dont ils ne sont pas responsables. Plus tôt dans le documentaire, Hanna Assouline filmait Yara et Noa qui se sont rencontrées lors de la marche de 2016, leur amitié qui devrait être celle de deux jeunes adolescentes portent malheureusement le poids des décennies de guerre entre leur pays. Devant le mur israélien bâti à Bethléem, Yara (palestinienne) décrit ce qu’elle y voit : « J’espère que ça ne te blesse pas. Mais chaque fois que je regarde ce mur ou que je passe devant ça me donne le sentiment de vivre dans une gigantesque prison, une cage, ou quelque chose comme ça. C’est ce qui me sépare de la mer, du reste de la terre »4. Noa (israélienne) s’avance et l’enlace :

- « Je suis désolée

- Ce n’est pas ta faute. Ce n’est pas toi qui l’as construit. »4


Une tradition féministe de la paix

Les femmes israéliennes et palestiniennes de « Women Wage peace » ne sont pas les premières de cette longue tradition féminine de la paix. Cette idée que les femmes seraient des actrices essentielles de la paix n’est pas juste une théorie féministe. En effet, dans sa 1325ème résolution, l’ONU a d’abord rappelé que les femmes et les enfants représentent 80% des victimes des conflits et c’est pour cela qu'il est nécessaire de leur accorder un rôle dans le règlement des conflits pour assurer la paix et la sécurité.  Surtout que les Nations Unies ont confirmé que « lorsque les femmes sont associées à la résolution d’un conflit, celui-ci a plus de probabilités d’être endigué par un accord de paix qui, de surcroît, durera plus longtemps »6. Mais les femmes n’ont pas attendu cette observation pour s’engager dans des luttes pacifistes et nombre de conflits modernes ont étaient les témoins de ce genre d’initiatives. On peut penser à la « Northern Ireland Women’s Coalition » qui réunissaient des femmes catholiques et protestantes et qui a participé au « good Friday agreement », la « Ligue Internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté » issue des minorités féministes pacifistes qui ont refusé de se joindre à l’effort de guerre en 1915 et qui milite depuis pour le désarmement et la paix ou encore le collectif « Women of the Sun » l’équivalent palestinien de « Women Wage peace ». Les 2 collectifs ont d’ailleurs officialisé leur amitié lors d’une journée officielle près de la Mer Morte le 27 mars 2022. A travers le monde et son histoire, les femmes revendiquent leur droit d’incarner et de construire la paix.


Women Wage peace face à la situation actuelle

Malgré la gravité de la situation actuelle, les militantes entretiennent l’espoir. « Women Wage Peace » et « Women of the sun » ont lancé en septembre dernier un appel : “Mothers’ Call”. Ce dernier s’adresse d’abord aux peuples palestinien et israélien mais également aux femmes du monde entier, aux jeunes, aux moins jeunes, aux chefs religieux, aux dirigeants. Il porte un message simple : « Nous, femmes palestiniennes et israéliennes de tous horizons, sommes unies dans le désir humain d’un avenir de paix, de liberté, d’égalité, de droits et de sécurité pour nos enfants et les générations futures »6. Dans un entretien pour Télérama, la militante Pascale Chen confie le choc et l’horreur face à l’attaque terroriste du Hamas surtout que 2 militantes, Viviane Silver (74 ans) et Ditza Heyman (84 ans) ont été prises en otage mais elle martèle : « Mais nous ne faisons pas l’amalgame. C’est bien le Hamas qui est l’auteur de cette attaque terroriste, non le peuple palestinien, qui connaît une réelle tragédie lui aussi… et en premier lieu, ce sont les femmes et les enfants qui en payent le prix. Il va falloir à présent reconstruire ce qui a été détruit. Dès maintenant, même si des jours très difficiles nous attendent encore. Et les femmes, israéliennes comme palestiniennes, ont un rôle essentiel à jouer, parce que les hommes, qui nous gouvernent depuis des années, n’ont pas fait leurs preuves. Il est temps de penser différemment.»7



Le territoire de l’humanité

La barbarie repose sur le fantasme de l’extermination,

Sur la disparition de l’autre comme preuve et condition de soi.

 

Les puissants ont méprisé la paix. Ils ont ignoré un peuple, l’ont piétiné, dépossédé, humilié. Ils ont cru pouvoir le faire disparaître. Ils continuent d’y croire. Ils s’abstiennent même de le nommer.

