PUBLICATION DU 30 OCTOBRE 2023

How Beautiful We Were, Imbolo Mbue

5 minutes 

Rien de plus actuel que de s’attaquer aux écocides, aux vestiges du colonialisme et de prôner le féminisme. Imbolo Mbue réussit avec brio à mêler les trois dans son nouveau roman How Beautiful We Were (Random House, 2021).


En résumé

Dans le petit village Africain fictif de Kosawa, les enfants et la nature se meurent, la faute aux pipelines d’une compagnie pétrolière américaine se déversant dans la rivière, polluant l’eau et les sols. Face aux fausses promesses des dirigeants, les villageois n’ont d’autre choix que de se défendre, génération après génération, pour retrouver une terre habitable et un air respirable, tout en chassant les pollueurs. Ces révoltes ne seront pas sans conséquence, réprimées par les puissants et leur folie des grandeurs. 


Le roman

L’auteure américano-camerounaise choisit de raconter son récit à plusieurs voix, engageant différentes perspectives dans le village, celle des enfants qui finissent par devenir des adultes, dont Thula, l’héroïne, ainsi que des membres de sa famille. L’histoire se déroule sur toute une génération, permettant de voir évoluer les combats, les revendications et de constater la dégradation de l’environnement dans lequel ils vivent. Il y a également des références et des anecdotes racontées sur les anciens du village, ce qui ancre encore plus le récit dans un temps long, lui donnant vie et l’implantant dans la réalité. Les chapitres où « The Children » (les enfants) interviennent font penser aux Chœurs dans le théâtre antique. En effet, ils contextualisent et narrent les événements comme s’ils n’étaient qu’une seule entité et non un groupe de plusieurs individus. Dans le théâtre antique, les chœurs chantent un même texte à l’unisson et assistent à toute l’histoire. Thula au contraire n’est jamais liée aux enfants et a sa propre voix dans le récit malgré qu’elle soit née la même année, qu’elle soit leur « age-mate » (terme fréquemment utilisé dans le roman pour signifier le groupe de personnes nées la même année). Ils sont là en soutien à son histoire. C’est elle qui prendra la tête de la résistance et passera sa vie à se battre contre Pexton, l’entreprise pétrolière présente dans la région. 


L’engagement illustré par le roman : entre féminisme, écologie et anticolonialisme

Avec Thula en héroïne, How Beautiful We Were met les femmes au premier plan. Elle est celle qui a voulu s’instruire et ainsi aller dans les meilleures écoles qu’on lui proposait, jusqu’à partir loin de sa famille pour étudier aux Etats-Unis, mais surtout, elle a voulu comprendre. Comprendre le monde qui l’entourait, connaître ses proches, et ses ennemis, pour mieux les combattre. Avant tout, Thula est une battante qui dédie d’ailleurs sa vie entière à la cause de son village. Imbolo Mbue ne construit pas son roman uniquement sur une femme qui a su prendre sa vie et son courage en main, mais aussi sur celles qui ont été durablement touchées par les évènements et n’ont pas toujours su s’en relever complètement, sans soutien de la société. Soumise aux diktats de la société patriarcale du village, Sonni, la mère de Thula, n’a pas le droit de se remarier après la mort de son époux. L’auteure met en exergue la solitude qu’elle ressent et la fidélité qu’elle est contrainte de donner encore à un homme, bien qu’il ne soit plus de ce monde. D’un autre côté, Yaya, la grand-mère paternelle de Thula, fait face à une grande période de dépression suite à la perte de ses fils. Ainsi, Sonni doit gérer et soutenir sa famille, comprenant 2 enfants et sa belle-mère. Elle-même est pourtant en deuil et ne reçoit aucune aide extérieure. 

Imbolo Mbue souhaite montrer qu’il existe tout type de réaction face à la perte d’un être cher mais que la société leur impose une façon d’agir et de gérer leur deuil en même temps qu’une nouvelle organisation au sein du foyer. Surtout, elle met en avant qu’il est normal de flancher et qu’il est possible d’être une personne forte tout en ayant des moments de désespoir. 

