PUBLICATION DU 19 NOVEMBRE 2023

Les riches, ces grands philanthropes

5 minutes

Petit aperçu historique de la philanthropie américaine


Dans de nombreux journaux, il peut être assez courant de retrouver des classements. Mais pas n'importe quel classement, il s'agit de celui « des hommes les plus généreux ». En haut du podium, cela peut varier, mais souvent, ce sont les noms de personnalités connues du grand public qui ressortent, tel que Mark Zuckerberg (2015), Bill Gates (2020)... en bref, des personnalités connues, mais surtout des personnalités riches. Si cette observation peut certes surprendre, mais surtout dans un premier temps redonner foi en l'humanité, il est peut-être décevant de constater que les raisons de ces multiples donations n'ont pas réellement pour but de se mettre au service d'autrui, mais qui au contraire entre dans une stratégie capitaliste d'accumulation de richesse. Cela peut vous sembler paradoxal ? C'est normal, on parle quand même de faire des dons qui nous permettraient de gagner encore plus d'argent. Pour tout vous expliquer, laissez-moi remonter le temps et vous donnez un aperçu de ce que je nomme comme étant la philanthropie américaine.

Si on doit donner un point de départ à cette idée, ce serait en 1891, aux Etats-Unis avec la parution d'un article d'Andrew Carnegie. Cet homme, issu d'une modeste famille écossaise, est parvenu à devenir l'un des plus grands millionnaires américains de son siècle en ayant construit la Carnegie Steel Company, l'entreprise industrielle la plus grande et la plus rentable au monde dans les années 1890. Il est le parfait archétype du personnage partant de rien et qui a su s'enrichir grâce au système américain : l'American Dream dans toute sa splendeur. C'est alors que Carnegie, grand penseur, s'interroge : Pourquoi lui ? Pourquoi possède-t-il une incroyable richesse et pas un autre ? Il donne une réponse à ces questions dans son ouvrage en 1981: L'évangile de la richesse. Cet ouvrage, véritable référence pour les millionnaires et milliardaires américains de cette époque, affirme que les inégalités sont parfaitement naturelles et légitimes. En effet, la richesse serait le principal marqueur de la capacité d'un Homme qui serait de facto supérieur aux autres. L'héritage n'est pas pris en compte puisqu'il devrait être supprimé selon l'ouvrage. Les personnes riches possédaient alors le devoir de mener des projets philanthropiques, comme construire des hôpitaux par exemple, financer des écoles... En d'autres mots, ils seraient en quelque sorte responsables des plus pauvres qui eux, ne seraient pas assez capables de se débrouiller tout seul. C'est ainsi qu'Andrew Carnegie va faire le don d'un million de dollars à l'université de Chicago qui accepte généreusement. Ce don sera loin d'être le dernier pour le millionnaire, ce qui lui valut le qualificatif de philanthrope. Qualificatif qui figure par ailleurs en première place dans ses activités sur sa page Wikipédia. C'est que cela doit sûrement être le cas.

Mais concrètement, qu'est-ce qu'un philanthrope ? Plus largement, qu'est-ce que la philanthropie ? Terme apparu au XVIème siècle, et issu tout droit du grec phileîn, « aimer » et anthrôpos, « homme », il désigne l'Amour de l’humanité. Il s'agit donc d'une personne qui par son attitude et ses actes s'attache à améliorer la condition de ses semblables.

A présent, en ayant connaissance de cette définition, on pourrait émettre quelques critiques à son emploi pour Carnegie. Car après tout, est-ce réellement philanthropique de s'allier consciemment et de financer la campagne présidentielle d'un homme (ici, il s'agit de McKinley durant les années 1890) pour contrer un autre (William Jenny Brian) afin de l'empêcher de mettre en place une politique sociale plus avantageuse pour le plus grand nombre au détriment des plus riches ? Est-ce réellement philanthropique de tirer sur ses ouvriers afin de les empêcher qu'ils ne forment un syndicat en 1892 à Homestead, faisant ainsi sept morts ?

En réalité, un philanthrope, un homme généreux, c'est un homme qui donne de l'argent et puis c'est tout. Peu importe les actions dans l'ombre au final. Encore mieux, peu importe leur but. En effet, tant qu'il y a des associations pour aider les plus démunis et des gens qui sont là pour les financer, le but de ces riches philanthropes n'est qu'un minuscule détail.