 

Les portes de l’enfer se sont ouvertes :

Dans les kibboutzim de Kfar Aza et de Be’eri,

Ravivant l’atroce souvenir des pogroms,

Et pire que jamais,

Dans l’enclave asphyxiée de Gaza

Où même la survie n’est plus tolérée,

Où le supplice est infligé à des millions de personnes avec le soutien manifeste ou flagrant de ceux qui ont pour devoir de l’empêcher.

 

Des enfants morts bombardés

Aux enfants morts fusillés,

Qui me dira lequel a mérité son sort ?

 

D’un territoire à l’autre,

C’est le même qui est menacé,

C’est le territoire de l’humanité.

Dominique Eddé





Sources et traductions :

1 : « Nous devons mettre fin à cette folie », accueil du site officiel de « Women Wage Peace » (WWP) https://www.womenwagepeace.org.il/en/

2 : « Les femmes parient sur la paix »

3 : Citation issue de la section « Qui sommes-nous » sur le site officiel de WWP https://www.womenwagepeace.org.il/en/about/

4 : Citations extraites du documentaire Les Guerrières de la Paix de Hanna Assouline pour Public Sénat

6 : Entretien de Pascale Chen pour Télérama (« Les femmes, Israéliennes et Palestiniennes unies, ont un rôle essentiel à jouer pour reconstruire la paix »), 21 octobre 2023

7 : « Mothers’ Call » (l’appel des mères) sur le site official de WWP (https://www.womenwagepeace.org.il/en/mothers-call/)


Zélia MILOT

PUBLICATION DU 15 OCTOBRE 2023

Ombre rouge sur Taïwan, l’armée populaire de libération a-t-elle vraiment les capacités de se projeter par-delà le détroit de Formose ?

15 minutes

Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les intérêts des puissances occidentales se sont vus menacées partout dans le monde. En Afrique, Wagner a fragilisé l’influence française, tandis qu'en Asie les regards se tournent vers l'île de Taiwan. Cette dernière est aussi appelée Formose, est dans une lutte constante contre la Chine populaire continentale. Cela va faire plus de 70 ans que Pékin réclame la réunification au profit de la Chine continental, mais l'influence américaine et le refus de la population locale les perspectives d'une union pacifique s'éloignent. Avec l’échec de la cohabitation avec Hong-Kong, la population de Taiwan à définitivement fermé la porte à une unification pacifique, mais avec l’essor des guerres d’agression causées par la guerre en Ukraine, Pékin montre que la force reste un recours possible. Si l’armée populaire de libération (APL) intimide et impressionne dans des défilés spectacles immenses, sa capacité réelle à prendre l’île reste source de débats.

 

Une armée chinoise en plein essor

L’armée de Xi Jinping est en plein renforcement depuis des années, avec 225 milliards de dollars de budget et plus de 2,5 millions d’hommes, elle impressionne ses rivaux. Grâce à ses centaines de navires de combat, chars et avions, elle est capable d’effrayer son voisin insulaire. L’armée s’appuie sur son vaste complexe industriel gracieusement nourri par la rétro-ingénierie. Son équipement en partie amphibie (notamment le ZBD-05) ne cache pas ses ambitions de projection. Sa marine est composée surtout de petits navires légers capables d’opérer dans des eaux peu profondes comme celles du détroit, et son aviation (souvent inspirée par le matériel soviétique et russe) se compose de près de 2500 appareils. Ses missiles intercontinentaux et armes nucléaires permettent également de créer un grand levier d’intimidation. Toutes ces forces sont en pleine augmentation, des armes et véhicules produits récemment par les ingénieurs chinois offrent un exemple d’auto-suffisance technologique. Malgré les difficultés liées à leurs conceptions, les chinois parviennent à aligner 2 portes avions à propulsion classique STOBAR, lesquels peuvent participer à une lutte sur mer et offrir un soutien aux troupes à terre. Cependant, nombre de matériel chinois est dépendant des semi-conducteurs, hors ces derniers sont majoritairement produits à Taiwan, et la production chinoise reste de qualité très moyenne. L’armée populaire de libération est donc riche en matériel et en homme, mais la doctrine et la pratique manquent. Les guerres récentes ont montré l'existence de nouvelles doctrines militaires incluant les technologies des drônes. Le manque d’expérience militaire chinois (qui remonte réellement à la guerre de Corée avec quelques expériences contre le Vietnam) compose un véritable problème d’aveuglement doctrinal vis à vis de l’évolution des modes de conflits.