Le principal antagoniste du récit est Pexton, l’entreprise américaine venue exploiter le pétrole dans la région de Kosawa. Incarnation du capitalisme et du colonialisme, elle va tout mettre en œuvre pour poursuivre son activité, même si cela veut dire tuer les populations locales et polluer les terres. Aucune considération n’est donnée aux humains présents, si ce n’est que quelques promesses, bien entendu non tenues. Le livre s’ouvre sur la capture de représentants de Pexton au village, c’est la première révolte des villageois. Néanmoins, on sent dès le début, malgré ce soulèvement, une asymétrie et un déséquilibre dans le combat. On sait, même si on espère très fort le contraire, que les puissants auront toujours l’avantage et que les habitants ne pourront pas les renverser. Car si on sort de la fiction, le scénario est toujours le même. Les populations se battent mais sans soutien des politiques et de l’opinion publique, et sans ressource financière suffisante, il est impossible de gagner. D’ailleurs l’appui des Occidentaux va être recherché, Thula étant bien consciente qu’il faut mettre leur situation sous le feu des projecteurs. 

How Beautiful We Were illustre le crime d’écocide en mettant l’accent sur les répercussions sur les populations, et montre que les habitants combattent toujours les injustices qui leur sont faites, surtout quand elles ont un impact immédiat sur leur santé, même s’ils ne sont pas assez entendus.


Ce que j’en ai pensé

How Beautiful We Were est un livre qui m’a beaucoup marqué par la brutalité des Hommes envers leurs semblables et par l’absence de considération des autres êtres humains. Même si certains passages sont un peu répétitifs à cause des différentes voix du récit, il n’en est pas moins passionnant. Des personnages forts se dégagent du livre et nous donnent envie de nous battre, pour le respect de ceux qui sont injustement condamnés par des actes réalisés dans le seul but de faire du profit. L’accent n’est pas particulièrement mis sur l’environnement et sa protection mais il est évident que le problème commence par la destruction des espaces naturels, avant de se répercuter sur les populations. J’ai également trouvé très réaliste le fait que les villageois aient beaucoup de difficulté à se mettre d’accord sur un avis commun. En effet, il n’est jamais simple de prendre des décisions qui ont autant d’impacts.
En bref, ce récit aux saveurs d’écologie et de féminisme est à lire absolument.

A retrouver sous le titre de Puissions-nous vivre longtemps (Belfond, 2021) pour la traduction française.


Romane Touly



PUBLICATION DU 15 OCTOBRE 2023

Jacqueline Pascal : une poétesse du XVIIe siècle

7 minutes

Le 5 octobre dernier, nous fêtions l’anniversaire d’une de ces grandes dames oubliées, une femme de talent et d’esprit qui mérite aujourd’hui ces quelques lignes en sa mémoire. Le 5 octobre 1625, c’est la naissance de Jacqueline Pascal. Peut-être que son nom de famille vous évoque quelque chose ? Oui, elle a bien pour grand frère Blaise Pascal, célèbre mathématicien. Néanmoins, si on connaît à peu près tous.tes cette grande figure des mathématiques (même si on a souvent du mal à parler aisément de ses contributions à la science), ses deux sœurs semblent être restées dans son ombre et non, ce n’est pas par choix. Tentons donc ici d’y remédier ! L'aînée de la famille, du nom de jeune fille Gilberte Pascal, est tout de même celle à qui on doit les mémoires de Blaise et de Jacqueline (cf La vie de Monsieur Pascal, 1663). Quant à la benjamine, tout le propos de l’article vise à vous la faire découvrir.