Seulement, est-ce toujours un détail si la philanthropie devient un moyen pour les grands groupes et ces riches personnes d'échapper aux mesures fiscales instaurées par l’État ?

En effet, un des rôles de l'Etat est de freiner les débordements du capitalisme, notamment en y interdisant les monopoles et en instaurant de lourdes taxes chez les groupes et personnes les plus riches. C'est ce que fait le Sénat étasunien au début du XXème siècle en mettant en place un lourd impôt sur les 4% de la population la plus riche d'Amérique. Un homme appartenant à ces 4%, il s'agissait de J. D. Rockefeller, fondateur de Standard Oil, détenteur ainsi de 90% du pétrole américain. Il acquiert sa richesse notamment en faisant faire faillite à ses concurrents à coup de corruption, en s'appropriant des terres, en les polluant et en faisant monter les prix. Cela lui valut d'être détesté de son temps par une importante partie de la population étasunienne. Mais c'était avant qu'il ne se lance lui aussi dans la philanthropie, attribuant cette nouvelle pratique à l'altruisme et aux bons conseils de sa mère, et faisant don de 600 millions de dollars, mais surtout en créant une association caritative privée : Foundation Rockefeller en 1913. Avec cette association qu'il finance lui-même, dans le but selon lui de « promouvoir le bien-être de l'humanité dans le monde », Rockefeller échappe aux impôts. Encore mieux, il lui était permis de demander des dons à une population étasunienne, dont la majorité cumulée n'avait pas le tiers de sa richesse. Ainsi, cette association lui permit de payer moins d'impôts qu'un simple secrétaire, de redorer son image et également de faire diversion lorsque lui, ou un membre de sa famille, était proche de faire un scandale. Ce fut le cas par exemple après le massacre de Ludlow (avril 1914) mené par son fils où, il créa à partir de la fondation le département des relations industrielles, visant à mieux comprendre les mouvements sociaux. On oublia bien vite l'auteur initial de ce massacre et le nom Rockefeller sera lié à sa fondation qui elle-même fera référence à ce département.

« Âgé de 97 ans, Rockefeller vient de mourir. Créateur de la gigantesque Standar Oil et autrefois surnommé l'Homme le plus riche du Monde, Monsieur Rockefeller a gagné le droit de se faire appeler le plus grand philanthrope du Monde. » NewYork Times, 30 juin 1937.


Durant notre siècle, la philanthropie et les associations caritatives continuent d'être de parfaites niches fiscales pour les millionnaires, voire milliardaires. En France, selon les annexes de la loi de finance 2024, la réduction d'impôt pour les dons caritatifs présenterait un coût d'1,77 milliard d'euro à l’État. En effet, en échange de dons caritatifs, les donateurs bénéficient d'une réduction d'impôt de 66% ou 75% du montant donné. Montant donné la plupart du temps à des associations privées, parfois appartenant à des millionnaires et milliardaires. Également, dans l'Hexagone, la pratique du mécénat culturel reste celle qui attire le plus l'attention des dons derrière les projets à vocation sociale. Pour expliquer dans les grandes lignes, que ce soit par amour de l'art ou de la culture en général, il peut s'agir soit de financements de rénovations du patrimoine, souvent en passant par une association privée. Ou bien encore, ce mécénat peut consister à faire sous forme de don le rachat d’œuvres d'art, œuvres qu'il leur est possible par la suite de prêter ou bien de louer à des musées.

Ainsi, les associations restent l'un des meilleurs moyens pour réduire les impôts des plus riches, mais également et surtout, comme on l'a vu, de participer à la construction d'une bonne image du philanthrope. Ce fut notamment le cas de Bill Gate, le cofondateur de Microsoft et l'un des plus riches et puissants du Monde. Au début de sa carrière, le milliardaire en devenir n'était pas très aimé de ses compatriotes américains, dû à l'image stéréotypée de l'entrepreneur qui ne cherche que son propre intérêt. Marchant sur les pas de ses prédécesseurs, il créa la fondation Bill & Mélinda Gates dont l'objectif est d'améliorer à l'échelle mondiale les soins de santé, l'extrême pauvreté et élargir l'accès à l'éducation. Elle reste un des principaux acteurs du mouvement de l'altruisme efficace avec des dotations qui s'élèveraient à 50,7 milliards (31 décembre 2017). Cela lui permet également d'agrandir son cercle d'influence, notamment en faisant des partenariats avec certaines presses qu'elle finance, comme c'est le cas de Monde Afrique ou The Gardian.