 

L’armée de Taiwan richement dotée

L’armée de la république de Chine, nom véritable de l’armée de Taiwan, suit une doctrine de contrôle aérien et maritime. Si les forces terrestres demeurent l’enfant pauvre du pays, elle dispose de chars et de véhicules d’infanterie de provenance américaine. Face au danger permanent généré par son voisin, son armée reste toujours sur le qui-vive. Le caractère inéluctable de l’invasion a permis aux forces de l’île de se fortifier et de se préparer. L’aviation taïwanaise compte sur des avions américains et produit ses propres appareils qui garantissent une souveraineté militaire. Ils sont permis par la production de semi-conducteurs par les grandes usines de l’île. Son allié américain lui offre des avions, des technologies, mais aussi des défenses anti-aériennes qui permettent de faire face à la masse d'appareils chinois. Le caractère montagneux de la région et le manque d’espace pour se déployer permet d’empêcher Pékin de prendre avantage de sa supériorité numérique. De par son matériel anti-débarquement, les côtes fortifiées appuient aussi un réseau de mines déployables, lesquelles sont limitées en raison du commerce international dans la région. Les 300 000 hommes de son armée peuvent surtout reposer sur un sentiment national indépendantiste, notamment par une population farouchement opposée à une unification violente et attachée à une démocratie fonctionnelle.

 

En cas de contact, un bain de sang assuré

Si le rapport de force semble inégal, le caractère ardu du terrain, la difficulté de traverser rapidement et la préparation taïwanaise rendent difficile le débarquement et la prise de l’île par la Chine continentale. Cependant, l’apport massif de soutien aérien et maritime permettrait à la Chine de réaliser un débarquement au prix de nombreuses pertes. La saturation du dispositif anti-aérien de Taiwan ouvrirait la possibilité de limiter les pertes terrestres, mais cette saturation se ferait au prix d’une perte importante de drônes et autres appareils aériens sacrifiables. La marine de Taïwan devrait alors faire face à une traversée très rapide de la marine de l’APL, laquelle a été conçue pour frapper à grande vitesse, et le tout sans porter atteinte au commerce international ; au risque de rajouter une crise diplomatique à la crise militaire. Au sol, les forces de la Chine continentale devraient s’appuyer sur un faible appui logistique et heurter un réseau de fortification. Même dans cette perspective hautement favorable à la Chine, les pertes subies par l’APL seraient très importantes, et les gains seraient relativement faibles. Face à ce genre d’actions, il ne fait aucun doute que les autorités Taïwanaise auraient saboté le plus grand nombre d’infrastructures et d’usines clefs, les grands complexes industriels de semi-conducteurs auraient été détruits, ne laissant à la Chine que de faibles intérêts économiques. Il est aussi possible de soutenir une prise de position différente, et donc une analyse différente. Le manque d'entraînement de la puissance chinoise aurait complexifié la réalisation d’une opération aussi complexe, une opération qui aurait demandé une coordination inter-arme extraordinaire entre la marine, l’aviation, les forces de débarquement et les forces du domaine numérique. Le matériel Taiwan aurait pu, dans une perspective résolument défensive, se concentrer sur une défense côtière, ce qui aurait rendu impossible le débarquement. Le fait de réussir à débarquer dans un port, sous le feu de l’aviation et de la marine, aurait été déjà un grand succès, surtout pour rencontrer ensuite des chars américains abrams que les taiwanais ont reçu en 2022. Et même si l’armée chinoise avait réussi son coup, alors même que le gouvernement aurait attendu un grand succès chinois pour se rendre, elle aurait eu à se heurter à une forte contestation populaire surement bien plus forte que ce qui est visible en Ukraine. Les forces chinoises devraient alors déployer des millions de forces de maintien de l’ordre pour sécuriser un territoire riche de 23 millions d’habitants.

 