Qui était-elle ? Quelle place tenait-elle dans une société réservée aux hommes ? Ou encore, quelle relation entretenait-elle avec son grand frère ? Comme le dit si bien Marguerite Yourcenar, je vais tenter de “faire renaître une vie” en vous présentant quelques aspects de la rocambolesque existence de Jacqueline Pascal.

 

Son amour pour la poésie

Jacqueline Pascal est surtout connue pour être une religieuse janséniste. Quand on tape son nom sur internet, apparaît ce même portrait aux tons tristes et fades où Jacqueline revêt une tenue traditionnelle religieuse. Je ne démentirai pas cette période bien réelle de sa vie (une partie de cet article y est même dédiée), cependant il est fort dommage de ne retenir que ça. C’est pourquoi j’accorde beaucoup d’importance à ce qui va suivre, car si la fin de sa vie à été marquée par la religion, Jacqueline a d’abord été une poétesse de renom.

L’enfance de Jacqueline est bercée par la poésie. Dès l’âge de 7 ans, alors que sa sœur Gilberte essaie de lui apprendre à lire, Jacqueline n’y trouve pas grand intérêt. Or, quand l'aînée récite des vers à haute-voix, sa petite sœur déclare soudainement : “quand vous voudrez me faire lire, faites-moi lire dans un livre de vers, je dirai ma leçon tant que vous voudrez”. C’est ainsi que Jacqueline commence son instruction et qu’elle se passionne peu à peu pour la poésie, plus encore pour les vers. Car bien qu’elle écrive déjà des poèmes remarquables, Jacqueline ne se limite pas à cela. Ainsi, elle rédige entièrement une pièce de théâtre en 5 actes en vers et, à 15 ans seulement, elle écrit une chanson poignante au style baroque que voici :

 

Sombres déserts, retraites de la nuit,

Sacré refuge du silence,

Un malheureux à qui le monde nuit,

Ne vient pas par ses cris vous faire violence ;

Son tourment est si beau, qu'il n'en veut pas guérir,

Il ne vient pas se plaindre, il ne vient que mourir.

 

Par son trépas dans les lieux fréquentés

On saurait les maux de son âme :

Mais dans ces bois toujours inhabités

Il vient chercher sa mort pour mieux cacher sa flamme,

Ne craignez pas ses cris en le voyant périr,

Il ne vient pas se plaindre, il ne vient que mourir.

 

Très vite, elle gagne l’admiration de sa famille, mais notre talentueuse Jacqueline ne compte pas s’arrêter là.

En grandissant, sa renommée grandit aussi. Appréciée par Richelieu, elle est plusieurs fois invitée à se représenter dans un théâtre pour y jouer des pièces de Corneille. Sa touchante poésie lui a même valu d’être conviée à la cour de la reine Anne d’Autriche pour y conter des vers à l’occasion de sa grossesse. A tous.tes les détracteur.ice.s qui l’accusent de voler les vers d’un autre, Jacqueline les ridiculise et improvise sur place de magnifiques vers, affirmant par là son talent et l’étendue de ses capacités. Sa détermination est sans équivoque et plus qu’inspirante. Par ailleurs, si jusqu’à présent sa poésie a servi à divertir, principalement, Jacqueline sait aussi mettre son art au service du pouvoir. En 1638, la famille Pascal est touchée par un événement sérieux : le père, Etienne, est accusé d’avoir pris part à une sédition et est donc contraint de fuir pour sa vie. Les enfants se retrouvent laissés pour compte très jeunes. C’est finalement Jacqueline, dans son adolescence qui, en composant puis récitant des vers pour le cardinal Richelieu, obtient la grâce de son père. La famille est réunie, merci Jacqueline !

Cette femme n’est donc pas une simple petite poétesse. Douée dans ce qu’elle fait et appréciée de ses contemporain.e.s, elle a un grand avenir tracé devant elle. Cependant, l’accueil de dévots jansénistes chez elle marque un tournant décisif dans sa vie et met un terme à sa carrière d’artiste.

