PUBLICATION DU 30 OCTOBRE 2023

Faut-il fusiller tous les journalistes de la télé ? 

8 minutes

Une loi d’exception qui écrase du pied gauche le droit de la presse, quelques efforts policiers pour un grand coup de filet, une ouverture d’un bagne géant sur l'île de Kerguelen, et surtout, la création d’un statut de “criminel contre l’intelligence” qui suivra la fatale condamnation. Voilà une suite de mesures éminemment nécessaires pour le bien être des individus, le salut de la patrie, et n’ayons pas peur de le dire, pour l’émancipation du genre humain tout entier. Et qui sont les cibles de cette répression salvatrice ? Les journalistes bon sang ! Gangrène de la démocratie actuelle et fossoyeurs de la vérité qu’ils sont censés défendre. Il ne faut avoir aucune pitié lorsque l’on traite des voyous de luxe. Le bon sens ordonne au citoyen de réagir devant une telle méprise, il nous faut remettre la Terreur à l’ordre du jour ! 

Si ces menaces satyriques espèrent interpeller le secteur du journalisme et les lecteurs, il semble important de rappeler l’état de délabrement total du monde de l’information. N'hésitons pas d'ailleurs à étendre un peu la notion aux intervenants de plateaux, spécialistes de télés et autres chroniqueurs, car chacun doit veiller à recevoir sa part. Eux, censés être les artisans de la transmission du savoir public et de l’actualité nationale, eux chargés de veiller aux messages qui parviennent à la population, eux gardiens de notre démocratie, se sont confondus crassement avec les intérêts particuliers. S'il ne fait aucun doute sur le caractère crapuleux de la presse, caractère dont Balzac nous faisait l’annonce déjà dans ses Illusions Perdues, il demeure que le peu de déontologie restant s’évapore de plus en plus. La presse écrite, aussi perdue moralement que fourvoyée dans les jeux d’argent que chez Balzac, conserve néanmoins plus de dignité que sa collègue de la télévision. Comme partout, les poubelles odorantes demeurent les plus visibles, dégoulinantes de crasse. 


Depuis des années, notre télévision est devenue le satellite des milliardaires, ils n’ont cessé de promouvoir et défendre la médiocrité en offrant des émissions catastrophiques et ridicules. Les tyrans de plateaux ont pu s’adonner à leurs horreurs dans l’indifférence totale, de part leurs protection ils ont commis harcèlements, agressions sexuelles, travail dissimulé, pédophilie, corruption de mineurs, appels à la haine et diffamation. Le contenu créé par notre télévision est aussi un outil d’un abrutissage violent et d’une propagande politique. Comment faire pour pondre le raisonnement le plus pathétique possible ? Invitez des “chroniqueurs” bons à rien sur un sujet qu’ils ne connaissent pas, faites les parler sur un thème d’actualité qui mériterait à peine un retweet, et enfin ajoutez un présentateur colérique (les cocaïnomanes sont aussi recommandés). De par cette simple recette vous obtenez une dégradation violente de la qualité de la télévision, devenant alors un acteur de la baisse générale de l’intelligence. Le phénomène le plus beau, la véritable joconde de cette histoire, est que ces émissions n’agissent pas seulement dans un but de divertissement mais aussi dans une vocation informative. L’information devenue un marché, les chaînes de télévisions ont permis de renforcer les créatures bâtardes de la société moderne, des monstres qui hantent l’information depuis des siècles, ces monstres sont les faits divers. Ces évènements qui n’en sont pas alimentent aujourd’hui et plus que jamais la télévision et la presse, les chaînes de télévisions qui ont la tâche de tourner 24/24 s'accrochent à ces petits sujets, mettant en avant des contenus non réfléchis et traités à chaud. En plus de permettre l’accroissement de l’anxiété ambiante, jamais ils ne s’attachent aux sujets d’une véritable importance. Les intervenants, chroniqueurs et journalistes préfèrent parler pendant 2 heures d’une agression dans une gare que de la monumentale précarité étudiante ou de l’urgence climatique. Plus que d’abrutir les masses, ces chaînes oeuvres à masquer les véritables informations. Un élément exceptionnel de ce carnage mental à ciel ouvert est la présence surabondante de fake news, d’informations non sourcées, de propos racistes et antisémites, et surtout, de prises de positions calamiteuses faites à partir d’un niveau zéro de recherche. Tout le monde parle de tout sans vraiment savoir, raconte rarement des choses pertinentes, et rajoute sur le tas des avis catastrophiques agrégé dans des formules chocs à faire frémir des jeunes de 13 ans en quête d'identité. Un coup de baguette magique et les anciens avocats en droit pénal viennent donner leurs avis sur l’inflation, un autre coup de baguette et les anciens rédacteurs en chefs de journaux viennent parler des politiques culturelles. Dans ces tours de magie un sujet parvient à accaparer tout le monde, qu’importe le CV chacun peut parler dessus, ce sujet c’est le wokisme ! Tantôt avatar de la pensée américaine, parfois survivance de l’URSS, d’autre fois fer de lance de la gauche, ce néologisme flou anime souvent tous les plateaux dans d’incroyables sessions titrées grassement. Les invités parlent et s’arrachent sur un sujet à peine défini et dont l’impact concret sur la société frôle le zéro absolu, ils y traitent de tout dans des formules chocs paisiblement ancrées dans les sujets d’actualités. Si le niveau intellectuel peut parfois rendre jaloux une discussion de comptoir entre poivrots désoeuvrés, d’autres chaînes s’amusent quant-à elles à commenter chaque détail des guerres actuelles. Sans citer personne, quel plaisir de voir une chaîne où se succède les généraux qui jouent aux petits soldats, commentant chaque vidéo et comparant le matériel comme des adolescents jouant à un jeu de stratégie. Enfin, dernière pépite grandiose de ces chaînes : le bandeau d’information. Dans cette mince image, les médias jouent à titrer les sujets de la manière la plus provocante et ridicule qui soit. On y va de plein pot sur tous les sujets, avec un malin plaisir pour les phrases interrogatives, lesquelles prennent souvent la forme suivante : Le [insérer un groupe politique] à fait ça, est-il désormais [insérer un Etat ou une organisation ayant commis des crimes contre l’humanité] ? Ces émissions composent, pour la plupart d’entre elles, un nuage obscure qui parasite l’information, une condition sine qua non pour la remise en place d’une société véritablement démocratique est leur totale démolition. 