Ainsi, si je devais émettre une conclusion sur tout ceci je dirais qu'il y a deux caractéristiques à l'Homme puissant. La première, c'est qu'il voudra le rester. Or, de nos jours, la concentration de richesse fait la puissance. Donc, il faut trouver des moyens pour concentrer le plus de richesse. L'autre caractéristique est que l'Homme puissant est orgueilleux et possède une haute estime de lui-même, ainsi, il voudra que les autres l'estime également et l'aime tout autant. Donc, quoi de mieux que de donner une part infime de son argent à quelques associations, mieux, en créer une afin de se faire aimer en se montrant comme un bienfaiteur, et, dans le même temps, concentrer encore plus de richesse afin d'échapper aux impôts sur le revenu. Les œuvres caritatives n'ont alors pas pour but premier d'améliorer le bien être collectif, mais de servir de moyen dans la recherche de l'intérêt individuel. Car après tout, c'est ça le Rêve Américain !



Chloé D.




PUBLICATION DU 30 OCTOBRE 2023

Un christianisme populaire et de gauche, anarchisme et réforme

11 minutes

L’Eglise, notamment en France, occupe une place d’institution conservatrice. De par sa lutte avec l’Etat en cours de sécularisation le long du XIXème siècle, et son détachement de ce dernier en 1905, elle incarne une notion d’ordre et de rigueur. Si l’Eglise s’ancre historiquement à droite, les premiers opposants à la révolution étant les prêtres réfractaires, il a existé un christianisme de gauche éminemment révolutionnaire et populaire. Les mondes idéologiques actuels aiment hérisser de grandes barrières, diviser et codifier, mais la place de la religion est au-delà de ces conceptions temporelles. L'éminence prise par la spiritualité durant des siècles, hautement différenciée des institutions ecclésiastiques, doit être remise en perspective avec les nécessités politiques des époques et des lieux. Le pouvoir spirituel agit auprès des cercles de pouvoir comme le garant, il légitime et protège lorsqu’il s’incarne comme institution. Ainsi les Eglises servent des idées et des systèmes, si la foi protestante assume son rôle de garant des premières conceptions capitalistes (comme le démontre Max Weber), elle joue aussi un rôle de légitimation. Tout comme l’Histoire, la religion est un outil utile des pouvoirs, l’interprétation des textes antiques permet de se poser en prince ou en martyr, l’analyse des grands méta-récits comme des religions confirme cette vision politique. Cependant si les idées et les structures sont maniables, la spiritualité demeure libre à chacun, elle légitime l’action d’un individu mais ne peut offrir de matrice générale. De cette distinction il est donc plus pertinent de traiter de la religion plutôt que de la foi, de la structure plutôt que de l’individu, du collectif plutôt que du personnel. Il est ici question de concevoir une religion chrétienne “de gauche” sans porter atteinte aux croyances et spiritualité de chacun.