La variable américaine

Une variable très importante est celle de l’engagement des forces américaines dans le conflit. Si les américains n’ont pas sauté à pied joint dans la lutte en Ukraine, Taiwan représente un enjeu géostratégique bien plus important. Ouvrant la porte au pacifique, brisant la barrière maritime, détruisant la production stratégique de semi-conducteurs, la perte de Taiwan revêt un intérêt primordial auprès de l’oncle Sam. Si rien ne force les américains à les couvrir, ils ont tout intérêt à agir contre l'expansion des forces chinoises. En cas de conflit ouvert et de haute intensité, il n’est pas impossible que les américains interviennent eux même. Cependant en raison du temps court dans lequel un débarquement aurait lieu, ils ne pourraient rassembler leurs forces rapidement. Ainsi le principal outil à leur disposition serait leur marine, et notamment la 7ème flotte qui surveille la région du pacifique. L’intervention devrait alors être rapide, ignorant les possibles fluctuations de l’opinion publique car attendre trop longtemps pourrait faire louper le coche à la flotte et rendre une intervention inefficace. La flotte américaine, sans aucun doute la meilleure du monde, devrait affronter celle chinoise dans le détroit, cependant aucune des deux puissances n’a d’expérience navale concrète avec les technologies modernes. Les chinois n’ont jamais fait de guerre sur mer, les américains ne l’ont plus réellement fait depuis 1945, ces affrontements permettraient alors de tester le matériel à plus ou moins forces égales. Le centre pour les études internationales et stratégiques, qui réalise des études et des wargames (simulation par des simulations en jeu pratiquée par les armées depuis le XVIIIème siècle) sur les situations comme celle-ci, avait conclu qu’en cas d’intervention américaine les troupes chinoises n’auraient pas pu s’emparer de l’île. Au prix de 2 portes avions, la flotte américaine aurait détruit 113 bateaux ennemis, en parallèle, ils auraient aussi perdu 484 avions de guerre pour 161 chinois. Au final, le Think Tank soutient que la Chine aurait perdu 10 000 hommes contre 3500 Taiwanais et 3200 Américains en 1 mois. Si cette étude reste une étude, c'est-à-dire une spéculation qui ne peut rendre compte de toute la spécificité du réel, il en demeure que l’intervention américaine est analysée comme décisive, bien qu’elle ne soit pas sans pertes. Une autre variable du conflit est l’engagement politique des puissances locales comme le Japon ou la Corée du sud. Si la flotte coréenne reste marginale, la flotte d’autodéfense japonaise dispose d’une force suffisante pour paralyser des actions chinoises dans le détroit. Si le Japon trouve tout ses intérêts dans la lutte contre la Chine, le nécessaire pacifisme du pays, érigé constitutionnellement dès 1945, limite les capacités de réactions nippones dans la région. La flotte d’autodéfense, comme son nom l’indique, n’a pas vocation à frapper et à projeter sa puissance, mais à défendre ses eaux territoriales. Ainsi l’engagement japonais ne peut être que limité, et ne pourrait simplement pas avoir lieu si la Chine veille scrupuleusement à ne pas pénétrer dans les eaux japonaises. Néanmoins, si la perspective d’un engagement militaire japonais est soumise à la spéculation, son engagement pourrait être décisif dans un conflit.

 

Spéculation et réalité

Finalement, ces analyses ne concluent pas vraiment s’il est possible que l’APL s’empare de Taiwan, les forces en présence et la réalité du terrain et des alliances rendent complexe l'émergence d’une conclusion simple et non équivoque. Si la situation russe en Ukraine interroge sur les capacités de puissance à s’imposer lors de conflits à grandes échelles, elle ne doit pas être projetée unilatéralement sur le cas chinois, lequel ne répond pas aux mêmes méthodes et mêmes environnements. Seule une conclusion s’impose à toutes les analyses, la prise de Taiwan, ou sa défense, ne seront pas des sinécures et résulteront toujours en un bain de sang. Si les pertes militaires seront immenses, les bombardements des défenses et structures taïwanaise par les forces chinoises mèneront aussi à de lourdes pertes civiles. Ce conflit qui peut revêtir un aspect eschatologique et inéluctable (même si ces notions sont débattables) formera, s’il advient, un bouleversement géopolitique majeur, en Asie de l’est, et dans le monde.

Louis Sounthavong


Sources

Articles

Broken Nest : Deterring China from Invading Taiwan

https://www.lepoint.fr/postillon/la-chine-peut-elle-perdre-contre-taiwan-29-11-2022-2499608_3961.php

https://www.lepoint.fr/monde/la-chine-commettrait-une-erreur-strategique-en-attaquant-taiwan-16-11-2022-2498091_24.php

https://www.allure-militaire.com/blogs/blog-style-militaire/flotte-americaine-us-navy

https://edition.cnn.com/2023/01/09/politics/taiwan-invasion-war-game-intl-hnk-ml/index.html

https://www.courrierinternational.com/article/geopolitique-a-taiwan-la-chine-se-livre-a-une-prudente-demonstration-de-force

https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20230121-taïwan-des-simulations-montrent-l-ampleur-de-la-catastrophe-en-cas-d-invasion-chinoise

Bibliographie 

Chine, le grand prédateur: Un défi pour la planète. - Pierre-Antoine Donnet (Auteur), Jean-Pierre Cabestan (Préface)