Si ce fléau est à créditer aux chaînes d’information continues, les émissions du soir d’info-divertissement couvrent aussi bien le même sujet. Entre les chaînes ridiculement “populaires” (qui ne participent qu'à l'humiliation des classes populaires) et celles hautainement bourgeoises (qui s’amusent à ridiculiser précaires et militants), aucun programme ne semble s’en sortir dignement. L’info-divertissement, expression bâtarde et néologisme vomissable, vise à rendre drôle tout ce qu’il touche. Notre vie politique a alors connu une moyennisation ridicule, là où les satyres de presses font passer un message, les émissions d’info-divertissement se limitent à l’humour potache sur la vie politique, la société du spectacle écrase sous ses vices le bon sens. Les luttes qui animent les forces politiques sont ramenées aux jeux. Les citoyens qui agissent dans leurs mouvements et qui se battent cœurs et âmes pour un sujet sont ridiculisés par un plateau de chroniqueurs morts de rire et grassement payés. Les grands quotidiens du 20 heures sont eux aussi risibles, même s'ils demeurent moins tragiquement comiques que leurs camarades. Un présentateur choisi pour sa voix suave présente des études de sujets traités en 5 minutes montre en main, on y aborde vaguement les très très grandes lignes de l’actualité pour ensuite se terrer sous des éditos sur l’apiculture en Lozère. Comme pour les autres, il existe une volonté de ne pas montrer les tensions qui parcourent le monde, ou du moins de ne pas toutes les montrer. Plus généralement, ce petit monde joue de la vie des Hommes, il s’use à tourner en ridicule les forces vitales de la lutte politique. La politique n’est pas un jeu, ce n’est pas un sketch et surement pas du divertissement, c’est l’animation concrète de la vie des individus car c’est elle qui rythme l’existence des sociétés. La force avec laquelle la télévision à oeuvrer contre les mouvements sociaux comme les gilets jaunes ou la réforme des retraites témoigne d’un engagement partisan, d’une volonté de sabordage consciente ou inconsciente, de la vie politique et de la contestation populaire. Voir comment ces sujets ont été traités, alors qu’il était question de la vie de million d'individus révèle soit un comportement destructeur de la vie politique, soit une action précise contre des groupes précis aux profits des propriétaires de ces chaînes et de leurs intérêts. “Suivez l'argent, vous trouverez le mobile du crime et l'assassin” disait Marc Lévy. Les plateformes géantes que sont devenus ces médias ont de quoi inquiéter, les journalistes sont devenus les premiers soldats de l’actionnariat. Lorsque l’on voit avec quelle facilité des candidats politiques se sont lancés grâce à une existence sur ces chaînes, il est légitime d’accuser un système oligarchique rythmé par l’argent. 

Si ce portrait au vitriol semble dépeindre un carnage, ce qui n'est pas complètement faux, il demeure pertinent de savoir faire un pas en arrière. La vie journalistique de la France est aujourd’hui gangrenée par des individus qui nuisent à la démocratie sous toute ses formes. S'il reste utile de rappeler que nombre de journalistes font leur travail, avec qualité et passion, trop peu d'émissions grand public maintiennent leur rôle informatif. Devenus des boulets au système dont ils doivent être le phare, les journalistes de la télévision, leurs intervenants et autres camarades de plateau, s’inscrivent lentement mais sûrement dans la lignée des fossoyeurs de république. Enfin, tâchons de remercier ceux qui parviennent à exceller dans leur domaine, trop souvent les fourmis de ce petit monde. Car dans le journalisme cohabite deux emplois, celui qui trouve l’information et celui qui la communique, triste de voir que le premier est ignoré au profit du second. Dieu merci l’information parvient encore à circuler grâce aux actions acharnées de médias d’investigations, de journalistes indépendant, et de petites mains ci et là. Peut-être que la répression demeure trop radicale, peut-être les journalistes arrêteront d’heurter autant la démocratie de jour en jour, ou peut-être ne sera-t-elle que la conséquence de leurs propres actions. N’excluons dès lors pas la nécessité d’une purge, d’une destruction partielle de l’outil médiatique afin de remettre l’information au centre, mettons à terre ces grandes puissances qui jouissent d’un parfait contrôle sur nos médias, balayons les serviles qui les servent, construisons véritablement un outil médiatique accès sur la vérité et non pas le profit. Construire sur des cendres s’impose comme un pré-requis au bon fonctionnement de la démocratie. Le profit, les bénéfices, se sont ancrés profondément dans le monde de la télé, bien trop pour que ce monde soit récupérable sans faire table rase. Les chiens de gardes de ce même fonctionnement défendent corps et âme ceux qui les possèdent, comme un cercle vertueux miteux ils veillent à sa sauvegarde, il faut dès lors jeter ces médias et rayer de l’antenne ceux qui les composent.



Louis Sounthavong