L'existence paradoxale d’un anarchisme chrétien


Un anarchisme chrétien, voilà une oxymore particulièrement douloureux pour ceux qui se réclament du “ni dieu ni maître”. Déjà dans cette affirmation, nombres d’idées contradictoires s'engouffrent. Le penseur Jacques Ellul a travaillé pendant plusieurs années sur cette notion, les écrits relatant la vie du Christ et de son entourage (canoniques ou apocryphes) témoignent de différents éléments rapprochables du mode de vie anarchiste. La représentation du Christ dans les différents évangiles font de lui une figure de partage et d’anti-autoritarisme, Jacques Ellul identifie différents sujets abordés par les textes qui corrobore cette thèse. Une approche possible se fait par le livre de l'Apocalypse qui assimile la bête de l’apocalypse à une représentation de l’Etat romain. En faisant le lien avec ce qui était la seule forme d’Etat de l'époque, il souligne que ce dernier est une créature de Satan qui perpétue l'oppression des hommes. Les premiers chrétiens s'opposaient à la primauté de l'État fondé par les Hommes au profit d’un Dieu : « Nous devons obéir à Dieu en tant que dirigeant plutôt qu'aux hommes », il n'existe dès lors qu’une entité divine immatérielle qui rejette l’influence de l'État des hommes, rejetant l'oppression de l’Homme par l’Homme, oppression que les anarchistes attributs à l’Etat. Les pensées du Christ, souvent opposées au marchandage et à l’Etat, se conjuguent à une volonté profonde de pacifisme et de partage. Les anarchistes chrétien revendiquent un Christ qui vit en communauté, qui partage le pain et le vin, une vie sans État et sans taxes, qui prône l’émancipation des hommes et le maintien d’une vie simple. Les grands péchés capitaux illustrent un rejet des sociétés consuméristes et productivistes, encourageant l'autogestion et le partage égalitaire. De la même manière, la propriété privée est fortement contestée, tout comme l’attachement matériel. Seule la volonté de forger un monde meilleur d’entraide et de soutien mutuel légitime l’entrée au ciel. Cette pensée culmine notamment à l’idée “ Bienheureux, vous qui êtes pauvres, parce que le royaume de Dieu est à vous.”. De par cette phrase l'interprétation anarchiste du christiannisme développe une idée d’une vie simple, équitable et juste, laquelle est par ailleurs confirmée par le mode de vie des croyants. Si les Béatitudes (récit du Christ auprès de ses apôtres) sont le socle de cette vision de la bible, l’ouvrage de Léon Tolstoï “Le Royaume de Dieu est en vous” confirme une philosophie anarchiste chrétienne. Cependant ce terme anarchiste reste à distinguer des visions d’auteurs anarchistes classiques du XIXème siècle.


L’incroyable épopée d’une foi populaire en pleine renaissance


Un bond dans le temps dans une période méconnue par le grand public. Si le XVIème siècle demeure celui de la réforme protestante, il est toujours intéressant de se pencher sur les autres mouvements de réforme. Évidemment le cas de Luther s’illustre comme le plus connu de tous, cependant existe un autre réformateur qui fut son contemporain et son rival. Luther a su modifier son discours pour épargner ses généreux donateurs nobles, mais en parallèle, Thomas Muntzer développe une réforme véritablement populaire et profonde. La réforme quitte le plan spirituel pour s’attaquer à l’ordre de production et à la condition matérielle de l’existence. De cette lutte, Thomas Muntzer déclenche la fureur populaire de 1524 à 1526 durant la guerre des paysans allemands. Dénonçant une Église corrompue et au service des puissants, il s’attaque aux indulgences et aux clercs proches de princes. En parallèle, il dénonce des nobles exploiteurs, qui usent d’un fonctionnement de société où ils asservissent les plus pauvres. Prêchant un Christ rédempteur proche des plus faibles, dénonçant les traîtres à la foi qu’ils utilisent pour légitimer leur exploitation, et appelant à une grande redistribution des tâches et des terres, ce prêtre anabaptiste appel à abattre le système de production féodal. En 1524 il publie 12 articles dans les territoires révoltés. Ces articles appellent à la fin totale du servage, l’élection des prêtres par les paroissiens, la fin des corvées injustifiées, la réduction des impôts pour les plus pauvres, le partage des terres sans propriétés au profits de communautés de villages, le droit pour les paysans d’exploiter les forêts des seigneurs et la fin de la “main morte”, une taxe sur l’héritage de 100% au profit du seigneur en cas de décès des serfs (forme d’esclaves). Ce programme exceptionnel conteste la racine même de l’autorité des seigneurs, s’ils sont chargés de protéger la population, ils ne font en réalité que s’affronter entre eux et emporter dans leurs orgueils des centaines de vies. Le slogan de la révolte est clair sur ses intentions : “Quand Adam bêchait et Ève filait, où donc était le seigneur ?”. Au final, si le mouvement échoue et que Muntzer trouve la mort, il aura su inspirer les auteurs révolutionnaires. Les idées de Hong Xiuquan en Chine sauront trouver, en 1851, un écho puissant mais infructueux, prouvant l’universalité de cette interprétation populaire. 