 

 

Son repli dans le jansénisme

Plus tard, aux alentours de 1646 et après une déception amoureuse, Jacqueline se refuse à l’amour et au mariage. Encore une fois, elle semble nager à contre-courant et brave les conventions de la société du 17e, mais pas pour longtemps. En effet, elle finit par suivre l’autre voie réservée aux femmes qui ne se marient pas : la religion, convaincue par les dévots qu’elle a hébergés.

Jacqueline admire donc le jansénisme, une “doctrine chrétienne hérétique sur la grâce et la prédestination” et souhaite se consacrer entièrement à Dieu en entrant au carmel de Port Royal. Si son père et Blaise ont d'abord tout essayé pour l'empêcher de se faire Soeur, Jacqueline met un point d’honneur à décider seule de sa vie et insiste ainsi jusqu'à avoir le dernier mot. C’est alors après la mort de son père qu’elle quitte tout ce qui l’a animé jusqu'à présent : le monde, la poésie et enfin, Blaise.

Sa décision questionne et fait réagir. Est-ce là un choix qui résulte de son libre arbitre ? ou bien se heurte-t-elle aux barrières de la société ? On pourrait bien se demander si elle est soumise aux conventions de son époque, et je répondrai que oui. Mais on ne peut pas non plus nier la force de sa détermination : peut-être a-t-elle accepté d’être soumise pour mieux imposer ses choix, après tout.

Ainsi, toute sa vie est marquée par l’oscillation entre liberté et contrainte mais toujours elle a fait preuve de ténacité et de courage.

 

 

Sa relation avec son frère

Jacqueline et Blaise ont un lien particulier qui se tisse depuis leur enfance. Complémentaires dans leur passion (l’une littéraire et l’autre scientifique), ils sont aussi fusionnel.le.s au point de toujours se soutenir dans leurs projets respectifs par amour l’un.e de l’autre. Gilberte témoignera “Il y avait une si grande correspondance entre leurs sentiments qu’ils convenaient de tout". Et effectivement, même la religion a fini par les réunir, avant d’être séparés à jamais dans la mort.

Ainsi, Jacqueline est souvent présentée comme une sœur, une mère et une épouse pour Blaise. Elle le soigne (car il est souvent malade), iels font ménage ensemble, et lui s'inquiète constamment pour elle, surtout après qu’elle soit entrée au couvent, les visites étant rares. Finalement, iels s’aiment d’un amour tendre et propre à elleux-mêmes. A l’image de la poétesse, iels entretiennent une relation au penchant poétique et attachant.

Jacqueline a toujours cherché à être admirée de son frère, et il l’admira jusqu’à ses derniers jours. Si elle pensait ne pas être à sa hauteur, j’espère que vous, lecteur.ice, aurez compris qu’elle l’a du moins été tout autant. Christelle Orban écrira : « A l'ombre d'un frère savant et d'un siècle [...] qui ignore les femmes, Jacqueline se bat pour exister à côté de Blaise, pour ne pas être écrasée par son époque. » Alors, bien qu’inutile à présent, j’aurai voulu lui crier de croire en elle jusqu’au bout, de suivre ses rêves, de les réaliser enfin. Mais aussi audacieuse soit-elle, Jacqueline reste une femme du 17è. Une époque où sans l’opprobre d’un homme, une femme est bridée dans ses projets. Une époque où une femme se résume à être épouse-meuble ou bien religieuse. Jacqueline ne déroge pas à cette règle vorace de la société patriarcale, mais enfin, par cet article j’espère avoir réussi à porter un peu sa voix d’artiste.

 

Ainsi, cette femme ce n’est pas la sœur de Blaise, cette femme c’est Jacqueline Pascal. 

 

Sh.


Christine Orban, 2023. Soumise. Albin Michel.  (je recommande !)

Victor Cousin, 1878. Jacqueline Pascal. Forgotten Books.

Gilberte Perrier, 1663. La vie de Monsieur Pascal.

Wikipédia

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