La théologie de la libération, ascenseur de l’Amérique Latine


Un dernier écho que peut trouver le christianisme à gauche est cette fois-ci plus moderne, si les chrétiens de gauche forment un électorat social-démocrate important en occident, ils ont su former leur propre mouvement politique en Amérique latine durant le XXème siècle. Cette théorie a été développée par le péruvien Gustavo Gutiérrez lors du congrès de Medellín du Conseil épiscopal latino-américain, en 1968. L’idée, déjà présente dans l’ancien testament, est que le message biblique incarne une volonté d’émancipation anti-autoritaire (exode des juifs sous l’Egypte), égalitaire (universalisme chrétien) et une solidarité totale (partage et aide aux plus démunis). Cette vision de la bible offre un message populaire en Amérique latine dans une idée d’anti-impérialisme américain et d’exaltation de l’aide sociale aux plus faibles. Il faut dès lors construire le paradis sur terre, il ne suffit plus d’aider les pauvres, mais de veiller à leur émancipation par le travail, la santé et l’éducation, le tout en les plaçant au centre du pouvoir temporel grâce à la démocratie. La libération des idées qu’à suivi le congrès de Vatican II à ouvert la porte à une redéfinition de la pensée, l’idée est désormais de concevoir le clergé comme un refuge pour ceux dans le besoin. Dans une société en proie à la violence, l’Eglise est un sanctuaire contre le trafic de drogue et la criminalité. On y reprend l’idée du Christ qui aide les plus pauvres et leur redonne la foi en eux même et de la dignité, l’émancipation de l’individu passe par sa remise au centre, quelque soit sa couleur ou son statut social, tout fils de Dieu à sa revendication sur le pouvoir terrestre car tous égaux à ses yeux aux portes du paradis. Cette perspective de l’égalité des hommes, de la libération de ces derniers contre l’oppression, et de l'aide aux plus faibles, alimente les partis politiques de gauche d'Amérique du sud, mais aussi d’Afrique de l’Ouest. La théologie de la libération participe activement à l’arrivée de la démocratie et des droits de l’Homme dans le monde, tout en offrant une plateforme commune aux peuples oppressés. Les noirs victimes de racisme trouveront dans cette idée une force qui alimenta la lutte contre les discriminations dans les années 70, pareil pour les mouvements féministes des mouvements de théologie féminine. 


Toutes ces réflexions interrogent sur la place de la religion dans les pensées politiques de gauche, lesquelles sont régulièrement perçues comme anti-cléricale et séculariste. Cependant il demeure pertinent de rappeler que ces positions ne se trouvent pas dans un héritage marxiste et offre une grille de lecture complètement différente que les lignes de gauche conventionnelles. Si la phrase “les religions sont l’opium du peuple” à su marquer les esprits en retenant l’idée d’une drogue addictive, il demeure que la religion reste aussi un anti-douleur qui aide les peuples à supporter la dureté de leur existence. Demeurant marginales, elles sont devenues aujourd’hui des idées en déclin. Il reste que, comme Raymond Aron, Lyotard et Chapoutot le développent, les grandes idées, les grands récits et grandes idéologies demeurent des “religions séculières” qui savent apporter à qui veut recevoir une vision quasi religieuse des événements. 


Louis Sounthavong


Bibliographie : 

Anarchie et Christianisme, Jacques Ellul, paru en 1987

La Guerre des paysans en Allemagne, Friedrich Engels, paru en 1870

Thomas Müntzer (1490-1525) Christianisme et révolution, Johann Chapoutot et Éric Vuillard, paru en 2021

Le Grand Récit: Introduction à l'histoire de notre temps, Johann Chapoutot, paru en 2021

La théologie de la libération, Joao Batista Libanio, paru en 2005


Pour approfondir : 

https://www.youtube.com/watch?v=N6aZ56SCdyg



Pier Paolo Pasolini : une figure de l’art italien de la seconde partie du XXème siècle

5 minutes

Pier Paolo Pasolini est connu principalement pour son cinéma. Seulement, son œuvre s’avère être bien plus complexe, il fut aussi écrivain, poète, journaliste ou encore dramaturge. Ses créations ont marqué l’art et la politique italienne du XXème siècle et animé de vives critiques.

Cet article a pour volonté de retracer les grands principes de son œuvre et ses engagements politiques tout au long de la seconde partie du XXème siècle. 

Ce dernier sera publié en deux temps.

Nous commencerons a évoquer dans les grandes lignes l'œuvre littéraire de Pier Paolo Pasolini. Un second article traitera de son oeuvre cinématographique.



      Son œuvre étant intimement imbriquée à sa vie et à ses engagements politiques, cette première partie y sera dédiée.


Son père est un militaire fasciste, violent à l'égard de sa femme et de ses enfants et il perd son frère Guido assez rapidement dans la résistance. Néanmoins, il a une relation très fusionnelle avec sa mère qui jouera un rôle très important dans sa vie. 

En raison de son histoire familiale, il s'identifie aux théories freudiennes, qui prennent une grande place dans ses oeuvres. D’autres écrits s’avèrent omniprésents dans ses créations tels que la bible, les œuvres de Karl Marx et les écrits d’Antonio Gramsci (fondateur du parti communiste italien et de la théorie de l’hégémonie culturelle).

Par ailleurs, c’est un homme qui fut persécuté pour son homosexualité et ses positionnements hostiles envers la société de consommations et le conformisme qui en découle. 

Ainsi, son art est un témoin nostalgique de l’évolution de la population italienne d’après-guerre engendrée par le miracle économique.



Une oeuvre littéraire complète :


Un homme de poésie      

Pasolini est considéré comme le poète le plus important de la deuxième partie du XXème siècle en Italie. 

Il commence à écrire des poèmes à l’âge de 7 ans et publie son premier recueil de poésie en Frioulan (c’est la seconde langue régionale la plus parlée en Italie) en 1942 qui s’intitule Poèmes à Casarsa. 

La plupart de ses recueils de poèmes sont d’ailleurs écrits en Frioulan, une langue principalement orale. Ce dialecte maternel l’a beaucoup inspiré et le choix de cette langue n’est pas anodin. 

Cette caractéristique lui permet de créer un rapport direct entre la réalité et ses œuvres. 

De plus, il choisit d’écrire en Frioulan pour soutenir une langue et une culture fragilisées par la tentative d’uniformisation du régime fasciste et du miracle économique. 



Un théâtre poétique et politique


Pasolini est principalement un dramaturge et son théâtre est un théâtre de la parole. Il s’inspire fortement de la tragédie grecque, notamment de Sophocle et d’Achille. Le théâtre est pour lui un moyen d’expression qui permet de créer un lien entre le présent et le passé. Il y aborde des thématiques intimes comme l’homosexualité, la différence et par ailleurs la démocratie.

Il avait une vision très politique d’un théâtre élitiste qu’il voulait adresser au peuple. Cependant, en raison de l’expansion de la classe moyenne et de la petite bourgeoisie, Pasolini ne pouvait plus seulement viser un public qui se fondait dans la masse. 

Dès lors, il complexifia son théâtre pour créer des œuvres aux références très variées dont aucun privilège ne pouvait améliorer la compréhension. Ces choix traduisent un refus de la culture de masse qui induirait la perte des cultures et des traditions régionales propres aux régions italiennes. C’est d'ailleurs une démarche que l’on retrouve aussi beaucoup dans son cinéma.

D’autre part, pour faciliter l’accès à la pièce, il ajustait également les prix des entrées.   





Une écriture romanesque dénonciatrice


Les romans de Pasolini se veulent dénonciateurs d’une société d’après-guerre en crise qui s’inscrit dans une histoire italienne très complexe. 

Ses romans traduisent l’admiration que Pasolini a pour le peuple italien. Ainsi, il écrit d’après eux et pour eux.

Cette volonté de décrire et de dénoncer les failles de la société italienne est caractéristique de toute son œuvre romanesque.

Il publie son premier roman Ragazzi di vita en 1950 puis fait paraître la seconde partie de la trilogie, Una vitta violenta en 1959. Au sein de ces deux romans il décrit l’existence du sous-prolétariat dans les banlieues romaines. 

Cette population est très stigmatisée et singulière c’est donc la première fois qu’on parle de cette nouvelle couche sociale très mal perçue.

Par conséquent, l'histoire de ces jeunes garçons qui vivent au jour le jour dans la violence et la précarité scandalise et offusque les lecteurs. Si bien que ces livres feront l’objet de procès.



L'ensemble des œuvres de Pasolini découlant de ces trois genres d’expression ont eu un poids très grand sur la conception de la société industrielle et de la société de consommation. Ces ouvrages mettent le doigt sur les inégalités creusées par ces phénomènes, mais aussi, sur la culture de masse qu’ils engendrent. 

Les genres choisis, de par les thématiques qu’ils abordent deviennent novateurs. Ainsi, le sujet est questionné mais aussi la forme d’expression. 

Par exemple, les sujets amenés sur les planches, la façon de l’interpréter est remis en question et par là le théâtre lui-même est interrogé sur son origine et sur sa destination.    

Ainsi son œuvre globale est profondément politique, de par elle, il transmet son regard sur le monde et interroge la société moderne et ses moyens traditionnels d’expression.



Ressources: 

- https://www.bpi.fr/content/uploads/sites/2/2022/03/bilbiographie-centenaire-pasolini-bpi-mars-2022.pdf

- https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/hors-champs/semaine-speciale-pasolini-4-5-l-oeuvre-theatrale-revisitee-8065995

- https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-philosopher-avec-pier-paolo-pasolini?at_medium=Adwords&at_campaign=france_culture_search_thematiques&gbraid=0AAAAACne0eq3UzvTfxQFTq-okLOBWdMrO&gclid=Cj0KCQjwsp6pBhCfARIsAD3GZubzGC_Rk7HGZ_vHD55dSAMdbs_iWaiBStLUjpsIWfDJmepU41iPcdMaAgNAEALw_wcB

- https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-nuit-pier-paolo-pasolini?at_medium=Adwords&at_campaign=france_culture_search_thematiques&gbraid=0AAAAACne0eq3UzvTfxQFTq-okLOBWdMrO&gclid=Cj0KCQjwsp6pBhCfARIsAD3GZuaUzmSWKm2OeUY60L8zFxRV5_Q7mXO5ZGEMly23oPRqFKlspBeJ-F8aAjluEALw_wcB


Podcasts pour approfondir: 

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-antonio-gramsci-marxiste-a-l-italienne?at_medium=Adwords&at_campaign=france_culture_search_thematiques&gbraid=0AAAAACne0eq3UzvTfxQFTq-okLOBWdMrO&gclid=Cj0KCQjwsp6pBhCfARIsAD3GZuaCCf9rG8ulxGGEKhTc36FiafayjkwHP3SjNwYbp-xwVIjowkZkKkIaAotMEALw_wcB


https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/entendez-vous-l-eco/l-apres-guerre-dans-le-cinema-italien-2511394


- https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-philosopher-avec-pier-paolo-pasolini?at_medium=Adwords&at_campaign=france_culture_search_thematiques&gbraid=0AAAAACne0eq3UzvTfxQFTq-okLOBWdMrO&gclid=Cj0KCQjwsp6pBhCfARIsAD3GZubzGC_Rk7HGZ_vHD55dSAMdbs_iWaiBStLUjpsIWfDJmepU41iPcdMaAgNAEALw_wcB

- https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-nuit-pier-paolo-pasolini?at_medium=Adwords&at_campaign=france_culture_search_thematiques&gbraid=0AAAAACne0eq3UzvTfxQFTq-okLOBWdMrO&gclid=Cj0KCQjwsp6pBhCfARIsAD3GZuaUzmSWKm2OeUY60L8zFxRV5_Q7mXO5ZGEMly23oPRqFKlspBeJ-F8aAjluEALw_wcB

PUBLICATION DU 15 OCTOBRE 2023

Education Sexuelle : Quand la fiction répond à la réalité

5 minutes

   La sortie du final de la série Sex Education sur la plateforme de streaming Netflix le 21 septembre intervient quelques jours seulement après les vives contestations sur le programme EVRAS en Belgique.

Qui n’a pas entendu parler de Sex Education, série Netflix à succès lancée en 2019? Avec quatre saisons de huit épisodes, tout est mis en œuvre pour aborder sans tabou les relations amoureuses, amicales et sexuelles, certes, mais surtout la découverte de soi, d’un ou d’une partenaire et des autres. Le concept est original, puisque les réponses aux questionnements des élèves de Moordale Secondary School sont apportées par deux adolescents qui créent leur Sex Clinic au sein même de l’école. En plus d’être drôle, solaire et touchante, la série donne également matière à réfléchir sur beaucoup de débats dans la société actuelle comme le droit à l’avortement ou la discrimination à l’encontre de la communauté LGBTQIA+.

La série phénomène touche à sa fin dans un contexte particulier, celui de manifestations et des démonstrations de violence en Belgique contre de nouveaux cours d’éducation sexuelle issus du programme Evras, acronyme pour Education à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle, prévus en classes de Sixième et de Seconde. Ces enseignements sont présentés par les extrémistes religieux, et des parents désinformés comme faisant par exemple l’apologie de la transidentité, soit le fait de se sentir comme appartenant à un autre sexe que celui qu’on nous a assigné à la naissance, ou d’encourager les enfants à se masturber. Si les cours font bien mention de ces sujets, c’est surtout pour répondre aux questions des élèves sur des notions comme le consentement, les relations sexuelles, l’identité de genre et la contraception, et en aucun cas pour essayer de leur mettre en tête une quelconque idéologie. Le but est de les informer, leur apprendre à connaître leur corps et  faire de la prévention. Ils accusent également ces enseignements de prendre la place des parents dans l’éducation sexuelle de leurs enfants. Néanmoins, le sujet n’est pas abordé de la même manière par toutes les familles, et le même temps n’y est pas consacré, ce qui pose des problèmes d’inégalité entre les jeunes face à leurs questionnements.

Or le silence face aux interrogations des enfants, ou ne pas savoir vers qui se tourner pour trouver une réponse, c’est exactement ce contre quoi a essayé de lutter Sex Education. Le fait même que des élèves doivent créer leur propre centre pour répondre à leurs questions montre un certain manquement dans le système éducatif et dans les enseignements proposés. De plus, si l’absence de ce cours d’éducation sexuelle est reprochée, il y a également une certaine manière d’enseigner qui est proposée. Dans la troisième saison, la nouvelle directrice de l’école met en place des classes de prévention qui prônent en réalité l’abstinence alors que leur rôle devrait être de prévenir et de protéger plutôt que d’empêcher en essayant d’apeurer les élèves. On se rend compte à l’issue de ces cours que les élèves se retrouvent complètement perdus, et sont sujets à beaucoup plus de questionnements qu'auparavant. Le fait de diaboliser les relations sexuelles en tout genre, de montrer qu’elles sont dangereuses (risque de grossesses, de maladies sexuellement transmissibles…) ne les fera pas s’arrêter. Cela fait partie du processus de l’adolescence que de vouloir découvrir son corps et celui des autres. Ainsi, il vaut mieux informer des conséquences de ces pratiques, montrer comment se protéger des risques qu’elles peuvent occasionner en cas de méconnaissance et de non vigilance. Il est temps de lever le tabou.

La mise en place de ces cours, bien qu’ils existent déjà en France et en Belgique en théorie, soulève évidemment des questionnements sur la pratique : qui doit les assurer ? les professeurs ? des professionnels de santé ? Est-ce que ce qui y est dit et fait doit être contrôlé pour éviter toute dérive ? Ces cours doivent-ils être obligatoires ? Quelle forme doivent-ils prendre ? Dans la série aussi, ces questions se posent et la réponse ne semble pas évidente à trouver. Peut-être serait-il nécessaire d’ouvrir la discussion, de créer le dialogue, entre élèves, parents, professeurs, membres du corps médical et membres de l’Education nationale.

         En somme, Sex Education a essayé de traiter un maximum de sujets actuels de société en touchant le plus de monde possible, autant d'adultes que d'adolescents, puisqu’il ne convient pas seulement aux jeunes de chercher des réponses, mais également aux adultes de les apporter avec un regard bienveillant et ouvert. La série n’essaye pas de remplacer les cours d’éducation sexuelle, mais seulement de montrer qu’ils sont indispensables et qu’ils bénéficient à tous. Le plus important est de ne pas laisser les jeunes dans leurs questionnements mais au contraire de les accompagner et d’encourager leur curiosité.

 

R.T. et L.S.